production d'armes à Sumedang
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armes

Dans le village indonésien où l’on fabrique des armes

Les habitants du petit village de Cipacing fabriquent des carabines à air comprimé depuis plus d’un siècle.

Cipacing, Java occidental. Sur le mur d’une maison, un panneau jaune et rouge indique : « Stop à la production d'armes illégales ». Cela peut sembler étrange, jusqu'à ce que l’on découvre que Cipacing est le centre national de la fabrication de fusils à air comprimé.

Les armes à feu ne sont pourtant pas courantes en Indonésie : quiconque veut posséder un fusil ou un pistolet doit d'abord devenir membre de l'Association indonésienne des tireurs. Mais la réglementation est plus laxiste pour les chasseurs et les sportifs qui préfèrent utiliser des carabines à air comprimé. Et depuis le siècle dernier, Cipacing est au service de ces clients.

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Dedi a 55 ans. Sa famille fabrique des carabines à air comprimé depuis trois générations. Selon lui, Cipacing a toujours été connu de ses forgerons, mais dans les années 1890, le gouvernement colonial a commencé à diversifier sa fabrication d'armes à feu en recrutant les habitants pour réparer les fusils néerlandais, en particulier de marques Steyr et Sig Sauer.

Petit à petit, les artisans locaux sont passés de la réparation à la construction de leurs propres armes. Ils se sont fait connaître pour un modèle en particulier, le dorlok : un fusil à air comprimé à canon long, conçu pour n’utiliser qu’une balle à la fois. Dans les années qui ont suivi l'indépendance de l'Indonésie en 1945, Cipacing est devenu l'endroit idéal pour tous ceux qui voulaient acheter une arme à feu à bas prix, sans les tracas réglementaires et administratifs.

Pendant la période de l’Ordre nouveau [la présidence de Soeharto en Indonésie, NDLR] qui a duré des années 1960 jusqu’aux années 1990, les officiers militaires et les politiciens achetaient régulièrement des carabines à air comprimé à Cipacing. Parmi les plus fidèles clients du village, on peut citer le commandant des forces armées nationales indonésiennes Edi Sudrajat, l'ancien ministre de l'Industrie Fahmi Idris ou encore les anciens commandants des forces spéciales Danjen Kopassus et Prabowo Subianto. En un an seulement, Subianto a commandé quelque 500 carabines à air comprimé pour l'entraînement au tir.

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La famille de Dedi s'est spécialisée dans les canons de fusils munis d'un sillon en spirale qui fait tourner les projectiles lorsqu'ils sont éjectés. Après que Dedi a obtenu son diplôme de l'école professionnelle dans les années 1970, son père lui a demandé de rejoindre l'entreprise familiale.

« Les habitants de Cipacing avaient même un slogan : artos milari bedil qui signifie "les armes rapportent de l'argent", explique Dedi. C'était dû au grand nombre d'armes achetées dans toute l'Indonésie. »

Leurs produits les plus vendus à l'époque étaient des fusils à air comprimé à ressort, des armes qui sont désormais associées à Cipacing. Ils les vendaient en gros pour environ 20 dollars jusqu'à ce que la ville commence à accepter des commandes de groupes terroristes, une erreur dont elle peine à se remettre.

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« Nous avons commencé à recevoir beaucoup de commandes de groupes terroristes aux alentours de 2002 », explique Usep*, un fabricant d'armes à feu de Sumedang.

La police a par la suite effectué des descentes dans les usines de la ville en 2013, 2016 et 2017. L'opération d'infiltration de 2013 a conduit à l'arrestation du dirigeant de la communauté manufacturière, qui servait également d’intermédiaire pour le réseau Abu Roban. Il s'agit d'une cellule terroriste affiliée à l'organisation État islamique qui a attaqué un poste de police à Pamulang en 2013.

À cette époque, Usep ne faisait pas de discrimination entre les acheteurs. Il vendait des armes aux citoyens ordinaires au même titre qu’aux terroristes, jusqu'à ce qu'un juge le déclare coupable de soutien à une organisation terroriste et le condamne à trois ans de prison.

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Soucieux de ne pas refaire la même erreur, Usep vend désormais ses armes aux tireurs sportifs uniquement. C'est d’ailleurs le cas de la plupart des habitants de Cipacing. Les fabricants d'armes qui auparavant vendaient leurs produits à tout le monde procèdent dorénavant à une sélection plus rigoureuse. Comme le résume Usep en des termes simples : « Je regrette d'avoir fabriqué des armes illégales, alors à partir de maintenant, tout ce que je ferais sera légal. »

*Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des intervenants.

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