La vie quand on est toujours vierge à 40 ans
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La vie quand on est toujours vierge à 40 ans

« Quand j’entends des gens raconter leurs rencontres amoureuses ou des chansons qui parlent d’amour et de sexe, ou même quand je lis sur le sexe, j’ai toujours l’impression d’être un humain anormal. »

J’ai rencontré Jeremy il y a trois ou quatre ans. Je l’ai entendu parler de l’époque où il était à l’école et, à cause de certaines expressions, j’ai remarqué qu’il avait grandi aux États-Unis. On a commencé à jaser, puis on est devenus amis. C’est un gars intelligent, à la mode, mais visiblement et invariablement seul. Je me disais qu’il était simplement mature et indépendant, qu’il avait atteint ce point de transition par lequel on passe tous à la mi-trentaine : on délaisse nos comparses de fin de soirée et amis du bureau, espérant trouver ce qui s’apparente à des amitiés plus solides, de celles qui durent jusqu’aux vieux jours.

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Jeremy est le genre de gars qu’on croise rarement quand on sort tard le soir. De manière générale, si vous vous trouvez au milieu d’une soirée ou d’un party après minuit à Vancouver, vous êtes entouré en grande partie de mésadaptés. Jeremy, lui, est très bien adapté, peut-être trop, même. Ses manières et sa conduite sont toujours irréprochables, sans jamais paraître mielleuses. Récemment, après son quarantième anniversaire qu’on a fêté avec des amis, j’ai commencé à noter plus d’optimisme dans sa voix durant nos conversations, puis il m’a révélé une chose incroyablement intime : à 40 ans, il est toujours vierge.

La réaction ou le sentiment que cette nouvelle a suscité chez moi n’est pas exactement la surprise. Aussitôt, l’animateur d’émission de variétés en moi a pris le dessus, et il m’a laissé le mitrailler de questions. Au cours de cette conversation, Jeremy est passé par divers états d’âme, du nihilisme, au chagrin en passant par l’humour noir. Pour ma part, j’ai trouvé difficile de faire preuve d’empathie, même si je n’ai moi-même pas été très précoce. (Au Canada et aux États-Unis, l’âge moyen auquel on perd sa virginité est de 18 ans, selon un sondage du fabricant de condoms Durex.) Il a maintenant le double de l’âge que j’avais quand j’ai commencé à avoir des relations sexuelles, mais je crains qu'il n'ait pas simplement vécu le double de mon abstinence, que la frustration soit plutôt multipliée à partir de la vingtaine : un isolement, une déprime, une frustration sexuelle et émotive s’accroissant exponentiellement.

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Cela dit, quand je parle avec lui, il donne l'impression que ce seuil de 40 ans représente un nouveau départ et qu'en même temps, son optimisme lui souffle qu’il peut entamer sa vie sexuelle avec la perspective d’un homme de 40 ans plutôt que de sombrer dans le mélodrame qui envahit la plupart d’entre nous lors de nos premières expériences sexuelles. Ce pourrait être un lourd boulet pour Jeremy, mais son attitude témoigne qu’il reste plein d’espoir et qu’il refuse d’accepter d'être privé de sexe jusqu’à la fin de ses jours.

VICE : Est-ce que beaucoup de gens sont au courant de ta situation? Qu’est-ce qu’ils en disent?
Jeremy : Non, très peu. Je pense que ma famille s’en doute, mais personne ne m’en a jamais parlé. Je garde ce secret depuis des années. Par contre, récemment, je suis rentré à la maison avec une femme rencontrée dans un bar et, en état d’ébriété, je lui en ai parlé. Comme on était très saouls, je ne suis pas en mesure de te dire quelle a été sa réaction avec beaucoup de détails. Elle a été surprise, mais c’est à peu près tout ce que je me rappelle. En tout, j’en ai parlé à quatre personnes : cette femme, un ami que je connais depuis plus de dix ans, mon endocrinologue et toi, en plus de quiconque lira cet article. L’ami à qui j’en ai parlé il y a quelques années en a été préoccupé et m’a suggéré de consulter un sexologue si rien ne se passait dans les années à venir.

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Est-ce qu’une femme t’a offert de te donner l’occasion de perdre ta virginité par amitié ou compassion?
Non, ça ne m’est jamais arrivé. Comme je n’en ai pas parlé à grand monde, même pas à des amis proches, ça n’a jamais été une possibilité pour moi.

As-tu pensé à recourir aux services d’une professionnelle pour te sortir de cette situation? Le travail du sexe est diversifié maintenant, des escortes aux services plus classiques et expéditifs. En plus, ce n’est plus aussi tabou que c’était.
Quand j’étais plus jeune, je n’imaginais pas que je pourrais avoir à penser aux travailleuses du sexe ou aux assistantes sexuelles. Je me disais simplement que ça arriverait quand ça arriverait. Naïvement, je me disais que je rencontrerais une femme et que je pourrais lui en parler. Je m’attendais à ce que, la première fois, ce soit avec une personne qui me plaît ou, peut-être, de façon moins romantique, avec une femme rencontrée dans un bar que j’inviterais chez moi. J’ai l’impression que ce sont des situations si banales quand j’en parle et je sais que c’est ce qui arrive à beaucoup de gens, mais, tout bêtement, ça ne m’est jamais arrivé à moi.

La possibilité de ne jamais avoir de relation sexuelle m’a paru particulièrement réelle quand j’étais dans la vingtaine. Quand cette possibilité m’est venue à l’esprit, je ne pouvais pas faire appel à une travailleuse du sexe. Je ne le voyais pas comme un tabou, mais comme la solution facile. Si je payais pour une relation sexuelle, c’était comme si je jetais l’éponge et que j’abandonnais mon désir vieux jeu de rencontrer une personne avec laquelle je pourrais en parler. Quand je me perdais dans mes pensées — tu dois remarquer que je suis souvent perdu dans mes pensées — j’en venais à me dire que j’étais anormal, une abomination. Et je me disais qu’en recourant aux services d’une travailleuse du sexe, je serais encore plus une abomination.

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Mais c’est une possibilité à laquelle tu es ouvert aujourd’hui? Est-ce que c’est de ne pas savoir par où commencer qui t’en empêche?
Je dirais que oui. J’y suis ouvert aujourd’hui, mais je ne sais pas du tout où aller ni comment m’y prendre.

Qu’est-ce qui pique le plus ta curiosité? Est-ce que c’est le sexe en soi ou ce qui l’entoure?
Toutes les personnes vierges, quel que soit l’âge, sont intriguées à divers degré par le sexe. Je dois admettre qu’à 40 ans, il occupe plus de place dans les préoccupations. Je suis assez intelligent pour comprendre que le sexe et la porno sont deux choses différentes. Mais, comme je suis incroyablement en retard, j’ai peur de ne pas être capable de rattraper les autres. Comme je commencerai si tard dans ma vie, je serai toujours mauvais au lit et je vais toujours décevoir ma partenaire. J’ai peur de devenir une risée. Cependant, je suis aussi curieux de découvrir tout ce qui s’y rattache, surtout une vraie relation amoureuse. Comme je n’ai jamais eu de blonde, je n’ai jamais connu les hauts et les bas d’une relation sérieuse. J’ai surtout hâte d’être intime émotionnellement et sexuellement avec une femme.

Tu es atteint d’une maladie rare qui a retardé ta puberté et freiné ta libido, c’est bien ça?
Je suis atteint de panhypopituitarisme idiopathique depuis ma naissance, mais on me l’a diagnostiqué quand j’avais quatre ou cinq ans. Mes parents ont remarqué que je ne grandissais pas aussi vite que je l’aurais dû. Comme ce problème de santé affecte toutes les hormones pituitaires, j’ai eu un déficit d’hormones dès un très jeune âge. J’ai aussi un déficit de sécrétion des glandes thyroïdes et surrénales. Ça a fait en sorte que j’ai dû commencer à prendre des comprimés pour compenser le déficit d’hormones, en plus de doses de testostérone parce que je n’en produis pas. À cause de ce problème, j’ai aussi l’air beaucoup plus jeune que je ne le suis. Je n’ai commencé à me raser qu’au milieu de la trentaine. Pour ne rien te cacher, je suis fier de pouvoir me raser. Je célèbre encore aujourd’hui mon « rasanniversaire ». Ça a aussi affecté ma libido, et je suis surtout heureux d’avoir des érections. Avec l’hormonothérapie de remplacement, j’ai des pulsions sexuelles, ce que je n’ai pas eu du tout pendant des années.

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Tu dois te masturber. Est-ce que tu as aussi commencé seulement au milieu de la trentaine?
Oui, je me masturbe. Par contre, je ne me rappelle pas l'âge que j’avais quand j’ai commencé. Si je devais donner une approximation, je dirais que c’était à la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine. Ce n’est qu’au début de la trentaine, quand ma dose de testostérone a augmenté que j’ai pu atteindre un semblant d’orgasme. Et encore, ce ne sont pas de très grosses éjaculations.

À quel point es-tu déjà passé proche de perdre ta virginité? As-tu des regrets à propos de ces occasions ou d’autres?
Il y a deux fois où je crois que je suis passé tout près d’avoir une relation sexuelle. La première, c’était avec une femme qui avait environ cinq à sept ans de plus que moi et que je connaissais sur le web depuis plus ou moins un an. J’étais au début de la vingtaine, elle vivait à Portland, mais elle était venue passer un week-end à Vancouver. C’est la première femme avec laquelle j’ai eu des échanges intimes de ma vie. Je ne lui ai pas dit que j’étais vierge, mais elle était au courant de mon problème de santé, et je pense qu’elle s’en est doutée. Nous avons dormi ensemble deux nuits et, la deuxième, on était assez intimes pour qu’elle me laisse la masturber. Par contre, à cause de mon problème de santé, je n’avais aucune pulsion sexuelle à ce moment-là, donc aucune érection. Après son départ, on s’est parlé de moins en moins, puis, finalement, plus du tout.

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La deuxième fois, j’étais au début de la trentaine, une amie que j’avais rencontrée sur le web est venue me visiter à Vancouver. Cette fois-là, c’était différent parce que je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune chimie entre nous. Je nous trouvais trop différents. Peut-être qu’elle avait plus de sentiments envers moi que moi envers elle. La dernière nuit, on a dormi ensemble. Je ne lui avais jamais parlé de ma virginité, mais, encore une fois, je suis sûr qu’elle le savait parce qu’elle a compris qu’à cause de mon problème de santé, je n’aurais aucune pulsion sexuelle. On n’est pas allés aussi loin qu'avec la première femme, mais on s’est fait beaucoup de caresses. Après son départ, même chose, on s'est parlé de moins en moins, puis plus du tout.

Je regrette de ne pas avoir gardé le contact avec elles. Elles étaient toutes deux des femmes exceptionnelles qui avaient confiance en moi et qui étaient à l’aise avec moi. Je sais que j’aurais pu mieux communiquer avec elles. Je ne pouvais pas tout savoir, sexuellement parlant, mais j’en savais assez pour mieux communiquer. Toujours dans les regrets, j’en ai aussi à propos d’occasions ratées. Je m’en veux beaucoup pour ça. Si j’étais une personne différente, qui n’est pas aussi timide dans ce domaine, est-ce que j’aurais déjà rencontré une femme? Si je n’étais pas si sérieux, est-ce que j’aurais couché avec une femme? Je me le demande. Je regrette de ne pas en avoir parlé, en particulier à mes amis. Ce que j’essaie de dire, c’est que je regrette beaucoup de choses, mais par-dessus tout d’être autant perdu dans mes pensées.

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Passes-tu beaucoup de temps sur les sites de rencontres? Trouves-tu que c’est un meilleur contexte pour parler de ta virginité?
J’ai toujours le sentiment de ne pas faire une bonne première impression, en particulier auprès des femmes. Je n’ai pas eu beaucoup de succès avec les rencontres en ligne, mais je suis inscrit sur des sites ou des apps de rencontres depuis une décennie, peut-être plus, en commençant par OKCupid. Avec les rencontres en ligne, j’ai l’impression que je peux laisser ma tête faire le travail. J’ai du temps pour répondre, pour être drôle. Je ne suis pas la personne la plus spontanée, alors les sites ou apps de rencontres me donnent le luxe de prendre mon temps avant de commenter ou de répondre. Ça représente beaucoup pour moi. Il y a aussi un certain degré d’anonymat en ligne. Je pense que c’est en raison de cet anonymat que je suis plus à l’aise de parler de ma virginité.

Est-ce que ta vie sociale a joué un rôle? Avais-tu beaucoup d’amis quand tu étais jeune?
Mes parents ont souvent déménagé. Je suis né ici, mais on a déménagé aux États-Unis quand j’étais très jeune. On déménageait sans arrêt. Quand j’avais cinq ou six ans, j’étais toujours le garçon assis tout seul à l’école. Après le deuxième déménagement dont je me souviens, j’ai essayé de ne pas me faire d’amis parce que je savais qu’on déménagerait de nouveau et que je ne les reverrais plus jamais. À 19 ans, j’avais déjà vécu dans cinq États différents et outre-mer. Ce n’est qu’à la fin de la vingtaine que j’ai commencé à me faire des amis.

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J’ai eu du retard dans tous les aspects de ma vie personnelle, y compris pour ce qui est d'être un bon ami qui sait qu’il peut se montrer vulnérable avec ses amis. Ce n’est que récemment que j’ai compris qu’un cercle d’amis a plusieurs dimensions. C’est exigeant de faire confiance à quelqu’un; ce l’est encore plus de révéler mes secrets. J’ai toujours eu peur qu'ils me rejettent et qu'ils ne veuillent plus me parler s’ils connaissaient le vrai moi. Je comprends ça maintenant et j’essaie d’être meilleur en amitié avec les personnes que j’aime. Je veux être un ami digne de confiance. Je veux être capable de soutenir mes amis en les écoutant et en les encourageant. Pour devenir cet ami, cependant, je sais que je dois être capable de me faire confiance aussi.

Est-ce que des amis ou amoureuses potentielles ont mal réagi ou ont été cruels quand tu as parlé de ta situation? Ou est-ce que cette peur découle non pas de mauvaises expériences, mais d’un pressentiment?
Jamais personne n’a eu de mauvaise réaction ou n’a été cruel quand j’ai parlé de moi. Les personnes à qui j’ai parlé de ma situation ont été soit incrédules, soit très compréhensives. Il me faut beaucoup de temps pour faire suffisamment confiance à quelqu’un pour lui en parler. Je crains toujours, même avec mes amis les plus proches, d’être rejeté ou ridiculisé. Comme tout le monde, je ne veux pas qu’on se moque de moi ou me fasse sentir inférieur. Je veux seulement me sentir normal, ne pas être une anomalie ou une exception statistique. Même si je n’ai jamais été confronté à une réaction négative ou cruelle quand j’ai parlé de ma situation, j’ai toujours peur de ce qu’ils peuvent penser de moi. Je sais que c’est une peur irrationnelle et je pense que le savoir m’aide. J’ai commencé à explorer pour trouver des façons d’y remédier.

As-tu peur de ne pas être bon la première fois que tu auras une relation sexuelle? As-tu peur de ce qui viendra après? On dit qu’on tombe toujours amoureux de la personne avec laquelle on perd sa virginité, et que ça se termine souvent de façon misérable. Penses-tu que ton âge et ton expérience pourraient t’aider, vu que tu n’as pas l’expérience du monde d’un adolescent?
Oh, mon vieux, je sais que la première fois, ce sera lamentable. Les gens le disent, que la première fois, ce n’est jamais à la hauteur des attentes. Et je m’investis trop émotionnellement auprès des gens qui m’intéressent, alors, oui, je crains de tomber amoureux de la personne avec laquelle j’aurai ma première relation sexuelle. D’un autre côté, je pense aussi que, comme je suis assez mature, j’arriverai à réfréner cet investissement émotionnel.

La sexualité est omniprésente dans la culture. Est-ce que c’est difficile de répondre aux attentes sociales?
Oui, absolument. Je trouve que c’est frustrant, déprimant et déchirant de me sentir exclu. Je n’ai pas l’expérience qu’une personne de mon âge devrait avoir, mais je sais comment on se sent quand on aime quelqu’un. Et sexuellement parlant, je sais aussi ce qu’on ressent quand on est attiré par quelqu’un. Par contre, quand j’entends des gens raconter leurs rencontres amoureuses ou des chansons qui parlent d’amour et de sexe, ou même quand je lis sur le sexe, j’ai toujours l’impression d’être un humain anormal.

Est-ce qu'à 40 ans, tu atteins un nouveau degré de frustration? Est-ce que tu sens qu’on réagit différemment maintenant que tu entres vierge dans ta cinquième décennie?
Quand j’étais jeune, j’imaginais qu’à 40 ans, j’aurais eu quelques blondes, je serais marié ou j'aurais été marié. Ça semble normal, non? J’ai l’impression que les comédies romantiques et les émissions avec des histoires d’amour m’ont bousillé le cerveau, dans un sens, parce que j’ai toujours pensé que ma vie serait comme dans la fiction. Voir une femme entrer dans une pièce et tomber amoureux d’elle. Rencontrer de jolies filles. Même me faire laisser. Mais ma vie n’est pas comme ça. Je me rends compte que ce n’est pas réaliste. Ça ne m’empêche cependant pas d’espérer ressentir une attirance réciproque pour une femme et enfin perdre ma virginité.

À 40 ans, je suis bien plus conscient que je suis une anomalie statistique. Toutefois, j’essaie de m’aimer plus pareil. Je comprends que la combinaison de mon problème de santé et des déménagements constants ont créé les conditions qui ont produit une faible estime de soi, un manque de confiance et un manque d’expérience sociale. Je crois que je compose de mieux en mieux avec ces conditions. En grande partie, il s’agit de reconnaître que je ne peux pas me torturer pour des situations sur lesquelles je n’ai aucun contrôle. Et je ne suis pas malheureux tout le temps. J’aime mon emploi, je suis proche de ma famille et je passe du temps avec des amis que j’adore. C'est juste que, de temps en temps, à cause de ma virginité et de mon inexpérience sociale, je me sens complètement à l’écart du reste de l’humanité.

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