Culture

L’Âge d’or du X français, vu de l’intérieur

Dans le milieu des années 1970, le réalisateur Gérard Kikoïne est devenu l’un des premiers architectes du film porno français. Et pour cause : ses films possédaient de vrais acteurs. Et même, de vrais décors. De L’Amour à la bouche à Parties fines en passant par Adorable Lola ou Bordel pour femmes, Kikoïne a, en à peine dix ans, tourné près de 25 films de cul professionnels, quoique réalisés avec des moyens amateurs, misant surtout sur la compétence cinématographique de ses acteurs et sur les pubis fournis de ses actrices.

Ouvert entre 1974 et 1984, ce buffet paysan du X a révélé toute une génération d’hédonistes, de Marilyn Jess à la célèbre Brigitte Lahaie. Tour à tour conjurés par la France pudibonde, plagiés puis tournés en ridicule, ce que l’on appelait alors les « films d’amour » de Kikoïne demeurent des sortes de capsules temporelles dans lesquelles on découvre une France analogique libérée par Mai 68, émancipée par la pilule contraceptive, et pas encore plombée par le virus du Sida. Une France qui se marre, en gros. À l’image des grosses blagues bien grivoises qui avaient lieu durant les tournages, plus réputés pour leur esprit bon enfant que les ambiances totale défonce sordides du porno d’aujourd’hui.

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À la fin de l’année 2015 paraissait Le Kikobook, un ouvrage photo qui revient sur les coulisses des tournages des films de Gérard Kikoïne. À travers plusieurs centaines de tirages inédits et in situ échappés des backstages, on découvre l’arrière-salle d’un porno naissant, où les gens s’amusaient entre deux caméras et un preneur son. J’ai discuté avec Kikoïne de cette époque lointaine, et déjà oubliée.

VICE : Bonjour Gérard. Vos années 1970 ont-elles ressemblé à cette partouze continue que notre génération s’imagine ?
Gérard Kikoïne : [Rires] Ah, le mythe de la touze géante ! Non, pas du tout. Quand tu arrives sur un tournage à neuf heures du matin, tu viens pour bosser. Un casting, ça se juge uniquement au physique. Beaucoup s’envoyaient les jeunes comédiennes, mais pas moi. Je n’ai jamais abusé de ma position de réalisateur et de producteur. Au contraire, par exemple, de beaucoup de gens qui travaillaient à l’époque dans le cinéma traditionnel. On se tenait mieux qu’eux.

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Regarde, là c’est Pitof tout gamin.

Qui était Pitof ?
Pitof était mon deuxième assistant. Maintenant il vit à L.A., mais on est resté très potes. Je n’ai eu que trois assistants au cours de ma carrière. Pareil pour ma styliste ou le chef électro ; c’était toujours les mêmes personnes. On était une équipe d’acier, très soudée. Du coup, l’ambiance sur le plateau était bonne, car nous nous connaissions très bien.

D’après les photos du livre, on peut en déduire que vous déconniez beaucoup en effet.
Oui, et l’on déconnait bien avec notre photographe de plateau aussi. Quand tu regardes le livre, tu réalises qu’on est loin des simples photographies commerciales pour la presse. Ça vit, ça vibre. Et puis, on tournait longtemps. Sept, huit, neuf jours parfois. Le reste des films X d’alors étaient mis en boîte de façon industrieuse. Trois jours d’abattage et hop, c’était plié. Nous, on aimait s’étaler.

Je vois. Comment vous vous débrouilliez, sur le plateau ?
Eh bien déjà, la pellicule coûtait très cher. Et l’on devait filmer deux versions d’un seul film : une soft pour la censure, ainsi qu’une hard pour les salles de cinéma. Donc on était très, très loin de la partouze géante. En fait, tout était orchestré à l’avance. Avec des découpages bien préparés. Même sur les scènes de hard, à moins que les acteurs soient très à l’aise, il n’y avait presque jamais d’impro. Les décors s’inscrivaient dans des séquences précises. Les castings étaient cohérents. Le pompiste avait une tête de pompiste. L’architecte avait une tête d’archi.

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Tout était très professionnel, donc.
Tout était carré. La DA était très ferme sur la lumière ou les accessoires. J’étais également intraitable là-dessus. D’autant que les acteurs devaient jouer des scènes avec pas mal de dialogues. Ça vient peut-être de ma passion pour l’expressionnisme allemand. J’admirais les amorces de Mike Nichols, la lumière de Stanley Kubrick, ou la subversion d’un If, le film de Lindsay Anderson. Nous aimions le cinéma. Nous étions une bande de jeunes, frappés d’inconscience d’un côté et je dirais, d’une forme d’hyperconfiance de l’autre.

Qui s’opposait à vos films ? J’imagine que vous ne faisiez pas l’unanimité dans la France des années 1970.
Eh bien, le MLF [le Mouvement de libération des femmes, N.D.L.R. ] n’a jamais débarqué pour stopper l’un de nos tournages. Franchement. Et c’est normal : on magnifiait les femmes. Les hardeuses étaient au cœur des intrigues de mes films. Elles en étaient le fil conducteur, les héroïnes. Il y avait quelque chose de très libérateur dans tout ça. Elles n’étaient pas forcées, n’arrivaient pas sur le plateau accompagnées d’un souteneur. Au contraire.

« Que ça lui plaise ou non, le cinéma français a un peu le goût de ma bite. »

À quoi ressemblaient les acteurs que vous embauchiez ?
Je bossais avec une génération d’hédonistes post-68, déconneurs, qui aimaient se montrer. Et qui adoraient le cul. Brigitte Lahaie avait de quoi vivre ; elle venait juste pour rire et s’éclater. Beaucoup de mes égéries tournaient par plaisir. Pas par besoin. En soirée, ceux qui le souhaitaient partouzaient ; mais en journée, on travaillait.

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Beaucoup de gens se rendaient dans les cinés pour regarder vos films, à l’époque ?
Oui ! Entre 1977 et 1982, mes films ont fait 4 millions d’entrées. Ça marchait très fort. Nous étions distribués dans une trentaine de pays, des États-Unis au Japon. Avec le temps et les succès, nos rendements étaient tels qu’un jour, Alban [ Alban Ceray, star du X entre 1970 et 2000, et égérie de Kikoïne, N.D.L.R. ] a déclaré avec beaucoup de justesse : « Que ça lui plaise ou non, le cinéma français a un peu le goût de ma bite. »

Bien dit.
Et puis, le pourcentage prélevé sur les entrées dans les salles de cinéma remplissait aussi les caisses du CNC. Notre argent était le bienvenu. L’argent du porno !

Ce cinéma français traditionnel, de quelle façon vous regardait-il ?
Je dirais que c’est effectivement la profession qui nous jugeait le plus mal, au final. Lorsque je suis sorti de ma période « films d’amour », j’étais marqué au fer rouge. Personne n’a voulu me faire bosser. Ce sont les Américains qui sont venus me chercher. Chez les Français, j’étais blacklisté.

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Regarde Brigitte [ Lahaie, N.D.L.R.], comme elle est belle ici. C’était dans Parties Fines, un de ses plus beaux rôles.

Que penses-tu de la récupération totale du porno, aujourd’hui ?
Je dirais que le hard a toujours avancé par ruptures, par chocs. Tu sais, j’ai réalisé des films pour un public de cinéma. Tu rentrais dans la salle, et tu te prenais des phallus de quatre mètres de long dans la face – c’était fou ! Puis, ces films se sont retrouvés disponibles en VHS, puis à la télévision. La première diffusion française d’un film classé X date de 1985. Là encore, ça a constitué un véritable choc, même pour moi. Une diffusion télé était complètement inimaginable une poignée d’années auparavant. L’accessibilité du porno par le marché du DVD puis la diffusion en ligne avec des plateformes géantes de type YouPorn, nous a définitivement exposés auprès de tous.

Aujourd’hui, on vient me serrer la main dans les dîners. Je bénéficie désormais d’une reconnaissance difficile à imaginer il y a quinze ou vingt ans. Maintenant, nous y sommes : la culture porn innerve les industries créatives. Mais pas tant par vulgarisation. C’est l’accessibilité intégrale des contenus – pour le pire comme pour le meilleur – qui a conduit à ce grand dévoilement. Le rire, l’insouciance, la vitalité de nos films d’artisans auront été nos jalons pour la postérité. Et l’amour des femmes, bien sûr !

Le Kikobook, le premier livre iconographique de Gérard Kikoïne, vient de sortir aux Éditions de l’Œil.

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