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Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de Julius Fromm. Pourtant, grâce à lui, le monde entier peut s’adonner aux joies du sexe protégé à l’heure où les pharmacies sont fermées. En effet, Julius Fromm a plus ou moins inventé le distributeur de préservatifs. Ce Polonais de confession juive a immigré en Allemagne quand il n’était encore qu’un enfant. Chimiste et entrepreneur, il créera Fromm’s Act, une firme à l’immense succès – à la pointe de la lutte contre les MST au sortir de la Première Guerre mondiale.
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Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la situation s’est dégradée. En peu de temps, un svastika s’est mis à trôner dans les réfectoires de l’usine Fromm. À partir de 1937, une campagne antisémite menée par le journal Der Stürmer s’est abattue sur la famille Fromm.
Julius, âgé de 55 ans, a été contraint à l’exil. C’est à Londres qu’il trouvera une nouvelle terre d’accueil. Il décédera le 11 mai 1945,avant d’avoir pu revenir en Allemagne – et après avoir été contraint de vendre son entreprise à une femme proche du Parti nazi. Je me suis entretenue avec l’historien et journaliste Michael Sontheimer, coauteur du livre Fromms: How Julius Fromm’s Condom Empire Fell to the Nazis, à propos de la vie et de l’héritage de ce géant de la capote, témoin et victime des soubresauts politiques de son époque.
VICE : Julius Fromm n’est pas vraiment connu aujourd’hui. Comment avez-vous entendu parler de lui ?
Michael Sontheimer : J’ai grandi à Berlin, dans la partie occidentale de la ville. Tout le monde parlait des préservatifs en utilisant le mot « Fromms », sauf que personne ne savait pourquoi. J’ai appris beaucoup plus tard que cela faisait référence à Julius Fromm. Au final, j’ai eu vent de l’existence de son fils Eddie, qui vivait à Londres. Je l’ai appelé pour en savoir plus.
Et que vous a-t-il raconté ?
Il m’a révélé l’histoire de sa famille, les Fromm – des Juifs très pauvres ayant décidé de quitter la Pologne pour l’Allemagne. Le jeune Julius ne pouvait se satisfaire d’un salaire misérable. Il s’est mis à fabriquer des préservatifs dans une pièce minuscule chez lui, à Berlin. La demande était telle qu’au bout de 10 ans, il possédait trois usines. Il a eu le nez pour sentir que le préservatif deviendrait un produit de consommation courante très rapidement.
Julius Fromm était un businessman de génie. Au départ, il fabriquait des cigarettes à la main, les roulant l’une après l’autre. Il a suivi des cours du soir de chimie et a eu l’idée géniale que la contraception deviendrait un fait social majeur.
Comment est-il passé de la fabrication de cigarettes à la chimie ?
Personne ne sait vraiment pourquoi il a choisi la chimie – même son fils Eddie. Au départ, Julius fabriquait un tas de produits, dont des gants et des tétines.
Les Allemands se sont-ils intéressés à son succès dès les années 1920 ?
À cette époque, on ne dénombrait même plus les entrepreneurs juifs ayant fait fortune dans le pays – tout le monde se fichait de leur religion. Ce n’est qu’à partir de l’accession d’Hitler au pouvoir que la situation a changé. L’antisémitisme était partout, et Fromm a dû vendre son entreprise à une femme proche d’Hermann Göring.
Julius a-t-il obtenu quelque chose en échange ?
La famille Fromm a dû s’exiler à Londres, et Julius a réussi à glaner un peu d’argent en « vendant » son entreprise – la plupart des Juifs n’ont pas eu cette chance.
Julius Fromm avait-il eu vent du projet d’éradication des Juifs ?
Tout le monde savait que quelque chose de grave était en train de se dérouler. Il a eu beaucoup de chance de survivre.
Ses descendants ont-ils récupéré ses usines ?
Pas du tout. En fait, à la fin de la guerre, les communistes ont taxé Fromm de « capitaliste » et ont réquisitionné toutes ses usines d’Allemagne de l’Est.
Sa vie sonne comme un film hollywoodien.
Oui, certains producteurs se sont intéressés à cette histoire, mais rien n’a été entrepris – sans doute parce que le préservatif est un objet encore un peu tabou.
Julius a-t-il inventé le distributeur de préservatifs ?
Tout à fait. Il adorait tout ce qui concernait les relations publiques, la publicité, et a rapidement compris qu’il ne pouvait se contenter de son seul préservatif pour réussir. Il fallait le rendre intéressant.
Où étaient situées les machines ?
Dans les mêmes lieux qu’aujourd’hui – un peu à l’écart du passage du plus grand nombre.
La fabrication des préservatifs a-t-elle beaucoup évolué depuis l’époque de Julius Fromm ?
Dans les années 1920, Julius employait de nombreux ouvriers pour fabriquer son produit. Aujourd’hui, tout est automatisé. Malgré tout, le principe est le même : on utilise un moule en verre ayant la forme d’un pénis, qu’on plonge dans une émulsion à base de latex.
À l’époque de Fromm, les ouvriers étaient chargés de tester la résistance des préservatifs en vérifiant qu’ils n’étaient pas susceptibles d’éclater. Aujourd’hui, c’est une machine qui effectue ce test.
Votre livre évoque les relations entretenues par la famille Fromm avec des célébrités. Pouvez-vous m’en dire plus ?
Le fils aîné de Max était acteur – il a quitté l’Allemagne en 1933. Il a tourné en France avec Burt Lancaster dans les années 1960. Comme il était blond, il a souvent joué le rôle du nazi. Il interprète un officier de la Gestapo dans Le Train, par exemple. De nombreux acteurs ayant dû fuir l’Allemagne ont fini par interpréter des Nazis – ce qui est assez tragique.
Comment Fromm a-t-il communiqué sur ses préservatifs ?
De manière très transparente. Un large débat a animé la République de Weimar dans les années 1920 afin de savoir si les publicités pour préservatifs pouvaient être diffusées dans les magazines. Le gouvernement a fini par interdire de telles publicités, ce qui a obligé Fromm à user de stratagèmes – en parlant des capotes comme étant des « éponges en caoutchouc », par exemple. Les gens comprenaient la référence.
Pensez-vous qu’il ait réussi à surmonter la perte de son entreprise ?
Je n’en suis pas sûr, non. À Londres, il s’est retrouvé sans emploi, ce qui était très dur à vivre pour lui. Il a attendu la fin de la guerre avec impatience, persuadé qu’il pourrait rentrer en Allemagne. Malheureusement, il est mort quelques jours après la signature de l’armistice. Il s’est effondré un beau matin, comme ça, sans aucun signe avant-coureur.
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