L’histoire du cambrioleur anarchiste que la France adorait

Entre 1900 et 1903, l’anarchiste Alexandre Marius Jacob écume la France en compagnie de sa bande, nommée les « Travailleurs de la Nuit ». 150 cambriolages, un butin évalué en millions de francs et une audace, un humour et un panache dans le crime qui lui vaudront d’être parfois comparé à Arsène Lupin.

Le « cas Jacob », unique dans les annales judiciaires, n’est pas seulement aussi romanesque que le personnage auquel il a servi de modèle. L’histoire de ce militant de la « reprise individuelle » incarne à elle seule une intense époque de mutation sociale qui, par nostalgie, sera plus tard appelée : « la Belle Époque  ».

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L’histoire d’Alexandre Jacob, du moins son existence publique, commence en 1899, dans un pays chanté par Pagnol et Cézanne : la Provence de la Troisième République. À Marseille, quatre hommes dignes, écharpes tricolores nouées autour du cou, frappent à la porte du Mont-de-piété, le prêteur sur gage de la ville.

Ils sont policiers, au regret d’informer le sieur Gilles, commissionnaire, que celui-ci possède dans son établissement une montre qui a été volée quelques jours plus tôt, lors d’un triple homicide. Le pauvre homme, qui n’a jamais eu de problèmes avec les autorités, est abasourdi. Le commissaire, son secrétaire et les deux inspecteurs font l’inventaire de l’intégralité du matériel en dépôt afin de procéder à une perquisition en règle. En début d’après-midi, tout ce beau monde part pour le Palais de Justice de Marseille où le directeur et son assistant, menottés, doivent être entendus par le procureur.

Au Palais de Justice, les six hommes s’installent dans la salle des pas-perdus. En attendant que le Procureur soit disponible, les policiers attachent les deux fonctionnaires à un banc, le temps d’aller régler quelques questions administratives. Il faudra quatre heures avant que les deux hommes attachés ne se décident à demander de l’aide.

Effarés, les employés du Palais de Justice écoutent leur histoire. Alexandre Jacob, accompagné de trois complices, vient de réussir son premier coup retentissant. Le commissaire de police est un de ses complices ; Jacob lui, joue le rôle du secrétaire, dans une pièce qu’il a écrite pour une représentation unique.

À l’heure où le directeur du Mont-de-piété réalise qu’il a été roulé, le comédien est déjà en route vers l’Espagne. L’histoire, publiée le lendemain, 1 er avril, fait rire la cité phocéenne aux éclats. Le butin de ce premier larcin : 400 000 francs de l’époque. L’équivalent de plus d’un million d’euros.

Membres et chef de la bande des Travailleurs de la Nuit. Portraits anthropométriques de Marie Jacob, Rose Roux, Boyer, Elme et Alexandre Marius Jacob, 1903. Via Wiki Commons.

Ce premier coup donne le ton de toute la carrière de Jacob : utiliser la ruse plutôt que la violence. Piqué par l’anarchisme dès l’adolescence, Alexandre Jacob n’en démordra jamais. Fidèle à ses convictions, à ses amours et à ses amis, même rangé, il restera un révolté.

En 1879, quand le jeune Alexandre Marius pousse son premier cri à Marseille, il y a huit ans que la Commune de Paris a été écrasée par le président Adolphe Thiers. La Troisième République naît dans un climat social tendu : les communistes et les anarchistes se rassemblent, les conditions de vie des ouvriers sont un sujet de préoccupation, et une partie de la classe possédante s’accroche fermement à ses privilèges, quitte à faire donner l’armée.

À Marseille, on compte trois suicides par jour, des indigents enterrés dans des boîtes en sapin sous des pierres sans nom. La misère est partout, la « question sociale » est sur toutes les lèvres. En 1881, pour la première fois en France, les travailleurs décident que le 1 er mai sera une journée de lutte pour leurs droits. Ce même jour, à Fourmies, dans le Nord, l’armée est appelée en renfort par les patrons. Elle tire contre les manifestants pacifiques qui demandaient la journée de 8 heures. Bilan : neuf morts en 45 secondes.

Sur un terrain fertile en inégalités, l’anarchisme pousse et fait des émules. Nombreux sont ceux qui pensent que la France va vers une nouvelle révolution, et les anarchistes n’hésitent pas à faire exploser quelques bombes pour accélérer le processus.

En 1892, Ravachol lance les siennes contre des magistrats, en plein Paris. L’année suivante, une autre bombe éclate dans la Chambre des députés. Elle ne fait aucun mort, mais le coupable, Auguste Vaillant, est décapité. En 1894, c’est le Président de la République, Sadi Carnot, qui est assassiné par un jeune anarchiste italien. La République réagit vivement, en promulguant les « lois scélérates  », un ensemble de textes qui permettront de harceler quiconque est susceptible de remettre en cause l’ordre établi. Alexandre Jacob en fera les frais.

Quand il ressort de prison, le destin d’Alexandre Jacob est décidé : considéré comme un hors-la-loi, il agira comme tel.

Pendant que la misère déchire la France, le jeune Alexandre rêve d’un ailleurs. Passionné de Jules Verne, il s’imagine marin, respirant l’air du grand large en parcourant les mers du globe. Le destin frappe à sa porte en la personne du capitaine Martinaud, qui l’engage comme mousse sur un navire, Le Thibet.

Mais l’apprenti va vite déchanter : d’abord, la dure vie d’un mousse, corvéable à merci, puis la misère partout dans le monde ; et surtout, la brutalité des hommes, qu’il découvre après sa désertion. Il s’embarque comme pirate et assiste alors, loin des récits de Stevenson, à la traite des êtres humains, à la violence et aux tueries. À 16 ans en 1895, il a déjà quatre ans de bourlingue quand il revient à Marseille. Le bilan qu’il tire de ses voyages ? « J’ai vu le monde ; il n’est pas beau. »

C’est par l’intermédiaire d’un de ses collègues qu’il découvre la doctrine des libertaires ; très vite il en devient l’un des plus fervents promoteurs. Il se déplace de ville en ville, rencontre d’autres anarchistes, discute, interroge, donne son avis. À cause de la répression politique très dure, cet adolescent concerné et intelligent, est immédiatement fiché comme terroriste potentiel par les autorités. La police fait une descente chez lui, confisquant la bague de fiançailles de sa mère, sous le motif que celle-ci est trop belle et qu’elle a dû être volée.

Le 1 er septembre 1897, à 17 ans, il est envoyé en prison, parce qu’il possédait un livre expliquant la fabrication artisanale des bombes, prêté par un ami anarchiste. Pour la justice, il s’agit d’un motif suffisant pour prouver l’intention de commettre un attentat.

Quand il ressort de prison, le destin d’Alexandre Jacob est décidé : considéré comme un hors-la-loi, il agira comme tel. Dès janvier 1900, il commence à organiser ce qui deviendra sa bande, les Travailleurs de la Nuit, qui doivent mettre la France à genoux à travers des cambriolages réalisés à l’échelle industrielle.

On les retrouve partout : à Tours, où ils cambriolent la cathédrale, emportant quatre tapisseries du XVIIe siècle, en empruntant une échelle sur un échafaudage voisin ; à Nevers, où ils dévalisent un capitaine de l’armée ; à Bourges, où ils visitent coup sur coup un bijoutier, un salon de thé et deux notables.

Le 16 octobre 1902, le banquier Arsène Vidrac donne une réception dans son hôtel particulier du Bois de Boulogne. Vers 2 heures du matin, alors que les invités viennent de partir, un individu se glisse le long de la grille et lance un grappin sur le mur d’enceinte. Le lendemain matin, quand le riche homme se lève, il constate que son trésor, dissimulé dans un coffre protégé par quatre serrures, est vide. Butin : 600 000 francs.

Toujours en 1902, toujours à Paris, Jacob visite un notaire dans la nuit du 8 décembre. Même scénario, même savoir-faire, même constat : le lendemain matin, le coffre, qui contenait 50 000 francs, a été vidé. Le propriétaire, qui dormait juste au-dessus, n’a rien entendu.

Marius Jacob, à la fin de ses jours. Photo via.

Les cibles de Jacob sont tous ceux que les anarchistes considèrent comme des parasites : les rentiers, les prêtres, les magistrats. Les professions « utiles », médecins, architectes ou écrivains, sont épargnées. On ne tue pas et on ne fait pas usage de la violence, sauf pour se défendre, auquel cas on ne vise que des policiers.

Les Travailleurs de la Nuit, plus qu’une bande, est une véritable entreprise de cambriolage. Rien n’est laissé au hasard, tout est méticuleusement planifié, pesé et réfléchi. Les anarchistes les plus fidèles en constituent le noyau dur, auquel s’ajoutent des dizaines des membres épisodiques, qui remplissent des rôles divers.

On vole des espèces, des bijoux, des œuvres d’art ou des actions. Là encore, le groupe peut compter sur un immense réseau pour écouler les biens volés. Les métaux précieux sont transformés dans une fonderie achetée par Jacob. Pour préparer sa logistique, celui-ci a investi dans une quincaillerie et dans une friperie. Dans la quincaillerie, il se fait envoyer tous les modèles de coffres et de serrures afin d’apprendre à les forcer. La friperie lui permet d’avoir toujours à disposition des centaines de costumes et d’accessoires grâce auxquels il peut endosser n’importe quelle identité.

Le vol est pratiqué au niveau industriel. En trois ans, selon les diverses estimations, la bande est créditée de 150 à 500 vols – à peu près un tous les trois jours. Le 5 décembre 1902, Jacob dévalise l’église Saint-Côme, à Chalon sur Saône ; le 9, la bande est à Rouen ; le 15 à Cherbourg, pour deux représentations dans la même nuit ; le 19, de nouveau à Rouen ; le 23 à Abbeville, puis Évreux, Soissons, Saint-Quentin, Bourges, Niort, Angoulême, Cambrai, la Suisse, la Belgique, l’Italie.

Les horaires des cambriolages sont minutés sur ceux des trains, permettant une mobilité qui laisse la police loin derrière. La mallette de Jacob, estimée à 10 000 francs de l’époque au moment du procès, contient des outils de cambriolages directement importés des États-Unis et encore inconnus de la police française. Sur nombre d’entre eux, Jacob a apporté sa touche, perfectionnant les outils à sa sauce.

L’un des vols les plus retentissants a lieu à Paris, rue Quincampoix. Il démontre le professionnalisme et la patience de la bande quand elle a flairé un bon coup.

Le 28 septembre 1901, un dénommé Guilloux, originaire de Lyon, se présente au concierge de l’immeuble et fait part de son intention de louer un appartement, au 5 e étage. Le vendredi 4 octobre, le locataire s’installe dans l’appartement et reçoit la visite d’un « ami serrurier ». Le dimanche 6 octobre, le même Guilloux prend en filature l’occupant du 4 e étage, M. Bourdin, bijoutier. Il s’assure que celui-ci prend bien son train, comme il le fait tous les week-ends, pour passer son dimanche à la campagne.

Quand le bijoutier rentre chez lui, le soir, le coffre de l’appartement est vide. Jacob, le prétendu serrurier, a simplement creusé un petit trou dans le plancher. Dans ce trou, il a introduit un parapluie qui, une fois déplié, lui a permis de retenir les gravats qui auraient pu avertir les voisins. Il se faufile ensuite dans l’appartement et n’a plus qu’à faire jouer ses talents de briseur de serrures pour délester le bijoutier de plus de 100 000 francs.

Le coup, qui préfigure le « casse du siècle  » d’Albert Spaggiari en 1976, demandait des moyens, pour louer l’appartement, le meubler et s’équiper, des complices, de la technique et du sang-froid (Jacob a passé plus de trois heures dans l’appartement pour venir à bout du coffre). La police est stupéfaite. C’est la première fois qu’elle a affaire à un cambriolage aussi préparé.

Les gains sont distribués de manière équitable, avec une part importante qui est ponctionnée pour être redistribuée aux familles d’anarchistes dans le besoin, et pour financer la diffusion des idées du mouvement. Personne ne déroge à la règle : c’est une condition sine qua non.

S’il est impitoyable envers ceux qu’ils considèrent comme des profiteurs de la misère, Jacob sait aussi se montrer clément envers ceux dont la richesse a été acquise par le travail. Ainsi, en 1902, alors qu’il cambriole la maison d’un officier de marine, Julien Viaud, il découvre que celui-ci n’est autre que l’écrivain Pierre Loti. Il ordonne la retraite et repart les mains vides. La légende voudrait qu’il ait laissé sur place le montant de la réparation du volet fracturé. Il laisse régulièrement des petites notes sur les lieux de ses larcins, avec à chaque fois une petite blague ou la simple signature « Attila ».

Maître dans l’art de la comédie, Jacob se fait passer pour un antiquaire sous le nom de Georges Escande. Recherché par toutes les polices, il s’offre le luxe de fouler les planches en jouant dans la pièce «  Quo Vadis » qui se donne à Paris.

Pendant les trois années que dure l’épopée des Travailleurs de la Nuit, la police reste dans le flou. Alexandre Jacob, chef énigmatique d’une bande aussi romanesque qu’insaisissable, est une ombre. On prétend l’avoir vu aux quatre coins de la France, le même jour à la même heure, les témoins interrogés donnent tous un signalement différent. Il change fréquemment de domicile, toujours accompagné de Rose, sa compagne, et de sa mère, Marie.

Maître dans l’art de la comédie, il se fait passer pour un antiquaire sous le nom de Georges Escande. Recherché par toutes les polices du pays, il s’offre même le luxe de fouler les planches en jouant dans la pièce «  Quo Vadis » qui se donne à Paris.

Mais trois ans d’une existence aussi éprouvante physiquement que psychiquement mènent fatalement à ce qu’un manque de vigilance, doublé d’une déveine passagère, aboutissent à son arrestation. C’est le « drame de Pont Rémy  ».

Ce soir-là, le 21 avril 1903, Jacob et deux de ses complices, Bour et Pelissard, entendent dévaliser la maison de la veuve Tilloloy. Ils sont repérés par un voisin. Sentant qu’ils ne sont pas en veine, les trois cambrioleurs décident d’abandonner. Ils quittent la ville et tombent sur une voie de chemin de fer qu’ils suivent pour atteindre une gare. Ils arrivent à 2 heures du matin. La gare est fermée, le prochain train ne passera qu’à 6 heures. Ils attendent toute la nuit.

Au petit matin, le train s’ouvre sur une mauvaise surprise. Deux agents de police descendent ; ils viennent enquêter sur le cambriolage de la veille. La confrontation tourne au pugilat. Les coups de couteau pleuvent sur l’agent Auquier, pendant que son collègue, l’agent Pruvost, tombe sous les balles. Le trio se sépare.

Pelissard est arrêté près de Picquigny. Jacob fuit dans la campagne, traverse les villages pour finalement tomber nez à nez avec une patrouille. Vaincu, il se rend. Le troisième, Félix Bour, sera rattrapé quelques jours plus tard à Paris. Les Travailleurs de la Nuit ne survivront pas à leur chef. En quelques semaines, trahi par des informateurs, le groupe est démantelé.

L’arrestation d’Alexandre Jacob marque l’arrêt d’une des épopées criminelles les plus singulières des annales judiciaires françaises. Le procès qui s’annonce fait venir des journalistes du monde entier. Celui-ci débute à Amiens, en 1905. La foule se presse pour assister au spectacle : 23 accusés, au moins autant dans la nature, 158 témoins, des pièces à conviction qui débordent jusque sur les bancs de la presse.

Pendant les 15 jours d’audience, la France découvre un cambrioleur hors-norme, qui se permet de juger les juges, de mettre la société entière sur le banc des accusés, au nom d’une doctrine dont il a fait toute sa vie : l’anarchisme.

Les juges se rendent compte qu’Alexandre Jacob, en plus d’être un habile cambrioleur et un chef de bande efficace, est également un très bon orateur qui utilise principalement deux armes : le cœur, pour expliquer sa doctrine et, surtout, un humour qui le rend immédiatement sympathique. Si ses théories sont accueillies plutôt froidement dans une salle composée de notables, les journalistes ne peuvent pas s’empêcher de relayer ses nombreux traits d’humour pendant l’audience.

Ainsi, à un homme, qui se plaint que les Travailleurs de la Nuit lui ont volé des actions, Jacob demande :

«  Et peut-on savoir combien vous avaient coûté ces actions ?

– Plus de 1 200 francs !

– Alors le voleur n’est pas devant vous. Le voleur, c’est celui qui vous a vendu ces actions ! Elles ne valaient rien, je les ai brûlées. »

Quand le président lui demande pourquoi les cambriolages avaient lieu en province : «  Je faisais de la décentralisation : ce sont les consignes du ministère ! »

Dans ce procès retourné, Jacob met tout le monde sur le banc des accusés. À commencer par le juge : «  Malgré les progrès réalisés, l’homme est toujours un loup pour l’homme. Il s’arroge le droit de juger les hommes. Mais il ne met sa justice qu’au service des riches contre les pauvres. Je regrette seulement de n’en avoir pas dévalisé davantage. »

Il s’attaque également aux prêtres : « Sous prétexte de procurer les délices du monde futur avec des histoires pour les enfants, ils amassent des richesses ! Chez tous ceux que j’ai cambriolés, j’ai trouvé des coffres. Et croyez-moi : ils ne contenaient pas des harengs saurs ! »

Devant le tribunal, les « À Mort ! » du début cèdent la place aux « Vive l’anarchie ! » On chante l’Internationale devant le Palais de Justice. Des incidents éclatent, et la troupe qui entoure le tribunal est de plus en plus menacée. Le 11 e jour, les juges sentent que le procès est en train de leur échapper. Après un incident d’audience, ils décident d’exclure les accusés du tribunal. Dès lors, celui-ci avancera tranquillement vers sa fin.

Le 22 mars, après 11 heures de délibération du jury, Jacob est condamné au bagne à perpétuité, tout comme Félix Bour. Huit prévenus sont acquittés, faute de preuve. Les peines, pour les autres, s’échelonnent entre cinq et vingt ans de réclusion. Rose, la compagne, et Marie, la mère de Jacob, sont toutes les deux condamnées à cinq ans d’emprisonnement. Le verdict ne manque pas de provoquer de nouveaux incidents, mais la foule est dispersée par l’armée.

Jacob est de nouveau jugé à Orléans, quelques mois plus tard, pour répondre de sa tentative de meurtre sur un policier. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés, qui s’ajoutent à sa peine de perpétuité. Le 22 décembre, il part pour un voyage sans retour vers la Guyane.

Alexandre Jacob reviendra pourtant en métropole, après avoir passé plus de 18 ans au bagne. Là-bas, il ne boit pas, ne joue pas, continue d’accumuler toutes sortes de savoir en autodidacte – notamment le droit. Il tente plus d’une dizaine de fois de s’évader. En 1924, le journaliste Albert Londres se rend en Guyane pour rendre compte de ce qui s’y passe. Il rencontre Jacob. Ses articles, publiés dans Le Petit Parisien, choquent l’opinion publique, qui prend conscience du traitement indigne réservé aux forçats.

« C’est une usine à malheurs qui travaille sans plan, ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils peuvent. » La campagne du journaliste, relayée par de nombreux intellectuels, aboutit à la libération du cambrioleur en 1927. Le bagne sera définitivement aboli en France en 1938.

Libéré, Jacob s’installe à Reuilly, dans l’Indre, où se trouve encore sa tombe aujourd’hui et où une impasse porte son nom. Il vit pendant quelques années en tant que marchand ambulant, fréquentant les forains dont il se sent proche. Après sa retraite forcée, l’anarchiste cambrioleur, gentlemen à bien des égards, ne vole plus. Sauf, peut-être, une dernière fois. L’épisode est raconté par un journaliste du Canard Enchaîné dans une biographie du cambrioleur :

Avant de se lancer dans le commerce, toutefois, il éprouve le besoin d’accomplir un geste symbolique. Il a lu dans la Veillée des chaumières la description d’une vieille maison, vers la Loire, dont le heurtoir de la porte d’entrée serait en or. [..] Toutes affaires cessantes, il se rend dans la ville en question, vérifie la qualité du métal avec une pierre de touche et remplace l’objet par un autre, de même apparence, qu’il s’est fait fabriquer sur mesure. Cette petite rapine le rassure sur lui-même : il n’est pas un vieillard. […] Il a encore assez de force en lui pour braver l’autorité. C’est tout ce qu’il voulait savoir. Il ne volera plus jamais. »

S’il ne cambriole plus, il reste fidèle à ses principes et à ses engagements. En 1936, il retourne en Espagne pour prêter main-forte aux militants anarchistes engagés dans la guerre civile, sans que l’on sache précisément le rôle qu’il aura pu jouer, sinon qu’il rentrera peu de temps après, déçu.

Jusqu’à sa mort, en 1954, Jacob vit dans le Berry, entouré de ses amis. S’il est parfois considéré avec un peu de curiosité par les habitants de la commune (il a notamment demandé une carte d’électeur pour son chien, au motif qu’il « n’a jamais menti, jamais été ivre. Il n’y a guère d’électeurs dans le département dont on peut en dire autant »), il s’intègre facilement.

Le 28 août 1954, il injecte une seringue de morphine à son vieux chien infirme. Il se pique ensuite, bouche les orifices de la pièce et met feu à du charbon de bois, pour s’asphyxier avec le gaz carbonique.

À côté de lui, il a laissé cette petite note : « Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. Vous trouverez deux litres de rosé près de la panetière. À votre santé ! »