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La collection de couteaux qui ferait pâlir d’envie n’importe quel chef

Quand on discute de leur cuisine, la plupart des chefs prennent un air concentré et sérieux. Mais dès qu’on évoque leurs marques de couteaux préférées, leur regard s’illumine. La relation des chefs avec leur coutellerie est bien souvent inénarrable, mais nous allons néanmoins tenter de vous en parler.

Nous avons récemment parlé avec Roderick Rijsdam, un Néerlandais de Leiden qui se trouve être le premier à avoir importé des couteaux japonais aux Pays-Bas. Il passe le plus clair de son temps à chercher les plus beaux couteaux pour ensuite les vendre aux meilleurs chefs des Pays-Bas et de Belgique.

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Toutes les photos sont de Raymond van Mil.

MUNCHIES : Salut Roderick. Pourquoi tu aimes tellement les couteaux ? Roderick Rijsdam : J’ai une fascination pour les lames depuis que je suis môme. Je me rappelle être allé en vacances en France avec mes parents et m’être amusé avec un couteau qu’ils m’avaient donné tout au long du séjour. Plus tard, quand j’étais en école hôtelière, je les voyais comme des objets quasi-sacrés. À 24 ans, quand je bossais en tant que chef, je m’offrais chaque mois un couteau de cuisine Global avec l’argent de mes pourboires. Global est la première marque de couteaux japonais à avoir débarqué aux Pays-Bas.

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On m’a dit que c’est grâce à toi si beaucoup de grands chefs se sont mis à utiliser des couteaux japonais.Quand je bossais à Rotterdam, j’ai vu quelqu’un se servir d’un couteau Kai, la première marque de couteaux professionnels japonais que je n’ai jamais vue. À côté, Global faisait vraiment pâle figure. C’est à partir de là que je me suis renseigné sur les différents types de couteaux japonais qu’on pouvait trouver aux Pays-Bas. Comme il y en avait très peu de dispo, j’ai commencé à en importer moi-même. Au départ, c’était simplement pour ma propre cuisine. Ensuite, j’ai commencé à les vendre.

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Tamahagane : 63 couches d’acier avec un manche en bois de Pakka.

Qu’est-ce qui fait la particularité des couteaux japonais ? Ces couteaux restent aiguisés plus longtemps grâce à leur acier qui est beaucoup plus résistant. Et ils sont plus beaux. En plus de l’esthétique, les marques traditionnelles ont souvent une histoire dingue. La plupart des couteliers japonais étaient à l’origine fabricants de sabres pour les samouraïs, un savoir-faire passé de génération en génération. Quand tout cela a été interdit au Japon, ils se sont reconvertis dans les simples couteaux. Par exemple, le nom de la marque Tamahagane signifie en japonais « le plus pur acier duquel sont faits les sabres des samouraïs ». Trop cool !

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Tamahagane : un couteau de la série Tsubame, modèle que Roderick vend le plus souvent.

Ta collection compte combien de couteaux, actuellement ?Deux cents. Ils occupent une pièce spéciale chez moi. J’ai toujours deux mallettes prêtes avec différents types de couteaux. Je les emporte dans tous les restaurants. C’est vraiment marrant parce que j’ai moi-même commencé en tant que chef et maintenant, mon boulot m’emmène dans toutes les meilleures cuisines et les plus beaux endroits de Belgique et des Pays-Bas. Chez Benoit Dewitte en Belgique, c’était tellement superbe que je ne voulais plus repartir. Et chez François Geurds, un chef de Rotterdam qui est peut-être encore plus fana de couteaux que moi, j’ai vu sa cuisine conçue par El Bulli. Impressionnant !

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Tu n’as pas de magasin ? Non, car les grands chefs n’ont pas le temps. Je passe les voir sur rendez-vous. Je pose mon matos sur la table, on discute pendant trente minutes ou une heure maxi. Le chef choisit son couteau, me file l’argent et il garde le couteau.

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Est-ce que les chefs deviennent tout excités quand tu débarques avec tes mallettes ?J’ai l’impression d’être un marchand de bonbons pour eux. On fait parfois la comparaison avec les baguettes dans Harry Potter : c’est la baguette qui choisit son sorcier et c’est également le couteau qui choisit son cuisinier. Il y a toujours un couteau qu’on trouve plus attirant que les autres, mais j’essaye de ne pas trop m’attacher. J’ai remarqué que les gens ont souvent tendance à choisir le couteau le plus cher, en général parce que c’est celui qui a l’air le plus cool.

C’est quoi le plus beau couteau que tu aies vu ? C’était un couteau de la marque allemande Nesmuk. Il coûtait 80 000 euros. Je l’ai vu et je l’ai tenu entre mes mains. La sensation était géniale, je ne voulais plus le lâcher. Ils en avaient un autre à 30 000 euros complètement décoré de pierres, de diamants et de strass. Seuls les chefs les plus riches peuvent se permettre ce genre de matos. Comme ce mec connu à la télé allemande qui possède aussi deux hélicos.

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Roselli : les couteaux les plus solides de la collec’ de Roderick. Ils viennent de Finlande et ont été forgés d’un seul bloc.

Il faut faire attention à quoi, quand on choisit un couteau ? Le plus important, c’est la dureté de l’acier. Plus un couteau est dur et plus il restera aiguisé longtemps. Ça se mesure en Rockwell. Chaque point gagné sur l’échelle de Rockwell signifie que le couteau reste aiguisé une semaine de plus. Quand j’achète un nouveau couteau, je le teste avant de le vendre et s’il est resté tout aussi bien aiguisé après une semaine, c’est que c’est de la bonne qualité.

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Glestain : en haut, un couteau désosseur. En bas, un couteau de boucher. Les manches de ces deux couteaux ont été conçus pour pouvoir écraser des coquillages.

Il faut aussi que le couteau soit agréable en main. Il faut avoir une bonne sensation dans le manche, voir s’il est équilibré, s’il n’est pas trop lourd pour vous. Un couteau avec un manche en bois ou en micarta (matière mélangeant des couches de papier à de la résine) est sans doute ce qu’il y a de plus agréable. Vous n’aurez pas de cloques ou de cors avec ça.

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Florentine : forgé en trois couches.

Est-ce que les couteaux aussi sont victimes de la mode ?Bien sûr. Tous les ans je me rends en France, où se tient la plus grande foire de coutellerie du monde. L’année dernière, tout le monde parlait du « paperstone », un matériau pour le manche fait en papier et en résine, apparemment très résistant. L’année prochaine, ce sera quelque chose d’autre.

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Aujourd’hui, la principale tendance est qu’il faut avoir un couteau original. Sinon, il pourrait facilement être contrefait et on en trouverait des similaires mais de moins bonne qualité chez IKEA. Plus un couteau est original et moins il aura de chance d’être copié. Certains couteliers poussent cette exigence très loin. Le Belge Antoine van Loken fait des couteaux dont le manche contient du pénis de baleine spécialement pour Hof van Cleve, un resto trois étoiles en Belgique. Je n’en voudrais pas, même s’ils étaient gratuits.

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Sakon: powder metallurgical steel, 64 on the Rockwell Scale.

En ce moment, mon préféré est Lannier, un jeune Français qui s’est déjà fait remarquer par l’originalité de ses couteaux. Il en a par exemple fait un avec un crâne gravé sur la lame, et il a aussi des manches faits à base de tissus de kilt écossais, de copeaux d’aluminium ou encore de fibre de carbone. Le dernier est fait de telle sorte que le manche s’allume en bleu quand on le place sous la lumière dans une pièce sombre. Vraiment cool !

Les chefs aiment faire tout un mystère autour de leurs couteaux. Pourquoi ? Parce qu’un couteau, c’est une partie de leur identité. Soenil Bahadoer, un chef étoilé néerlandais, m’a demandé de lui trouver un couteau symbolisant ses racines. Il est Surinamais et Pakistanais d’origine. J’ai fait fabriquer pour lui pas mal de couteaux dans un endroit qu’on garde secret. Quand un restaurant étoilé commande vingt couteaux en corne de buffle ou de cerf, je n’irai pas vendre les mêmes couteaux à un autre type qui se trouve à cent kilomètres. On respecte le souhait des chefs d’être originaux. C’est une règle tacite dans le monde de la coutellerie.

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Fujiwara : un couteau à légumes et un de cuisine forgé en trois couches.

Tu fais également des conférences dans des écoles hôtelières.C’est vrai. On apprend trop peu aux futurs chefs comment entretenir eux-mêmes leur coutellerie. Parfois, on vient me voir parce qu’un couteau ne marche plus. Quand j’examine le couteau, je me rends compte qu’il a été mal entretenu par le client. On essaye donc d’apprendre à nos clients comment bien s’occuper régulièrement des couteaux. Il faut les aiguiser, on leur montre par exemple comment se servir de pierres à aiguiser en diamant, une technique issue du monde du skate et qui permet aux couteaux de rester des années en bon état.

Merci Roderick.

Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES NL