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Pourquoi y'a-t-il autant de sextoys en forme d'animal ?

"Les antennes du lépidoptère en plastique s'emmêlaient systématiquement dans mes poils pubiens."
Image : Vibratex

En temps normal, Epiphora préfère éviter les sextoys en forme d'animal. Malheureusement, lorsqu'elle s'est mise à la recherche d'un nouveau jouet mains libres en 2009, elle a dû se rendre à l'évidence : tous les produits qui défilaient sur son écran ressemblaient à des bestioles plus ou moins mignonnes. Ses principes allaient devoir être assouplis.

Abandonnant le critère de la forme, Epiphora a porté son choix sur le produit apparemment fonctionnel le mieux noté : l'Impulse Butterfly, un sextoy doté d'un corps dodu, d'ailes trop petites et d'antennes qui, à l'en croire, "pouvaient, peut-être, plaire à [son] clitoris".

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Cette aventure entomologique s'est soldé par un échec. L'engin est arrivé sans mode d'emploi. L'illustration de l'emballage, une cosmonaute munie d'une sangle-papillon bizarrement positionnée entre son vagin et son clitoris, n'a pas beaucoup aidé. Pour Epiphora, placer ainsi l'Impulse Butterfly était impossible d'un point de vue anatomique. La malheureuse devait appuyer frénétiquement sur le jouet pour sentir quelque chose. Et pour ne rien arranger, les antennes du lépidoptère en plastique s'emmêlaient dans ses poils pubiens. Voilà ce qu'il en coûte de s'essayer aux sextoys mains libres.

Epiphora teste des sextoys sur son blog HeyEpiphora depuis dix ans. Elle se souvient encore de l'Impulse Butterfly, de la douleur qu'il lui a infligé mais surtout de l'humiliation qu'elle a ressenti en l'utilisant. Dans le billet qu'elle lui a consacré en 2009, elle écrit : "Ce truc hurle "Salut, je suis un papillon gluant et violet et je suis accroché à ton corps." Huit ans plus tard, elle n'a pas changé d'avis.

Image : Love and Vibes/Amazon

Les papillons et autres animaux ne sont pas rares dans l'industrie des jouets pour adulte. Les canards recouverts de plumes, les dauphins qui jouent à la balle, les tortues tripoteuses de clitoris, les godes en forme de pénis de cheval… Cette prépondérance du zoomorphisme soulève des questions gênantes. Qui a dit que toutes les femmes rêvaient de baiser avec des dauphins ? Qui a décidé que la sexualité féminine devait être aussi enfantine ? Si les sextoys sont désormais légion sur les étals, la dimension soi-disant "émancipatrice" de ces objets tient-elle toujours lorsque votre gode est surmonté d'un lapin bleu ?

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Les deux sexologues auxquels je me suis adressée pensent que les imitations de pénis d'animaux correspondent à des objets fétichistes qui ne devraient pas être destinés au marché mainstream. Quant aux vibromasseurs dotés d'éléments zoomorphes, ils relèvent d'une toute autre problématique. Pour la sexologue Jill McDevitt, jointe par téléphone par Motherboard, leur histoire "en dit long sur le fait que les sextoys sont toujours perçus comme des objets 'menaçants' et montre à quelles extrémités nous sommes prêts à aller pour normaliser la masturbation féminine".

Prenons le Rabbit, le roi des animaux-vibromasseurs.

Image : Vibratex

Le Rabbit vient du Japon, où la distribution de produits susceptibles d'exciter sexuellement les consommateurs est interdite par des lois contre l'obscénité. Les concepteurs de sextoys nippons n'ont d'autre choix que camoufler leurs produits en jouets pour enfants, souvent à l'aide d'un petit animal.

Shay Martin, le vice-président de l'entreprise qui produit le Rabbit, Vibratex, m'a expliqué que tout avait commencé au début des années 80, quand un Américain en quête d'un vibromasseur un peu plus désirable que les jouets couleur knacki qui dominaient le marché US a débarqué au Japon. Là, il a découvert le Rabbit et son concept révolutionnaire : une stimulation double dans un corps de lapin. En important le jouet aux États-Unis en 1983, Vibratex est devenue la première entreprise à faire la promotion d'un vibromasseur alliant plaisir vaginal et clitoridien.

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Vibratex a imaginé de nombreuses variations sur le thème du Rabbit, de la tortue au long cou au kangourou à la langue bien pendue. Aucune n'a eu autant de succès que l'original, ce tube de plastique rose qui cloue Charlotte au lit pendant des jours dans le célèbre épisode de Sex and the City. Martin pense que ce coup de projecteur a peut-être aidé le Rabbit à devenir une star, mais surtout, que le Rabbit tire son succès de son packaging inoffensif. Aujourd'hui, il reste un symbole de plaisir féminin et d'accessibilité.

Image : Elisel/Amazon

"Il a juste été conçu pour mettre les femmes à l'aise, m'a expliqué Martin. Il leur permettait de se sentir bien. Vous savez, un lapin, c'est mignon et adorable et ça ne ressemble pas à une grosse forme phallique. Il n'était pas énorme, il ne hurlait pas "VIBROMASSEUR", je pense qu'il était plus facile à approcher pour les femmes."

Trente ans plus tard, "Rabbit" signifie "vibro double action" comme "Labello" signifie "stick à lèvres". Les entreprises qui se sont empressées de faire produire des imitations du Rabbit de Vibratex dans des usines chinoises ont sans doute contribué à faire du gadget un sextoy emblématique.

À en croire Alicia Sinclair, la fondatrice et CEO de b-Vibe et Le Wand, ainsi va la vie dans le petit monde de la sex tech : les plus gros comptent sur une poignée de boîtes chinoises pour développer leur offre. Si l'un d'entre eux engrange de gros profits à l'aide d'un nouveau produit, tous ses concurrents s'empressent de produire des imitations de qualité douteuse. Bilan : le marché est saturé de jouets inadaptés à la morphologie féminine.

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"Je pense que c'est presque toujours des gens qui se disent 'Ho allez, on n'a qu'à mettre un papillon là-dessus", continue Sinclair. "Je pense que ces produits ont été conçus essentiellement par des hommes. Je pense qu'ils n'ont pas beaucoup réfléchi à la sexualité des femmes, ou même à ce que les femmes veulent - et pour être tout à fait honnête je pense qu'il ne s'en souciaient pas particulièrement. Beaucoup de concepteurs semblent en être restés à 'Les femmes aiment les trucs à froufrous roses, hein ?'"

L'EVA de Dame. Image : Dame

Heureusement, certaines marques procèdent différement. Kristy Syahlbert, la directrice de communication de l'Allemand Fun Factory, m'assure que son entreprise utilise des formes animales pour rendre ses produits plus attirants et ludiques mais jamais au prix du confort. Martin affirme que Vibratex sollicite sans relâche les retours de ses clientes. Selon lui, ce que les plus jeunes attendent d'un vibromasseur - non-genré, non-anatomiquement correct, puissant - évolue sans cesse.

Prenons l'exemple d'Eva, un vibromasseur mains libres lancé en 2015 par Dame Products. Janet Lieberman, la co-fondatrice et CTO de l'entreprise, m'a déclaré que la forme insectoïde du jouet était subordonnée à sa fonction. Lieberman et sa partenaire, Alexandra Fine, étaient décidées à relever le niveau technique désespérément faible de la sex tech. Bien conscientes que leur produit ne se vendrait pas s'il ne fonctionnait pas, elles ont demandé l'avis des femmes. À l'aide de sondages en ligne, d'entretiens avec des vendeurs de sextoys et de discussions avec les consommateurs, elles ont appris que les concepteurs rataient souvent leur coup quand ils s'adressent aux femmes.

"Je ne crois pas que la majorité des femmes souhaitent se sentir comme des petites filles", m'a déclaré Lieberman.

"Ce rose, cette infantilisation… La plupart du temps, c'est l'apanage de concepteurs qui choisissent la réponse la plus évidente", a-t-elle expliqué. "La réponse la plus évidente est rarement la bonne."

Elle a sans doute raison : à l'heure où nous terminons cet article, tous les produits disponibles sur le site de Dame sont en rupture de stock.