À la rencontre du survivant de l’Holocauste qui mène une révolution psychédélique
Illustration de Lia Kantrowitz

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À la rencontre du survivant de l’Holocauste qui mène une révolution psychédélique

George Sarlo finance des recherches sur les drogues, susceptibles d’aider les gens à surmonter un traumatisme comme le sien.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Au fin fond de la jungle mexicaine, dans un village seulement accessible en bateau, George Sarlo, un investisseur en capital-risque âgé de 74 ans, attend de rencontrer son père.

Nous sommes à l'automne 2012 et Sarlo sait bien que sa quête paraît absurde. Après tout, son père est mort depuis plusieurs décennies déjà, et surtout, il n'avait aucun lien avec ces forêts tropicales, ces plages et leurs peuples autochtones. Tandis qu'il observe un chaman préparer une coupe cérémonielle d'ayahuasca, Sarlo se demande pourquoi il a accepté d'avaler cette crème psychédélique une seconde fois, sachant qu'elle vous rend nauséeux.

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Sans doute parce qu'il a fait douze heures de trajet – en avion, en bateau et enfin à pied – pour se rendre jusqu'à cet endroit rustique – une sorte de plate-forme en bois dépourvue de murs. Il a exprimé ses intentions en amont lors d'une séance de thérapie de groupe ; il a suivi un régime spécial et a même arrêté de prendre ses médicaments.

Mais surtout, il a confiance en son ami, le Dr Gabor Maté, un survivant hongrois de l'Holocauste, qui a organisé la thérapie et le voyage. Maté est peut-être plus connu pour son livre, In the Realm of Hungry Ghosts, qui documente le quotidien des consommateurs de drogue par injection de Vancouver. Depuis qu'il a entendu parler du potentiel de l'ayahuasca en 2008, il propose une thérapie psychédélique aux survivants du traumatisme.

Un chaman a assuré à Sarlo que le voile entre les mondes serait plus mince à cette époque de l'année, à savoir le Jour des morts, au Mexique, qui commence le jour d'Halloween et se termine le 2 novembre. Étant donné qu'il a survécu au supplice de la nuit précédente – faite de vomissements et de visions de soldats en couleur sépia – il n'a rien à perdre à essayer de nouveau. Il espère que cette fois-ci, son père lui apparaîtra.

Si sa consommation d'ayahuasca dans une jungle mexicaine n'en est pas la preuve la plus flagrante, George Sarlo personnifie pourtant le rêve américain à bien des égards. L'histoire de son ascension sociale est même représentée au Musée national d'histoire américaine de Washington. En tant que cofondateur de Walden Venture Capital, la société qu'il a créée en 1974 et qui brasse actuellement quelque 107 millions de dollars de fonds, il a supervisé l'investissement de plusieurs milliards de dollars.

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« Il arrive que de petites quantités d'argent et d'énergie aient un impact considérable. C'est ce que je recherche. » – George Sarlo

Via son implication philanthropique, il a mis en place un prix humanitaire portant son nom et délivré par l'International Rescue Committee, a financé deux chaires à l'Université de Californie à San Francisco et a financé l'Immigrant Point Lookout, un joli spot dans un magnifique parc public : le Presidio de San Francisco, situé près du Golden Gate Bridge.

Non loin de là, son propre manoir des années 1920 domine le pont et offre une vue panoramique sur la baie. Le milliardaire Marc Benioff habite le quartier ; de l'autre côté de la rue se trouve l'ancienne maison de Robin Williams.

Me voyant béate devant la beauté de sa demeure, Sarlo, qui est mince avec des yeux bleus intenses, sourit malicieusement et lâche : « Pas mal pour un réfugié, n'est-ce pas ? »

Il m'emmène sur une grande terrasse depuis laquelle je peux voir des falaises, des plages, des surfeurs et, derrière la brume, les promenades de Marin et le mont Tamalpais. Nous sommes bien loin de la maison en terre battue de ses grands-parents à Újfehértó, en Hongrie, et du modeste appartement de ses parents – un commis d'usine textile et une couturière – à Budapest.

Jusqu'à récemment, pourtant, Sarlo n'était pas en mesure de profiter pleinement des plaisirs matériels de sa richesse, de ses voiliers de course à sa maison de campagne avec son propre vignoble. Il ne pouvait pas non plus apprécier la compagnie de ses amis ou de sa famille. « Je ne l'ai pas souvent vu heureux », déclare sa fille Gabrielle, aujourd'hui âgée de 50 ans.

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Pendant une grande partie de sa vie, Sarlo a souffert d'une forme de dépression des plus cruelles : l'anhédonie, ou l'incapacité à ressentir des émotions positives. L'anhédonie draine la joie tirée des interactions et des expériences sociales normalement agréables – et pire, la remplace par de la négligence, de la peur ou de l'appréhension.

Sarlo a compris qu'il était potentiellement dépressif quand ses deux filles étaient adolescentes – elles se plaignaient de son insatisfaction constante. « Elles demandaient : "Papa, comment se fait-il que tu ne t'amuses jamais ? Tu ne ris jamais'' », se rappelle-t-il. Ce n'est qu'après avoir commencé à pleurer sans aucune raison discernable qu'il a fini par chercher de l'aide, et a entrepris un voyage qui le mènerait finalement dans des endroits impossibles à atteindre jusqu'alors.


De nos jours, les preuves d'une possible renaissance psychédélique se manifestent partout en Amérique. La MDMA ne va pas tarder à entrer dans la phase des essais cliniques de phase 3 dans le cadre du traitement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), ce qui signifie qu'elle pourrait être approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) américaine et commercialisée dès 2021. La psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes, en est à un stade similaire. Les recherches suggèrent qu'elle pourrait aider à gérer l'anxiété et la dépression associées au cancer, mais aussi à arrêter de fumer. De son côté, la kétamine est déjà largement utilisée pour lutter contre la dépression, depuis qu'une série d'essais a démontré qu'elle pouvait agir rapidement, contrairement aux antidépresseurs existants qui mettent souvent des semaines à prendre effet.

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En attendant, un sondage YouGov publié ce mois-ci a révélé que près de deux tiers des adultes américains seraient disposés à essayer la MDMA, la kétamine ou la psilocybine s'il était prouvé que ces drogues peuvent traiter leur maladie. En avril dernier, une conférence scientifique portant sur la recherche autour des drogues produisant des visions, des expériences extracorporelles et transcendantes comme l'ayahuasca, la psilocybine et le LSD a été suivie par plus de 3 000 personnes, dont Tom Insel, ancien directeur du National Institute of Mental Health.

Deux livres récents et controversés – A Really Good Day: How Microdosing Made a Mega Difference in My Mood, My Marriage and My Life de Ayelet Waldman et Stealing Fire: How Silicon Valley, the Navy SEALs, and Maverick Scientists Are Revolutionizing the Way We Live and Work de Steven Kotler et Jamie Wheal – vantent les avantages de ces substances pour traiter tout et n'importe quoi, de la dépression au SSPT, en passant par l'amélioration de la créativité et de la productivité.

« Microdoser », c'est-à-dire prendre de petites quantités de drogue de sorte à ce qu'elles ne modifient pas sensiblement la conscience, est à la mode dans la Silicon Valley et ailleurs. Même le New Yorker a mis son grain de sable en publiant un article narquois sur la consommation d'ayahuasca chez les hipsters de Brooklyn.

Sarlo est un acteur majeur de cette révolution – il finance des recherches, met en contact divers experts et leur offre les ressources dont ils ont besoin pour avancer. « Il sert de liaison, déclare le Dr Maté. Il est important, non seulement parce qu'il offre des financements et fait avancer les choses, mais aussi parce que sa maison fait office de lieu de discussion. »

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Selon Vicky Dulai, directrice de Compassion for Addiction, une des associations caritatives de Sarlo, ce dernier a pour l'instant fait don de près de deux millions de dollars à la recherche psychédélique - une somme substantielle étant donné que ni le gouvernement ni les grandes industries pharmaceutiques ne sont prêts à financer les études nécessaires pour mettre ces drogues sur le marché.

« Il fait preuve de beaucoup de perspicacité », explique Bob Jesse, ancien dirigeant d'Oracle, désormais membre du conseil d'administration de l'Usona Institute, une organisation à but non lucratif qui fait ce que les sociétés pharmaceutiques font habituellement : dans ce cas précis, elle s'occupe du financement, du sponsoring et de la gestion des essais sur la psilocybine, dans le but d'approvisionner le marché si une version de la drogue est approuvée par la FDA.

Bob Jesse explique : « Un vrai capitaliste a une certaine sensibilité, une intuition. Il va trouver les secteurs et les projets qui vont fonctionner, alors que beaucoup de gens lancent des idées impossibles à mettre en place. De plus, George est prêt à financer des partenariats. » Sarlo a versé 100 000 dollars à Usona.

Dans l'ensemble, l'objectif principal de Sarlo est de soutenir la recherche et de trouver des moyens de déstigmatiser ces drogues afin qu'elles puissent éventuellement être consommées de manière légale, efficace et sécurisée dans des contextes appropriés. « Pour moi, le plus important est de trouver les points de bascule, déclare Sarlo. Il arrive que de petites quantités d'argent et d'énergie aient un impact considérable. C'est ce que je recherche. J'aimerais pouvoir dépenser tout mon argent, mais je n'ai pas suffisamment l'opportunité de le faire. »

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Le choc entre la science et la spiritualité se pose inévitablement dans le monde des psychédéliques, ce qui rend cette entreprise difficile, même pour quelqu'un d'aussi riche. À l'époque de Donald Trump et du procureur général Jefferson Sessions, la crainte du retour à l'âge obscur de la diabolisation de toutes les substances psychoactives est palpable.

Toutes les photos sont de Ulysses Ortega

Au cours de sa deuxième expérience d'ayahuasca, les visions de Sarlo l'ont éloigné de la forêt tropicale humide. Cette fois, dit-il, il a été transporté vers ce qui semblait être un champ enneigé à la lisière d'une forêt. Des hommes squelettiques se tenaient comme des statues, gelés, en formation militaire. Quelques-uns portaient encore des restes de l'uniforme rayé caractéristique des travailleurs forcés de la Seconde Guerre mondiale.

« Ils sont tous couverts de neige, sauf un squelette qui se démarque et, pour une raison quelconque, je sais qu'il s'agit de mon père », me raconte-t-il.

À l'intérieur du cerveau de Sarlo, une drogue appelée DMT a vraisemblablement atteint les récepteurs qu'elle ciblait, qui sont normalement occupés par la sérotonine, impliquée dans la régulation de l'humeur et de la sensation. Comme les psychédéliques classiques – le LSD et la psilocybine – le DMT est actif dans un récepteur sérotoninergique appelé 5HT2A, considéré comme étant responsable de la distorsion de la réalité, caractéristique de certaines drogues.

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L'ayahuasca est un mélange puissant de vigne Banisteriopsis caapi, de feuilles de Psychotria viridis (chacruna) et de Diplopterys cabrerana (chagropanga). En soi, aucun de ces ingrédients n'est fortement psychoactif. Mais lorsqu'ils sont cuits ensemble, l'inhibiteur d'enzyme de la « vigne de l'âme » permet au DMT contenu dans les feuilles de modifier profondément la conscience.

Le breuvage a été utilisé pendant des millénaires par les peuples sud-américains et a été porté à l'attention de la science occidentale par l'ethnobotaniste Richard Schultes. Les beatniks américains et les explorateurs psychédéliques l'ont d'abord connu sous son autre nom – Yage – dans The Yage Letters, livre de William Burroughs et Allen Ginsberg paru en 1963.

« Il se sentait plus léger et, à bien des égards, notre relation a évolué de manière miraculeuse… Il est devenu le père que j'avais toujours rêvé d'avoir. » – Gabrielle Sarlo

Sarlo a vu son père pour la dernière fois en 1942, quand il était âgé de quatre ans. Il se souvient du dernier jour qu'il a passé avec lui : il a vu son père blêmir en lisant le télégramme lui annonçant qu'il allait être enrôlé. Mais le lendemain matin, en se dirigeant vers la porte, ce dernier n'a même pas pris la peine de réveiller son fils pour lui faire un bisou d'adieu. « J'ai cru qu'il ne revenait pas parce que j'étais un mauvais garçon, se rappelle son fils. C'est ce que j'ai toujours cru. »

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En tripant au Mexique et en sentant une présence à côté de lui sur ce champ gelé – qu'il a reconnue intuitivement comme étant l'esprit de son père – Sarlo a posé les questions qui le tourmentaient depuis des années. La première : « Pourquoi ne m'as-tu pas dit au revoir ? » Il a entendu une voix familière lui répondre : « Je ne voulais pas te réveiller. Je pensais être de retour le jour même. J'étais censé être un homme intelligent. Je pensais pouvoir m'en sortir ».

Puis Sarlo a demandé : « Voici la grande question : Est-ce que tu m'aimais ? » Son père a indiqué le squelette qui dépassait le plus clairement ; sa bouche était ouverte, comme s'il s'apprêtait à parler. « Regarde-moi. C'est mon dernier souffle, et avec mon dernier souffle, je t'ai béni et j'ai promis de veiller sur toi toute ta vie ».

Soudainement, après cette « interaction », des années de douleur ont commencé à se dissoudre. Le fardeau de ne pas avoir de père, de se sentir indigne et indigné ; la peur qui avait dominé son enfance en tant que juif dans une Hongrie occupée par les nazis, où chaque jour s'accompagnait de nouvelles restrictions, de famine et de surpeuplement ; la bombe qui était tombée dans la cour mais n'avait pas explosé ; l'incident au cours duquel il s'était caché sous le manteau d'un homme dans un train et avait regardé la baïonnette d'un soldat glisser miraculeusement devant lui sans le blesser ou le faire crier.

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Des décennies de traumatismes et de dépression accumulés ont commencé à disparaître. « Je me sentais faible, mais plus léger. J'étais soulagé. Je ne peux pas dire que j'étais content, mais je me sentais bien », déclare Sarlo.

Plus remarquable encore, la transformation a persisté au cours des années. « Il a changé de bien des façons, avance sa fille Gabby. Il est devenu plus gentil, plus compatissant, plus compréhensif envers les autres, plus ouvert. Il se sentait plus léger et, à bien des égards, notre relation a évolué de manière miraculeuse… Il est devenu le père que j'avais toujours rêvé d'avoir. »

Les gens désireux de combiner le scientifique et le mystique font face à des questions complexes. Par exemple : George Sarlo a-t-il vraiment rencontré son père ? D'ailleurs, la véracité de ces expériences importe-t-elle ?

Pour sa part, Sarlo dit que, d'abord, une partie de lui a raisonné : « OK, c'était dans mon esprit depuis de nombreuses années. Toute cette envie s'est accumulée dans mon subconscient et lorsque j'ai pris cette drogue, quelque chose s'est ouvert et j'ai vu et entendu ce que je voulais voir et entendre. » Mais il n'a pas pu se contenter de cette explication : « L'autre partie de moi pensait : Il y a une sorte de monde au-delà de celui que nous connaissons. »

Cela l'a poussé à en savoir plus sur l'histoire des travailleurs forcés hongrois et la manière dont ils sont morts pendant la guerre, et il n'a rien trouvé qui ait décrédibilisé le scénario qu'il a vécu. Son père aurait très bien pu mourir comme il l'a vu dans sa vision ; ce n'était pas historiquement incorrect.

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« C'est une préoccupation passionnante », explique le Dr Robin Carhart-Harris, qui dirige la recherche psychédélique au Imperial College de Londres et a étudié la psilocybine. « C'est poignant. Ces souvenirs ont l'air si réels ».

« Que se passe-t-il vraiment quand nous mourrons ? Nous ne savons pas. Ne faites pas semblant de savoir. » – Roland Griffiths

Mais alors que la médecine peut facilement accepter de nouveaux produits ayant des effets quantifiables, il sera beaucoup plus difficile de légaliser des traitements qui laissent certains patients croire qu'ils ont communiqué avec les morts et ont découvert le monde de l'au-delà – ou même rencontré Dieu.

Maté, qui utilise l'ayahuasca légalement dans son travail clinique, déclare la chose suivante : « Les gens ont toutes sortes de visions. Ils transmettent des vérités puissantes et mon travail consiste à aider les gens à identifier et à intégrer ces vérités… Dans le cadre du travail, peu importe ce que je crois. » De son côté, Robin Carhart-Harris reconnaît que, sur le plan thérapeutique, la véracité du contenu de la vision n'importe pas. « Même si je ne pense pas qu'il ait transcendé le temps et l'espace, je crois que l'expérience venant de l'esprit de George est significative. »

Mark Kleiman, professeur au Marron Institute de l'Université de New York et expert en politique de la drogue, ne considère pas les expériences psychédéliques comme une « vérité », même s'il affirme que les drogues ont un potentiel important. « Je suis toujours coincé dans le cartésianisme des Lumières, explique-t-il. Ça compte. »

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Roland Griffiths, professeur de psychiatrie à Johns Hopkins, en est moins certain. « Vous posez des questions auxquelles il est impossible de répondre », déclare-t-il. En 2000, Griffiths a obtenu l'approbation du gouvernement des États-Unis pour mener une étude sur les effets de la psilocybine chez des individus en bonne santé, ce qui a marqué la renaissance de la recherche dans ce domaine.

« La rencontre du parent décédé est une variation du mystère de ce qui se passe après la mort », déclare-t-il, notant que les mêmes récits sont fréquents après des expériences de mort imminente. Il reconnaît que les réductionnistes interprètent une telle expérience comme une réponse psychologique générée par le cerveau, mais selon lui, le mystère de la conscience demeure. « Que faisons-nous ici, de toute façon ? Comment sommes-nous devenus conscients ? Que se passe-t-il vraiment lorsque nous mourrons ? Nous ne savons pas. Ne faites pas semblant de savoir. Je n'ai aucun mal, même en tant que scientifique, à dire qu'il existe des choses que nous ne pouvons tout simplement pas expliquer. Je suis disposé à me reposer dans le mystère. »

Une autre question importante est soulevée par ces visions. L'expérience psychologique consécutive à une prise de drogue psychédélique vous permet-elle de guérir directement, ou s'agit-il de l'un des effets secondaires d'un produit qui, de toute façon, vous aurait guéri ? L'industrie pharmaceutique et les organismes gouvernementaux comme le National Institute on Mental Health parient qu'il s'agit de simples effets secondaires. En d'autres termes, ils essaient de développer de nouveaux médicaments qui ont les effets curatifs des psychédéliques sans l'expérience mystique que les consommateurs récréatifs ont tendance à chercher.

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Par exemple, une recherche en cours vise à développer un médicament qui aurait le même effet antidépresseur que la kétamine, mais sans voyage extracorporel. (Un succès permettrait la création de produits qui – contrairement aux psychédéliques existants – pourraient être brevetés, au passage.) Johnson & Johnson, Naurex et AstraZeneca ont tous réalisé de tels tests.

Lisa Monteggia, professeure de neurosciences à l'université du Texas à Dallas, a étudié la façon dont la kétamine lutte contre la dépression. Selon ses propres recherches, elle pense que les effets d'altération de conscience peuvent être dissociés des effets thérapeutiques. La bonne dose du composé approprié pourrait « permettre la conception de stratégies de traitement contre les troubles neuropsychiatriques sans les effets secondaires indésirables de ces médicaments », m'explique-t-elle.

Mais bon nombre des chercheurs psychédéliques pensent que cette quête est peu susceptible de porter ses fruits : en effet, jusqu'à présent, les composés s'inspirant de la kétamine mais sans effet d'altération de conscience n'ont pas battu le placebo.

Cela suggère que l'expérience émotionnelle, son contenu psychologique et la façon dont vous tirez une signification de ce trip peuvent vraiment être importants. Plusieurs études montrent que les personnes qui connaissent les éléments les plus intenses d'une expérience « mystique » pendant les sessions psychédéliques sont plus susceptibles de profiter de changements positifs.

Ces éléments comprennent le sentiment d'une « unité » avec les autres et l'univers, une dissolution de soi (« la non-dualité »), un sentiment d'émotion ou de caractère sacré, le sentiment que le temps et l'espace ont été transcendés, une expérience de grande paix, le bonheur et le calme – et la sensation écrasante que ce qui s'est passé est significatif et représente une vérité profonde. Par exemple, dans une étude basée sur l'utilisation de la psilocybine pour aider des fumeurs à arrêter, le succès a été fortement lié à une expérience mystique complète. 80 pour cent des patients ont réussi à arrêter de fumer – un taux bien supérieur à celui observé avec d'autres méthodes.

De même, la recherche sur la consommation de psilocybine a également démontré un lien fort entre le ressenti de ces émotions mystiques et la réduction à long terme de la détresse. Et une étude sur la kétamine a révélé que de plus grandes sensations « extracorporelles » étaient liées à de meilleures chances de soulagement de la dépression.

« C'est théoriquement possible, mais cela me semble improbable », déclare Griffiths à propos de l'idée de retirer l'altération de conscience de la médecine psychédélique. « Une partie de la nature de l'expérience a à voir avec l'interprétation… Ça repose beaucoup sur la création de sens. »


De manière cruciale, les études contemporaines suggèrent que les craintes concernant les dommages à long terme des hallucinogènes classiques comme le LSD et la psilocybine sont excessives et se rapportent à l'utilisation de doses inappropriées dans des environnements incontrôlés. « Il existe certainement des risques et il est important de ne pas les minimiser, explique Griffiths. Mais ils ne sont pas aussi dévastateurs ou répandus qu'on aurait pu l'imaginer. »

Néanmoins, des chercheurs et des sympathisants comme Sarlo reconnaissent qu'il est important de ne pas laisser la hype et l'espoir surpasser les faits. « Tout nouveau traitement dans l'histoire de la psychiatrie, qui remonte à des milliers d'années, fonctionne très bien au début, puis ne fonctionne plus si bien », explique le Dr Allen Frances, professeur émérite à Duke. « Le matraquage publicitaire originel exagère toujours les avantages potentiels et minimise les risques très réels », ajoute-t-il, avant d'avertir que ce qui fonctionne bien dans de petits échantillons peut également causer des dommages graves s'il est généralisé.

Pour sa part, Sarlo veut aider les autres à trouver le soulagement qu'il a connu. Son histoire soulève la question suivante, majeure : si un capitaliste sceptique avec un diplôme en génie électrique peut surmonter des traumatismes liés à l'Holocauste grâce à une consommation prudente de ces drogues, qu'est-ce que cette même drogue pourrait faire pour améliorer le quotidien d'autres malades ?

« Selon moi, les psychédéliques devraient être considérés comme une sorte des médicaments transformateurs, conclut George Sarlo. Ils ont le potentiel de changer le monde. »

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