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Culture

« On impute la question raciale aux États-Unis, comme si elle n'existait nulle part ailleurs »

Le blockbuster Black Panther continue de susciter un dialogue sans précédent dans la communauté noire. On en a discuté avec Alma, militante au sein du collectif Mwasi, qui a créé la polémique en organisant une projection du film en non-mixité.
Image fournie par Alma

Plus qu'un blockbuster au milliard de dollars de bénéfices, Black Panther est un objet social. Outre son casting 100% noir, il met en scène les batailles idéologiques qui agitent tous les afro-descendants de la planète. Comment émanciper les noirs du monde entier (et pas seulement quelques-uns) ? Comment faire dialoguer Africains et enfants de la diaspora ? Comment organiser la lutte : faut-il prendre les armes ou combattre par le droit et les urnes ?

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Depuis sa sortie en salles le mois dernier, Black Panther a initié un dialogue d'une ampleur inédite au sein de la communauté noire. Et notamment entre ceux restés en Afrique et les descendants de ceux qui ont été déportés et réduits en esclavage aux États-Unis et dans les Caraïbes. En France aussi, le film fait encore parler - divisant, une fois de plus, une presse circonspecte et un public enthousiaste. Pour comprendre l'impact de Black Panther sur la jeunesse afro-française, on est allé à la rencontre du collectif afro-féministe Mwasi. Avec une des ses militantes, qui se fait appeler Alma, on a parlé de super-héros noirs, d'afro-futurisme et du manque de diversité dans le cinéma français…

VICE : On a déjà eu des super-héros noirs dans Blade, Black Dynamite ou encore Spawn, qu’est-ce qui fait à selon vous la particularité de Black Panther ?
Alma : Tous ces films sont importants, bien sûr, mais ce qui distingue Black Panther, ce n’est pas simplement la couleur de peau du héros mais l’environnement dans lequel il évolue - l’Afrique - et les problématiques évoquées par le film en général. Black Panther met en exergue plusieurs aspects de l’« expérience noire » : les effets du colonialisme, le traumatisme intergénérationnel, les traditions…

D’autant que Black Panther met aussi en scène des querelles idéologiques entre les personnages…
Oui, il y a par exemple la vision de Nakia qui souhaite que le Wakanda sorte de son isolationnisme pour aider les autres pays. Et celle de Okoye, qui, au début, assume de mettre l’idée du droit au-dessus de l’idée de justice - et entend servir la royauté peu importe qui l’incarnerait. Toutefois, le film concentre davantage sur l’opposition Killmonger vs T’Challa. Killmonger est le seul personnage afro-américain : il incarne « l’enfant perdu de la diaspora », le noir qui a vécu dans un pays à majorité blanche. Lui veut libérer les peuples opprimés en les armant, et de l’autre côté, T’Challa est une sorte de monarque pacifiste refusant de venir en aide aux autres peuples malgré sa grande richesse.

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« Les femmes africaines sont incarnées dans leur flamboyance et leur féminité »

En tant que militante afroféministe, quel regard portez-vous sur les personnages de femmes noires ?
J’ai trouvé que le film présentait une vision afroféminine ou afroféministe qui m’a conquise. Les femmes africaines sont incarnées dans toute leur flamboyance et leur complexité. Elles sont des actrices du changement, des agents de médiation. Et puis, elles sont dignes, ingénieuses, investies, loyales, puissantes, drôles, amoureuses, indépendantes… Et ce n'est pas seulement une vision du futur. Pour moi, c'est une réalité ici et aujourd'hui. Et qui est enfin mise en scène à la sauce afro-hollywoodienne.

Est-ce qu’on peut dire que Black Panther est un film afrofuturiste ? Notamment si on pense au personnage de Shuri, une adolescente noire professionnelle de la technologie de pointe ?
Absolument, le Wakanda est à la tête d’un empire technologique grâce au Vibranium. Toutefois cette vision afrofuturiste a des limites. Ils cachent leurs richesses au monde et cela fait d’eux un pays isolationniste.

Mais ne pensez-vous pas que cet isolement est une protection ?
Il y est vrai qu’ils se cachent dans le but de se protéger. Ce positionnement isolationniste s’explique par un traumatisme et des siècles de spoliation des richesses par l’Occident. Mais ce qui me dérange, c’est l’approche nationaliste du Wakanda. Moi, quand je pense au futur, je ne m’imagine pas une structure étatique nationaliste.

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On a beaucoup reproché au film de mettre en scène leur combat d’idées de façon trop manichéenne. Partagez-vous ce point de vue ?
L'attrait particulier de Black Panther pour certains discours utilisant une mythologie de la royauté en Afrique – « nous étions des rois et des reines » - comme tremplin dans leur lutte contre la négrophobie, l'impérialisme et la prédation occidentale, me laisse songeuse. Je ne suis pas sûre que ce soit la direction à emprunter. J'ai l'impression que c'est s'accrocher au fantôme d'un pouvoir absolu.

« En France, la mobilisation contre le racisme d’état est de plus en plus forte »

Le collectif afro-féministe MWASI dont vous faites partie a organisé une projection privée du film. Une polémique s’est ensuivie. Que s’est-il passé exactement ?
La projection a bien eu lieu, et a été suivie par une conférence. Mais il y a eu tout une polémique en amont. À l’initiative, bien sûr, d’associations dites « anti-racistes » comme la LICRA, qui ont prévenu le cinéma en question de la nature de notre évènement. Il s’agissait de privatiser le lieu et d’accueillir les enfants, adolescents et adultes noir.e.s en non-mixité. Un évènement privé donc, en vue de célébrer ensemble, en tant que communauté, en tant que minorité. On a vu bien sûr déferler la même rhétorique absurde : « Rosa Parks se retournerait dans sa tombe » ou les mêmes fausses équivalences que lors de l’organisation du festival Nyansapo ou du Camp d’été décolonial.

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Qu’avez-vous pensé de la réception du film en France ?
La réception du public a été formidable, mais celle de la critique est tout autre. Je suis cinéphile et j’ai un attachement particulier à la science-fiction et aux enjeux de représentation, et même si j’essaye de me tenir loin de la critique cinéma en France, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder ce qu’on avait dit sur le film. Sans doute, j’espérais une bonne surprise… Mais ce fut loin d’être le cas. Libération titre au sujet de Black Panther : « Laide et aseptisée, la nouvelle adaptation de l’écurie Marvel échoue à se saisir de la question raciale qui consume toujours l’Amérique. ».

En plus d’estimer avoir le monopole du bon goût, on impute la question raciale aux États-Unis, comme si elle n’existait nulle part ailleurs. Alors que parallèlement, en France, la mobilisation contre le racisme d’état se fait de plus en plus forte : des manifestations contre l’esclavage en Libye, contre la « Nuit des Noirs » à Dunkerque, contre les brutalités policières. Toutefois, toute une caste de journalistes refuse de faire le lien, de prendre compte le contexte dans sa globalité et pas seulement à travers le prisme afro-américain. Pour finir sur une note positive, j’ai tout de même apprécié les analyses de Fania Noel et Binetou Sylla sur Black Panther, qui m’ont permis de mettre en perspective et approfondir certains aspects du film.

« Il faut briser les codes d'un microcosme blanc bourgeois »

Avez-vous l’espoir de voir un jour un film français traiter de ces questions ?
Oui, j’ai de l’espoir, même si c’est très compliqué de rivaliser avec la force de frappe d’une production américaine. En France, tous les éléments sont là pour faire des films aussi intéressants. Les talents, la diversité culturelle sont bien présents. Le seul véritable obstacle est financier. Je pense aussi que pour arriver à susciter un engouement, il faut aussi que l’on brise les codes d’un microcosme blanc bourgeois parisien autour duquel gravitent le cinéma français et les institutions qui le pilotent.

Oui, la France est le pays qui a vu naître la technique et les traditions cinématographiques. Mais aujourd’hui, il y a Hollywood, Bollywood, Nollywood au Nigeria. Nous ne sommes pas le centre du monde et je pense que pour avoir un plus grand impact, il va falloir sortir de cette dichotomie qui consiste à dire que seuls les films d’auteur sont des œuvres d’art et que les films grand public, eux, n’ont pas ce privilège.