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Des étudiants de l’Université Carleton exigent le retrait d’une statue de Gandhi

Le Mahatma a été décrit comme un guide spirituel pionnier de la résistance passive et de la non-violence. Mais des détracteurs le décrivent comme un raciste et un misogyne.
La statue en bronze de Gandhi sur le campus de l’Université Carleton, à Ottawa. Source : La Presse canadienne

Chaque hiver, à l’Université Carleton, on couvre affectueusement une statue de Gandhi de chapeaux et d’écharpes pour lui éviter de prendre froid.

Mais cet hommage repose sur un mensonge, disent des détracteurs de plus en plus nombreux. Ils exigent que l’université enlève cette statue, affirmant qu’en dépit de sa réputation, Gandhi était misogyne, raciste envers les Africains noirs et partisan du système de caste en Inde.

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« Pour déifier Gandhi, il faut effacer des gens de l’histoire. On laisse de côté le fait que son activisme dans son ensemble s’est fait au détriment de certains segments de la société », explique Kenneth Aliu, président de l’association des étudiants en études africaines de Carleton. Son texte d’opinion dans le journal de l’école a déclenché un débat sur le campus.

« Il racontait que la lutte indienne est une lutte continuelle contre les kaffirs [les Noirs de l’Afrique australe], qui veulent vivre dans la sauvagerie et la nudité. Je ne me vois pas vénérer cet homme. Tout ce que j’ai appris sur lui était un mensonge. »

Le débat actuel à l’Université Carleton n’est pas un cas isolé. La statue a fait l’objet de critiques dès son dévoilement en 2011, et, dans le monde ces dernières années, des commémorations en l’honneur de Gandhi ont aussi été contestées.

En 2016, préoccupée par les questions de racisme, l’Université du Ghana a décidé de retirer une statue de Gandhi de son campus. La même année, l’inauguration d’une statue de Gandhi dans un parc public près de Sacramento, en Californie, a donné lieu à une vague de protestations de la part d’immigrants issus de populations minoritaires de l’Inde. Mais la statue est toujours là. En 2013 et 2010, des manifestations similaires avaient eu lieu autour de statues de Gandhi en Californie, à Cerritos et à San Francisco. Là aussi, les manifestants n’ont pas réussi à les faire disparaître.

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Les accusations contre Gandhi sont nombreuses : on dit qu’il a dormi nu avec de jeunes filles pour tester sa chasteté; qu’il a œuvré à empêcher la caste des intouchables d’être reconnue comme un groupe politique distinct; qu’il employait fréquemment le terme péjoratif « kaffirs »; qu’il avait exigé que les Indiens en Afrique du Sud soient séparés de la population locale.

Le débat que le texte de Kenneth Aliu a déclenché sur le campus s’est propagé dans les médias sociaux. De nombreux étudiants se sont prononcés pour ou contre le retrait de la statue. La direction de l’Université Carleton affirme n’avoir actuellement aucune intention de retirer la statue de Gandhi, qui a été offerte à l’école par le haut-commissariat de l’Inde en 2011.

Beaucoup d’encre a coulé sur ce sujet. En 2011, l’État indien du Gujarat a décidé d’interdire le livre Great Soul de Joseph Lelyveld, en raison des affirmations de l’auteur sur le racisme et la vie sexuelle de Gandhi. Plus récemment, le livre The South African Gandhi, d’Ashwin Desai et Goolem Vahed, a fait sourciller en alléguant que Gandhi était un partisan inflexible de l’impérialisme britannique en Afrique du Sud. Les auteurs rapportent un incident qui serait survenu lors du séjour de Gandhi en Afrique du Sud : il aurait refusé d’utiliser la même entrée du bureau de poste que les Sud-Africains et exigé que les Indiens aient leur propre entrée.

Les universitaires sont profondément divisés sur la question de savoir si, au 21e siècle, on devrait rendre hommage à Gandhi et, le cas échéant, comment. « L’idée selon laquelle l’attitude raciale de Gandhi ne conviendrait pas en 2018 est une thèse difficile à soutenir », dit Hans Bakker, professeur de sociologie à la retraite de l’Université de Guelph, qui a beaucoup écrit sur Gandhi et publié le livre Gandhi and the Gita en de 1993. « Quiconque prétend être en quelque sorte supérieur à Gandhi en matière de relations raciales devrait aller vivre dans une situation aussi dangereuse, puis se montrer digne des idéaux les plus élevés. »

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Selon Chinnaiah Jangam, professeur d’histoire de l’Asie du Sud à l’Université Carleton, Gandhi n’a jamais considéré les Africains comme égaux aux Indiens, bien qu’il ait lui-même été traité par les Britanniques comme un citoyen de deuxième classe. « Gandhi est issu d’une classe supérieure, très privilégiée, et n’a jamais été capable de se voir comme une personne défavorisée. C’est pourquoi l’humiliation raciale l’a profondément blessé, dit Jangam. Ça ne lui a pas fait prendre conscience qu’il y avait des gens en dessous de lui. C’est une erreur majeure de sa part. »

Par contre, il ajoute qu’il y a d’autres aspects que les étudiants devraient considérer avant d’essayer de faire retirer la statue. « Gandhi était un homme très intègre qui croyait en l’humanité et en l’éthique, malgré ses problèmes avec les notions de race et de caste. » Ses limites sont « parfaitement compréhensibles, parce qu’il était le produit de sa propre caste et de son propre contexte. Une chose qu’avait absolument Gandhi, c’était de la compassion pour l’humanité. Voyez-le dans ce contexte. »

S’agit-il de révisionnisme historique? D’une attaque injuste contre un géant d’une génération différente? Ou d’une réévaluation nécessaire d’un personnage surévalué? La controverse autour de la statue de Gandhi fait écho à d’autres polémiques sur l’histoire survenues ces dernières années.

Par exemple, lors des célébrations du 150e anniversaire du Canada, des polémiques ont éclaté au pays au sujet de la commémoration de personnages historiques qui ont été associés à des politiques racistes : les libéraux fédéraux ont rebaptisé l’édifice Langevin à Ottawa, en raison du rôle joué par Hector-Louis Langevin dans la mise en place des pensionnats autochtones; la ville de Halifax a retiré une statue d’Edward Cornwallis, et des gens ont demandé que soient renommés plusieurs sites portant le nom de Jeffrey Amherst, à cause du traitement réservé aux autochtones par leurs éponymes.

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Des militants œuvrent également pour que soit renommée l’Université Ryerson, nommée ainsi d’après Egerton Ryerson, et les écoles portantle nom du premier premier ministre du Canada, John A. Macdonald, en raison de politiques que beaucoupqualifient maintenant de génocidaires.

Bien qu’on ne compte que 13 écoles John A. Macdonald au Canada, il y a eu polémique. Un sondage réalisé en 2017 par Angus Reid a montré que 55 % des Canadiens s’opposaient au retrait du nom de Macdonald des écoles, tandis que 25 % souhaitaient le retrait.

La question de l’approche appropriée quand un personnage dont les idées sont maintenant rejetées, car jugées offensantes, par la société d’aujourd’hui, a aussi divisé les historiens. Certains pensent qu’il est mauvais de juger notre passé à travers le prisme du présent et d’autres affirment qu’il est grand temps de le faire.

« L’approche du politiquement correct est débridée, et ça ne s’arrêtera pas tant que nous n’aurons plus d’histoire », dit l’historien Jack Granatstein. D’après lui, les controverses entourant les commémorations sont « menées par des groupes qui défendent leur propre programme », et beaucoup d’historiens en font autant. « Les historiens se sont rangés du mauvais côté, alors, franchement, je n’ai plus aucun espoir que le bon sens prévaudra. »

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Jesse Palsetia, historien spécialiste de l’Asie du Sud à l’Université de Guelph, a un point de vue plus nuancé sur cette question. « Le premier exercice dans le réexamen du retrait des statues, c’est le réexamen de nos valeurs, et non pas nos valeurs passées. C’est évidemment lié à l’histoire, mais il est surtout question de nos valeurs actuelles et de leur représentation », dit-il.

Dans le cas de la statue de Gandhi, il estime que l’Université Carleton devrait la conserver. « Les motivations de Gandhi n’étaient pas de promouvoir l’esclavage, la domination raciale, ni de perpétuer des images négatives de peuples entiers, comme l’ont fait certains personnages historiques dont les statues sont controversées et ont été réévaluées dernièrement », estime-t-il.

Chinnaiah Jangam conclut en relevant que ce débat a quelque chose d’ironique. Il rappelle que Gandhi n’a jamais voulu de statues ou de commémorations en son honneur. « Qu’il y ait une statue de Gandhi sur le campus ou non, ce n’est pas le choix de Gandhi. C’est le choix d’Indiens puissants qui ne respectent pas ce qu’il a dit. Gandhi n’a jamais voulu qu’on érige des statues. »

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