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Colombie

Un vif rebond du trafic de cocaïne met en danger l'accord de paix colombien

La Colombie produit actuellement plus de cocaïne que jamais. Des hectares et des hectares de buissons verdoyants de coca ont poussé de partout dans le pays.
ASSOCIATED PRESS

Après plus de 200 000 morts, 5 millions de déplacés et d'innombrables crimes contre l'humanité commis dans les deux camps, le conflit armé colombien avec les FARC a pris fin. En novembre 2016, le gouvernement et les FARC ont signé un accord de paix et des milliers de guérilleros ont commencé à déposer les armes, émergeant de la luxuriante jungle colombienne pour rejoindre la société.

Si le pays a reçu plus de 10 milliards de dollars d'aides américaines pour la lutte anti-drogue (le trafic de drogue ayant permis de financer le conflit), la Colombie produit actuellement plus de cocaïne que jamais. Des hectares et des hectares de buissons verdoyants de coca ont poussé de partout dans le pays, et des centaines de tonnes de poudre blanche quittent le pays à bord de bateaux rapides, de cargos et de sous-marins faits maison.

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De vieux espoirs

Dans un vieux reportage qui date d'août 2000, le président Bill Clinton – qui porte une large chemisette – se tient devant un drapeau colombien, qui flotte devant les murs en pierre de Carthagène des Indes. À ses côtés, on retrouve l'ancien président colombien, Andres Pastrana, dont la réputation s'apprête à être démolie à cause de l'échec du processus de paix qu'il vient d'engager avec les FARC.

Ce jour-là, Clinton dit aux journalistes présents, que les États-Unis ont promis des centaines de millions de dollars au pays d'Amérique du Sud pour combattre le trafic de drogue, qui permet de financer le conflit colombien avec les FARC et d'autres groupes armés.

« Le conflit et le trafic de drogue sont liés et causent le plus grand tort au peuple colombien, » affirme le président. « Notre programme est anti-drogue et pro-paix. »

17 ans plus tard, la Colombie a réussi à retrouver la paix, alors que le trafic de cocaïne atteint des niveaux historiques. Mais la capacité du gouvernement à mettre en oeuvre l'accord de paix signé à La Havane en 2016 pourrait désormais reposer sur sa faculté à gérer le trafic de coca.

« Dès l'instant où il y a de la coca, quelqu'un va acheter les plantes, va les transformer en cocaïne et cette personne va faire partie d'un groupe armé ou d'une mafia, » a déclaré le ministre de l'Après conflit, Rafael Pardo, lors de la Commission des stupéfiants (CND) des Nations unies, organisée en mars. « Le gouvernement colombien et les FARC savent qu'avec ce niveau de culture de coca, la paix ne va pas être durable. »

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Un ancien ramasseur de feuilles de coca (un raspachine) montre comment on récupère les précieuses feuilles. Les raspachines sont payés au nombre de sacs qu'ils remplissent par jour. (Photo de Camilo Mejia)

Une hausse exponentielle

Les données publiées en mars estiment qu'en 2016, il y avait 188 000 hectares de coca en Colombie – utilisés pour produire 710 tonnes de cocaïne. La production de cocaïne a augmenté de 238 pour cent par rapport à 2012 – l'année où les discussions de paix ont commencé.

D'après un récent rapport du Washington office on Latin America (WOLA), le boom colombien de la coca est la conséquence de la convergence de plusieurs facteurs.

Les conditions macroéconomiques font que la coca est plus rentable aujourd'hui et les efforts pour l'éradiquer sont entravés par les mines et les snipers des guérilleros, les manifestations et l'arrêt des fumigations (le pesticide ayant été déclaré cancérigène). À cela s'ajoute un autre problème : les autorités ont promis de l'argent aux fermiers qui font pousser de la coca, s'ils remplacent la coca par d'autres plantes. Donc les fermiers en plantent le plus possible pour récupérer le maximum de bénéfices quand on leur demandera d'arracher leurs plants de coca.

« Il n'y a pas un facteur principal, mais si vous réunissez tout ça, vous vous retrouvez avec la tempête parfaite, » explique à VICE News, Adam Isacson, chercheur au WOLA.

Des cultivateurs de coca dans les plaines reculées de l'Amazonie, à la frontière entre l'Équateur et la Colombie, transportent les ingrédients nécessaires à la production de pate de coca – l'extrait de feuille de coca. (Photo de Camilo Mejia)

Si le processus de paix a probablement joué un rôle dans le récent boom de la coca, il offre aussi une belle opportunité au gouvernement pour lutter contre le trafic de drogue. 70 pour cent des champs de coca sont implantés dans des territoires qui étaient tenus jusqu'il y a peu par les FARC.

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Se mettre d'accord avec les cultivateurs

Selon les termes de l'accord de paix, l'État devrait sécuriser militairement les zones de culture de coca, tout en introduisant des services publics et en encourageant le développement économique. Les cultivateurs de coca auront à faire un choix : éradiquer volontairement leur culture pour la remplacer par un autre plante ou les forces de sécurité s'en chargeront. Cela sera, selon le ministre Pardo, « la bataille finale contre les cultures de coca. »

Mais pour le moment, l'État ne semble pas en position de gagner cette bataille. Le gouvernement a lancé plusieurs programmes pilotes de substitutions dans des régions productrices de coca. Mais le peu de progrès qui a été fait, a été sapé par des manifestations et des grèves, qui ont émergé après que l'armée ait commencé à détruire les cultures dans des communautés qui avaient signé le programme.

« Cela cause beaucoup d'incertitude chez les fermiers, et cela crée de la méfiance parce que le gouvernement opère selon des doubles standards, » estime Arnovi Zapata, un leader fermier et membre du nouveau réseau national de cultivateurs de coca, marijuana et d'opium (COCCAM). « Au lieu d'insuffler la paix, cela va créer plus de violences, parce que nous allons voir des confrontations directes entre les fermiers et les forces de sécurité. »

Un jornalero mélange le liquide extrait de la feuille de coca qui reposait depuis des heures dans un cuve de diesel. (Photo de Camilo Mejia)

Alors que le gouvernement peine à avancer, les groupes armés et mafias se sont rapidement positionnés sur le devant de la scène de la nouvelle pègre colombienne. De petits groupes armés comme l'Armée nationale de libération (ELN), la mafia paramilitaire des forces d'autodéfense gaitanistes (AGC) et des unités ripoux des FARC imposent déjà leur empreinte.

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Certains fermiers confient que ces groupes sont arrivés en proposant de l'argent pour que les cultivateurs ferment les yeux sur les accords et continuent à cultiver de la coca. D'autres indiquent que des hommes lourdement armés défilent en ville et annoncent qu'ils prennent le contrôle du marché. À cela, s'ajoutent des menaces et des assassinats de leaders des communautés et des guerres de territoires entre une multitude d'acteurs armés.

« [Ces groupes] prennent déjà le contrôle du marché que les FARC laissent derrière eux, » confie à VICE News, Leon Valencia, directeur de la Fondation Paix et Réconciliation. « Le crime organisé réagit toujours plus rapidement que les autorités, il est toujours plus agile quand il faut prendre des décisions et saisir des territoires. »

De belles promesses

Avant la diffusion des chiffres sur la situation du trafic de cocaïne en Colombie, le gouvernement avait annoncé sa stratégie pour 2017. L'État va détruire 100 000 hectares de coca – la moitié via des programmes volontaires, l'autre par des destructions forcées. Cet ambitieux objectif représente une augmentation de 400 pour cent par rapport à celui fixé l'année 2016 – que les autorités ont presque réussi à atteindre.

L'armée a promis de déployer 80 000 soldats pour sécuriser les territoires des ex-FARC contre les guérilleros, paramilitaires et tous ceux qui veulent profiter du boom de la coca.

Ce petit laboratoire de traitement des feuilles de coca, l'un des nombreux dans la jungle de Putumayo, est géré par une famille et emploie plusieurs jeunes gens lors de la cueillette. (Photo de Camilo Mejia)

Si ces promesses sont ambitieuses, elles ne sont pas très réalistes. Et les grandes promesses qui ne voient jamais le jour, on connaît malheureusement trop ça en Colombie.

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« [Le gouvernement] est très fort pour faire une grosse présentation PowerPoint et la vendre au monde entier, » estime Isacson. « Mais une fois que la fête est finie, et qu'ils doivent vraiment se mettre au travail, il y a beaucoup moins de monde. »

Le président colombien Juan Manuel Santos a gagné le prix Nobel de la paix pour ses efforts visant à mettre fin au conflit colombien. Mais si son gouvernement ne parvient pas à maîtriser le trafic de cocaïne, son héritage ne résumera pas à la fin du conflit avec les FARC – s'ajoutera à la liste le début d'une nouvelle génération de conflits colombiens alimentés par la cocaïne.


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