Culture

L’Histoire du culte aryen que même les nazis ont interdit

La brochure du rite Mazdaznan, publiée dans les années 1920.

Johannes Itten était un peintre suisse sans histoire. Avant de devenir l’un des principaux représentants d’un courant aryen particulièrement étrange, ses seuls faits d’armes se résumaient à avoir enseigné la composition et les couleurs à l’Institut des arts décoratifs de Weimar, plus connu sous le nom de Bauhaus. C’était au début des années 1920.

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D’après son collègue Professeur Walter Gropius, Itten entretenait avec soin, dans le cadre de l’école, une espèce d’aura de gourou. Ses élèves appliquaient de fait ses méthodes de travail, passablement exotiques, à la lettre. Lesdites méthodes incluaient par exemple des exercices de gymnastique quotidiens. Elles incluaient également des choses telles que se raser le crâne à intervalles réguliers, ou se soumettre toutes les semaines à divers lavages d’estomac. Peu à peu, ses collègues se sont rendu compte qu’Itten, en plus de méthodes de travail étonnantes – même dans le cadre d’une école d’art d’avant-garde – pratiquait en plus de cela le végétarisme et le jeûne.

Dans un premier temps, l’ascèse rigoureuse du professeur fut interprétée, à tort, comme une expression des principes du zoroastrisme, une religion dualiste d’origine perse et indo-aryenne. En réalité, Johannes Itten était dans un autre truc. Il avait adhéré à un culte historiquement plus récent et beaucoup plus pété : le mouvement dit de Mazdaznan.

À l’origine du culte de Mazdaznan, on trouve un dénommé Otto Hanisch. La date et le lieu de naissance exacts de ce mystérieux personnage restent inconnus, et les informations à propos de sa famille sont plutôt maigres sur Internet. Néanmoins, selon une biographie présente sur le « site officiel du culte » après être né lors d’une mission diplomatique dans l’Empire Perse – actuel Iran – Hanisch aurait été envoyé dans une société secrète pendant son enfance, dans le but de soigner une hypoxie handicapante grâce à diverses techniques de respiration. Tour à tour mormon, barbier, magnétiseur, spirite et berger, Hanisch se serait finalement installé aux États-Unis, en Illinois. Aux alentours de 1890, il démarre enfin l’œuvre de toute sa vie : Mazdaznan.

La religion se propage d’abord via une brochure nommée Mazdaznan : Health & Breath Culture. Celle-ci est éditée dans plusieurs pays, dont en France – le siège français du mouvement, nommé Aryana, se trouvait rue Férou dans le 6e à Paris. Le contenu de la revue est constitué d’un imbroglio pas vraiment cohérent de traductions de conférences du mouvement tenues aux États-Unis, de conseils santé centrés sur la respiration, d’explications naïves et scientifiquement fausses sur la « cellule atomique », de divers discours empreints d’un féminisme paradoxal – la femme doit « devenir plus puissante », et pour ce faire elle doit rester à la maison et fait bonne utilisation de la « douche vaginale ». La revue contenait aussi quelques recettes de légumes vapeur en fin de numéro, de même que des nouvelles de fiction proto-heroic fantasy.

En France, la revue porte le nom sibyllin de Maîtresse – Pensée. À vue de nez, celle-ci pourrait paraître à peu près réglo dans un délire ésotérique, chose courante au début du XXe siècle, si seulement on y omettait quelques paragraphes enflammés sur un thème pas vraiment politiquement correct : « l’avènement de la Race de l’Avenir ». C’est-à-dire, vous l’aurez compris, celui de la race blanche.

Le logo du culte ésotérico-fasciste Mazdaznan. Image via leur site.

Nous sommes alors en 1920. Ébranlée par les conséquences de la Première Guerre mondiale, l’Europe est au bord de l’implosion. Dans des pays endettés par le conflit et toujours en proie à des tensions diplomatiques, les extrêmes, qu’ils soient de gauche ou de droite, progressent rapidement. En 1923, Adolf Hitler tente un coup d’état en Allemagne avec l’appui de son NSDAP, avant d’être envoyé en prison – ce qui lui laissera le temps d’écrire Mein Kampf. Aux États-Unis, l’air est à peu près aussi vicié. Le gouvernement interdit la vente d’alcool, limite l’entrée des immigrants, et le Ku Klux Klan est alors fort de plus de quatre millions de membres.

De leur côté, les adeptes de Mazdaznan n’attirent l’attention des médias qu’à cause de leurs rites excentriques. Entre leurs diverses salutations au Soleil, les bains de rosée nocturne, ainsi que leur tendance à se balader entièrement nus et à s’embrasser sans raison, quelques médias locaux écrivent des brèves à leur sujet. Rien de bien sérieux.

Les partisans de Mazdaznan ont une idée concernant la première étape de la domination de la race blanche sur le monde. Ils pensent qu’hommes et femmes doivent posséder des organes génitaux parfaitement sains.

Le truc, c’est que d’après les traductions de leur revue, les adeptes de Mazdaznan ont également l’air de tomber d’accord sur trois sujets beaucoup moins anecdotiques. Le premier, c’est qu’ils ont beau être progressistes niveau respiration, ils pensent clairement que toutes les populations mondiales constituent des « races » inférieures à « la leur », celle des Blancs. Cette conception raciste du monde sera mise en avant dans cette charge du journaliste David Ammann, fervent disciple d’Hanisch : « Si l’étroitesse du crâne était un signe de haute évolution, ce serait la race la plus primitive, la Noire, qu’il faudrait placer au haut de l’échelle – car elle présente des dolichocéphales, un fait qui ne contribue pas peu à embarrasser les anthropologistes. Certains ont cherché à s’en sortir en situant les Nègres à un niveau supérieur, mais on peut à bon droit se demander combien de temps se soutiendra une hypothèse aussi absurde ! »

Ensuite, à contre-courant de la pensée raciste européenne en vogue au sortir de la Première Guerre mondiale, le peuple juif ferait également partie de leur idée de la race aryenne. C’est en gros, ce qu’explique cet article.

Enfin, ils ont une idée commune concernant la première étape de la domination de la race blanche sur le monde. Ils pensent en effet qu’hommes et femmes doivent, en premier lieu, posséder des organes génitaux parfaitement sains. C’est ce que résume cet extrait d’article enrichissant : « Les éducateurs sont forcés d’admettre que la moyenne des hommes a besoin d’être circoncise et celle des femmes de subir l’opération du curetage, si nous voulons voir se réaliser la Race de l’Avenir. Nous devons être pourvus de la santé du corps, et de la puissance de l’esprit dans ce corps ! »

Fort de plusieurs milliers d’adhérents au milieu des années 1920, le culte s’étend peu à peu un peu partout aux États-Unis, et dans le monde. En Californie, les partisans de Mazdaznan exercent désormais une influence minime mais réelle sur le monde politique américain. À San Diego notamment, un immigré roumain nommé C. Leon DeAryan prône les préceptes de cette religion alternative en même temps qu’il œuvre pour l’extrême droite américaine. Faisant fi de l’orthodoxie de son culte, il exprime avec ferveur un antisémitisme forcené. De l’autre côté du monde, en Autriche, la List Society de Guido von List, instrumentale dans la création du futur parti National socialiste allemand (NSDAP), comptait dans ses rangs l’essayiste Karl Heise, également fondateur d’une communauté Mazdaznan en Suisse, nommée – comme de juste – Aryana.

Ce n’est que lorsque Adolf Hitler sort de ses neuf mois de prison en 1924, que le mouvement prend un sérieux coup dans l’aile. En effet, Hitler décide de consolider la crédibilité du NSDAP vis-à-vis des masses en lui faisant couper tout pont avec ses racines occultes. La population qu’il vise est en effet ouvrière ou issue de la petite classe moyenne allemande. En plus de lire peu, celle-ci ne croit pas à l’ésotérisme et aux philosophies alternatives comme celles proposées par les Mazdaznan. Ça, c’est bon pour les SA du haut, d’origine bourgeoise. Dans un souci de ce qu’Hitler nomme « transparence envers ses possibles électeurs », et préférant l’activisme pur et simple, il rompt progressivement tout lien avec les communautés avides de rituels et d’idéologies ariosophiques.

En 1935, deux ans après sa prise de pouvoir en Allemagne, le chancelier Hitler décide tout simplement d’interdire le culte Mazdaznan sur l’ensemble du territoire allemand. Compte tenu des préoccupations du monde à la même époque, les rites Mazdaznan disparaissent d’Europe dans un silence somme toute relatif. Néanmoins, le mal était fait.

Le fondateur du culte, Otto Hanisch, aka Dr. Otoman Zar-Adusht Ha’nish, en habit de gourou.

Car les racines ésotériques et racialistes de ce même mal, diffusées notamment par les pontes du mouvement Mazdaznan, accouplées à l’effondrement économique de l’Allemagne post-Première Guerre mondiale et au désir de vengeance du peuple allemand, ont donné lieu au pire régime totalitaire ayant jamais vu le jour. Vous savez à peu près comment tout cela s’est terminé. Assez mal. Pour tout le monde.

Parallèlement, les adeptes se faisaient plutôt nombreux au Royaume-Uni. On dénombre, à la fin des années 1930, une quarantaine de centres Mazdaznan sur le sol britannique, notamment à Leeds et Halifax. Compte tenu de leurs pseudonymes à consonance perse, il est difficile de savoir qui, exactement, se cachait dans leurs rangs. Cependant, d’après plusieurs comptes rendus de lectures de leur leader, il semblerait que son public fut varié. Enseignants, docteurs, musiciens, hommes d’église et politiciens locaux y figuraient, aux côtés des habituels guérisseurs et autres théosophistes – et même plusieurs journalistes déguisés.

On note tout de même l’histoire d’un dénommé Harry Marsh, expulsé de l’école catholique qu’il dirigeait pour avoir prôné les bienfaits de Mazdaznan. Pour sa défense, l’homme prétendit qu’il ne s’agissait pas d’une religion rivale, mais simplement d’un « mode de vie ». L’Américaine Gloria Gasque, elle, profita de sa fortune pour voyager en Inde afin de répandre le « véritable message » de Zoroastre dans les communautés parsies. Elle échoua, et revint aux États-Unis pour devenir présidente de l’International Vegetarian Union de 1953 à 1959.

Un schéma explicatif ésotérique de Mazdaznan, en hongrois, dont la signification m’échappe.

Otto Hanisch, qui de son côté s’était renommé entre-temps « Révérend Docteur Otoman Zar-Adusht Ha’nish » – ce qui lui donnait un certain cachet, puisqu’il prétendait être « né à Téhéran » –, avait de son côté multiplié les procès. Accusé de kidnapping et d’obscénité par plusieurs familles américaines, moyennement amusées par sa tendance à embrigader et saigner financièrement certains de leurs parents, il avait également clamé à qui voulait l’entendre qu’il était « l’inspiration derrière “Ainsi parlait Zarathoustra” » de Friedrich Nietzsche. Parmi ses nombreux faits d’armes, selon Ian Whittlesea – qui a réédité en 2013 l’un de ses livres en y ajoutant une préface explicative –, Hanisch se serait également vanté d’être à l’origine des ampoules Mazda de Thomas Edison – ce dernier ayant apparemment pompé le nom d’Ahura Mazda, le créateur de l’Univers dans le zoroastrisme, sur ses conseils. Hanisch est finalement mort en 1936, ayant la chance de ne pas vivre la guerre et d’assister au déclin inexorable de sa secte.

Car de fait, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le culte de Mazdaznan est plutôt mal en point. L’interdiction du rite, quoique définitivement levée en Allemagne en 1946, a marginalisé ses partisans. En Europe, rares sont les personnes à encore se revendiquer du culte.

Aux États-Unis, les gens l’ont plus envisagé comme une mode inoffensive. Dans les années 1950, tandis que les Américains sont occupés à reconstruire, se succèdent dans le pays un certain nombre de courants de pensée alternatifs, lesquels enterrent bien vite les idées « d’hygiène raciale » de la secte d’Hanish. Peu d’informations sont disponibles sur la manière dont Mazdaznan a périclité. On peut toutefois s’imaginer que la plupart de ses adeptes ont suivi l’exemple de Gloria Gasque, et sont passés à des clubs légèrement moins mystiques – et fascistes, aussi. Car la seconde moitié du XXe siècle fut marquée par un rejet absolu de tout ce qui est lié de près ou de loin à la xénophobie, à l’homophobie, au rejet de l’autre, et à toute idée de « pureté » – raciale comme sociale.

Ç’en était bel et bien fini de Mazdaznan, qui continua sa petite vie faite de yoga et d’ésotérisme dans une indifférence absolue.

Longtemps après, dans les années 1980, le quartier général de Mazdaznan fut délocalisé à Encinitas, en Californie. D’après Wikipédia, le dernier leader du mouvement originel, dont l’identité demeure inconnue, aurait disparu de la circulation au cours de l’année 2001. Le mouvement est réapparu subitement en 2007 au Canada, guidé par un certain Peter DeBoer. D’après les quelques réponses sur lesquelles on tombe avec une recherche Google, il semblerait que le culte soit encore actif – ou plutôt disons, pas encore tout à fait mort – aujourd’hui.

En 2016, le site internet du mouvement Mazdaznan les présente comme un groupe inoffensif de sympathisants de la respiration et d’un mode de vie tourné vers la relaxation et le plaisir. La plate-forme permet par exemple, d’acheter des VHS de gymnastique et autres CDs pour vous aider à respirer correctement – grâce à l’aide précieuse de gammes de piano et de murmures féminins. Au détour d’une page, il est également possible de se procurer pour la modique somme d’une dizaine d’euros des éditions originales des écrits du grand Otoman Zar-Adusht Ha’nish. La communauté allemande organise toujours une « Semaine internationale de la famille et des amis de Mazdaznan », la dernière s’étant déroulée début août 2016. Le compte rendu, posté sur leur page Facebook, montre une communauté de personnes âgées aimant s’habiller de blanc et profiter de trois repas végétariens par jour.

Bizarrement, aucune trace de la classification raciale établie en d’autres temps par les pontes du mouvement, selon leur technique infaillible de la pesée du cerveau.

Donnie Ka est sur Twitter.