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Culture

À Los Angeles, un distributeur Instagram fait polémique

Il prétend être un moyen d’acheter des likes et des followers alors qu'il fait, en réalité, la promotion du film « Social Animals », qui critique les influenceurs.
Un homme devant la machine Instagram
Photos publiées avec l'aimable autorisation de Conscious Minds.

Si vous avez eu la chance de parcourir les spots touristiques de Los Angeles récemment, vous êtes peut-être tombé sur un distributeur qui vous invitait expressément à insérer votre carte bleue afin d’acheter ce qui ressemblait à des boîtes de bonbons, mais qui étaient en vérité des boîtes de « like & likes, » de « citations pleines d’esprit » ou de « DM sliders. » Pour 10 dollars, vous pouvez acheter 1 000 faux followers pour votre profil Instagram. Vous pouvez acheter un « hashtag 8 ball » qui vous dira si vous pouvez poster la réplique que vous avez en tête ou si vous feriez mieux de la garder pour vous. Cette machine itinérante et pour le moins psychédélique, que j’ai croisée au Ace Hotel, dans le centre-ville de LA, fait en réalité partie d’une opération de promotion pour un nouveau film-documentaire qui a été mis en ligne sur iTunes mi-décembre, Social Animals. Ce docu suit pendant deux ans la vie, avec ses hauts et ses bas, de trois adolescents qui aspirent à devenir des stars d’Instagram. Le film a été bien reçu lors des premières diffusions au SXSW en mars. On y rencontre le jeune photographe de rue autodidacte et un peu fou Humza Deas, originaire du Queens, mais aussi Kaylyn Slevin, qui aspire à devenir une prêtresse de la mode, et enfin Emma Crockett, étudiante de l’Ohio, qui représente la majorité d’entre nous, c'est-à-dire ceux qui essaient simplement d’exister dans le champ de mines que représentent les réseaux sociaux aujourd’hui.

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L’équipe marketing du film, Conscious Minds, a disposé deux distributeurs dans des lieux très touristiques de Los Angeles comme Venice Beach, Melrose et le Walt Disney Concert Hall. Ces machines ont passé, à chaque fois, quelques heures sur place, et les spectateurs se sont rapidement mis à les prendre en photo et à faire des selfies avec. D’après Blake Heal, producteur de Social Animals, les gens ont acheté plus d’une centaine de produits proposés par ces distributeurs. Parfois de simples blagues, parfois de véritables devises Instagram dans un emballage à la con. Dans ce dernier cas, l’acheteur doit envoyer un code par message privé à la page Instagram de Social Animals, et l’équipe marketing lui offre des followers et des likes venant de différents sites tels que buzzoid et igramfollower.

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L’idée est que les profits réalisés aillent à Reboot and Recover, une organisation à but non lucratif qui essaie de fournir aux gens une éducation et des moyens d’éviter de tomber dans une addiction aux réseaux sociaux ou dans des situations de cyber harcèlement. L’acheteur reçoit également une copie du film, et les producteurs espèrent qu’il lui permettra d’avoir un point de vue plus critique au sujet de la culture par laquelle il se fait consommer. L’une des machines s’est ensuite dirigée vers San Francisco où elle a été installée devant les sièges d’Instagram et de Facebook, et dans d’autres lieux où son message pourrait avoir un impact fort.

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Certains des produits à vendre visent clairement à se moquer de ceux qui en font un peu trop sur Insta. Par exemple, la « main-forte » est une prothèse de main que vous pouvez utiliser sur les photos pour avoir l’air accompagné. Le « pouce spa » est à utiliser lorsque l’on a besoin d’une pause de scroll : c’est un peignoir en forme de pouce, avec des mini-concombres et de la lotion. Mais parmi les produits les plus populaires disponibles dans les distributeurs, on trouve les likes et les followers, pour lesquels il existe un véritable marché sur lequel s’est d’ailleurs penché Instagram ces dernières années, promettant plus de vigilance. Même si lors d’un entretien, Heal m’a dit que, d’après lui, Instagram est plus concentré sur des follows massifs. « Sincèrement, je ne crois pas qu’Instagram soit aussi sévère qu’ils le disent envers chaque individu, m’a-t-il expliqué. Ils se concentrent plutôt sur les influenceurs qui mentent en prétextant avoir des millions de followers. »

En Russie, une machine similaire, un distributeur Instagram, mais plus simple, avait fait les gros titres de la presse en 2017. Mais celle-ci laisse aux gens le loisir de découvrir que toute l’affaire est destinée à se moquer d’eux. Au milieu du distributeur, une ligne vend un « produit » qui fait la promotion de Social Animals sur lequel il est écrit : « Si vous n’avez pas pu aller en thérapie cette semaine, ou si vous n’avez pas encore réalisé que vous en avez besoin, regardez ce film. Il va vous éclairer sur votre propre comportement. »

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Le documentaire a pour but de mettre en garde les gens qui se retrouvent pris dans le monde d’Instagram. Mais comme on pouvait s’y attendre, les « produits » pleins d’esprit valent vraiment le coup d’œil. Pour le dire autrement, si les gens achètent des trucs qui se moquent ouvertement des influenceurs, ils pourront tout de même les partager d’une façon ou d’une autre, prouvant ainsi qu’ils aiment briller sur Instagram. Pourquoi iriez-vous acheter un de ces produits sinon pour le partager via une photo ou en personne afin d’obtenir une valeur sociale quelle qu’elle soit ? Si certains produits ne vous apporteront pas littéralement des likes ou des commentaires, peut-être qu’ils en généreront si vous les partagez sur Insta. On peut être critique envers Instagram sur Instagram. On peut même adopter une démarche en ligne qui met en avant le fait d’être une personne qui vit dans l’instant présent, quelqu’un qui fait la promotion de la méditation ou d’instants magiques dans la nature. À un autre niveau, les créateurs de ce distributeur s’engagent auprès des gens dans la vraie vie, mais toujours en utilisant leur science des réseaux sociaux pour attirer un large public.

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D’autres projets ont porté les critiques envers les phénomènes Internet dans le monde réel. Dernièrement, une expérience a été menée par la Columbia Journalism Review, qui a pris des faux titres de presse d’Internet et les a placés sur des faux journaux installés dans des kiosques dans New York. Dans ces journaux, un pamphlet expliquait comment les consommateurs peuvent déceler et éviter les fake news. Mais cet exemple met également en lumière le problème de ce genre d’expérience : à quel point sont-elles efficaces ? Il est difficile d’imaginer qu’une personne suffisamment obsédée par Instagram pour s’acheter 1 000 faux followers, s’ouvre, d’un seul coup, à une nouvelle perspective en réalisant que la machine se moque d’elle. Et il existe toujours la possibilité qu’une personne achète ces produits en toute honnêteté pour booster son profil, surtout via l’anonymat de ces sites web.

Rendons tout de même à César ce qui lui appartient et soulignons que Social Animals a été majoritairement reçu de manière positive, et vu comme un tableau, fait avec compassion et sans jugement, des batailles et des victoires de ses trois protagonistes. Le directeur Jonathan Ignatius Green pousse le film au-delà de la façon dont les adolescents utilisent Instagram, pour y incorporer des questions comme celle de savoir pourquoi leurs hobbies et leurs expériences de vie les ont conduits à attacher autant d’importance aux sujets pour lesquels ils sont connus sur Internet. En voyant le film, on a le sentiment que même si Instagram n’avait jamais existé, Deas, le jeune photographe, serait tout aussi passionné par la photo ou que Slevin aurait quand même beaucoup d’intérêt pour l’entrepreneuriat. Cette petite touche de légèreté suffit à donner un ton moins accusateur que ce à quoi on pourrait s’attendre au début, lorsqu’on voit le mauvais côté d’Instagram, comme les commentaires cruels que reçoivent certains influenceurs parmi les plus connus ou l’angoisse que peut générer le sentiment de se sentir marginalisé sur les réseaux.

Il n’est pas surprenant que le distributeur Instagram soit allé plus loin, avec ses commentaires, que le film, plus nuancé, dont il fait la promotion. Les pros qui sont derrière les campagnes marketing du film sont connus pour leur utilisation de stratagèmes élaborés. Comme lorsque Deadpool 2 a créé un faux compte Tinder, des cartes de vœux et une campagne publicitaire qui plaçait ses personnages dans les affiches d’autres films. Ou quand The Dark Knight Rises a envoyé des fans dans 300 des plus grandes villes du monde, dans une grande course pour trouver et photographier un graffiti de Batman qui pourrait leur faire gagner le droit de regarder le troisième trailer du film. Mais les distributeurs Instagram de Social Animals méritent quand même d’être mentionnés pour leur méta-commentaire sur le sujet dont ils font la publicité, en utilisant des produits qui offrent des avantages dans notre culture actuelle pour ensuite, rediriger l’argent, en douce, vers des associations qui visent à la démanteler. Le distributeur est la preuve que le film est nécessaire, mais aussi qu’il est impossible d’échapper à l’influence des réseaux sociaux dans tous nos modes de communication, même en chair et en os.

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