grève RATP SNCF france
Illustration : Pierre Thyss

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Life

Grâce à la grève, je peux enfin ne rien faire

Mon éloge de l’immobilisme le plus total.
Paul Douard
Paris, FR

Je ne comprends pas les gens. Incapables de rester en place et angoissés à l’idée de n’avoir nulle part où aller le weekend prochain, ils sautillent seuls le soir devant un feu rouge comme pour ne pas s’autodétruire. Leur constant besoin de mouvement m’épuise autant que des enfants dans un carré famille. Malgré un large éventail de moyens pour ne pas croiser mes congénères – comme rester chez moi – je ne peux néanmoins pas les éviter éternellement. La vie fait que je dois me rendre chaque jour à mon travail, partir au moins deux fois par an avec des amis et dans la mesure du possible, organiser un voyage plus long dans un pays en voie de développement pour « découvrir le monde ». Pour moi, c'est un supplice. Déjà parce que bouger implique de côtoyer des gens. Mais heureusement pour moi, la grève générale qui touche tous les transports en France me permet d'échapper à tout cela sans avoir à me justifier. Grévistes, merci.

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En 2016, 34 millions de Français sont partis en vacances. C’est beaucoup trop à mon sens. Toujours plus de file d’attentes aux aéroports, de personnes qui se trompent de voiture dans les trains et de jeunes covoituristes qui veulent discuter avec moi. Le voyage est quelque chose d’agréable, mais le transport qui l’y conduit peut quant à lui me donner envie de poser ma tête sur une voie de TGV en attendant que ce dernier vienne la pulvériser. Ne faisant pas partie des 0,1% les plus riches de la population mondiale qu’on ne voit jamais, me déplacer revient à m’entasser avec d’autres dans des bennes à ordures que l’on propulse tantôt dans le ciel, tantôt sur des voies ferrées. Victor Hugo disait « Voyager, c'est naître et mourir à chaque instant. » Alors qu’il ne connaissait pas encore l’Enfer que représente une gare RER, l’homme avait déjà vu juste. La grève me permet donc de ne plus utiliser ces transports qui suintent la transpiration de millions de Français.

Depuis que je ne suis plus jeune (selon l’INSEE, un jeune a entre 18 et 24 ans), ma vie peut parfois se résumer à réserver des billets de train sous la contrainte pour des choses que je n’ai pas envie de faire. Si j’abdique régulièrement, ce n’est pas par manque de courage : je suis prisonnier d’un système. La facilité avec laquelle je peux aujourd’hui être transporté me plonge dans une profonde angoisse. Malgré mon apparente nonchalance, j'ai tendance à dramatiser les enjeux dès qu'il s'agit de prendre une décision pouvant me faire sortir des rails sur lesquels mon existence est engagée. Dès lors qu’on me somme de « Hey, ça va ? Tu as pris tes billets pour ce weekend ? », je m’évanouie, car, je ne peux plus dire non. De même que dans ma vie quotidienne où il me devient impossible de refuser une soirée dès lors que j’ai à disposition des métros, des bus, des vélos, des voitures électriques, des scooters électriques et des taxis électriques. Il existe tellement de moyens de transports que l’idée de refuser de sortir de chez moi est anéantie. Et alors qu’il me restait comme ultime excuse le solde de mon compte en banque, OuiGo est venu briser tous mes espoirs de liberté. Je ne parle pas du covoiturage, car il est hors de question que je passe six heures dans une voiture avec des inconnus. La grève est donc pour moi une bouffée d’oxygène, comme une pause dans la frénésie qui pousse tous les cadres sup à se précipiter dans les trains chaque vendredi soir et à m’y convier.

Yves Saint-Laurent disait « J’ai surtout été un voyageur immobile, ce qui a permis à mon imagination de se développer. » Cela résume bien pourquoi ceux qui bougent sans cesse n’ont jamais rien d’intéressant à raconter, le discours s'effaçant souvent au profit du visionnage de 987 photos de vacances. Je ne suis jamais revenu de voyages avec des idées d’articles ou de livres à faire s’évanouir ma direction. Je suis juste revenu fatigué. Les articles dont je suis le plus fier me sont venu dans le métro à côté d’une flaque de vomi, en faisant maladroitement l’amour ou encore en écrivant un mail au service après vente Darty. Si ne rien faire est perçu comme s’éteindre, je pense que c’est l’inverse. Bouger revient à se mettre en pilote automatique devant des images plus ou moins plaisantes qui défilent devant moi. « Le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes. » disait aussi Colette. Contrairement à la doxa en vigueur à l'heure actuelle, je défends une routine libératrice, une monotonie qui détruit le besoin de changement incessant pour – au final – mieux profiter du quotidien. Amis grévistes, continuez cette grève aussi longtemps que vous le jugerez nécessaire. Si vous ne ferez peut-être pas plier notre gouvernement, vous aurez au moins le mérite d’avoir apporté un peu de simplicité à des millions de Français qui espéraient la trouver sur un autre continent.

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