Société

La communauté queer au Japon à travers les photos de Jonas Van der Haegen

Jonas Van der Haegen fotografie Japan queer

Jonas Van der Haegen (24 ans) est diplômé de l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand (KASK) depuis septembre. Le contenu de son livre Love, fuck & pray est une recherche visuelle sur certains aspects de sa vie perso tels que la sexualité, les relations et les questions relatives à l’identité.

Au Japon, Jonas a fait un stage dans un centre LGBTQ+, à Osaka pour être précis. C’est là qu’il est entré en contact avec la communauté queer à travers la photo analogique. Dans un pays où beaucoup de personnes vivent isolées, où l’image des femmes est sursexualisée mais où la plupart des hommes sont encore vierges à un âge avancé, trouver l’amour est un défi particulier. 

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Jonas nous parle du Japon, de la communauté queer et de la photo qui l’a le plus marqué. 

VICE : Salut Jonas. Le nom Love Fuck Pray, ça vient d’où ?
Jonas : J’aime bien donner des noms courts et puissants à mes travaux. « Love », pour ces gens que j’ai rencontrés et photographiés ; « Fuck », pour l’atmosphère parfois chargée sexuellement ; et « Pray », de manière moins littérale, pour la notion de respect des Japonais·es. Au Japon, iels croient que tout contient une âme – votre nourriture, votre maison, etc. – et que vous devez respecter ça. Je pense aussi que ces trois mots résument bien nos vies. 

Ton travail se focalise sur la communauté queer au Japon et t’as fait un stage chez dista, un centre LGBTQ+. C’était quoi, le rôle de ce centre ? 
C’était pas vraiment un refuge, mais plutôt un endroit pour rassembler les gens et construire une communauté proche – au Japon, beaucoup de gens vivent isolés. On y a principalement organisé des événements pour rassembler cette communauté. Pendant mon stage, iels travaillaient sur une expo sur l’histoire des drag queens au Japon qui devait être présentée à Kyoto. Iels organisent aussi des pique-niques, des cours du soir d’anglais, des dîners et des conférences, notamment sur la prévention du VIH. C’est pas un centre très grand.

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« Deux personnes du lieu. Deux bons amis. » 

C’était comment l’atmosphère là-bas ?
C’est comparable aux communautés queer ici. Il y a beaucoup d’humour. Les gens au Japon sont souvent plus réservés que nous, mais ils n’ont rien contre une petite blague cochonne.

C’est pas facile de faire un stage au Japon et d’y vivre. L’éthique et la hiérarchie y sont très marquées. Mais je n’ai pas ressenti ça dans le centre. L’atmosphère y était au contraire très amicale et tout le monde était au même niveau. Et il n’y avait pas d’atmosphère de travail tendue, vu que la plupart des gens étaient des bénévoles. 

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« Une drag queen du centre LGBTQ+. Je n’ai pas mis son fauteuil roulant sur la photo. »

Qui est la drag queen ?
Je l’ai rencontré en ville. Ses jambes sont paralysées donc il est en fauteuil roulant. Mais ça ne l’empêche pas de faire des shows. Il est très actif au centre. J’ai laissé son fauteuil roulant en dehors de la photo parce que ma série se focalise sur ce que c’est d’être queer. C’est la première photo de mon livre où le modèle regarde directement dans l’appareil, je trouve qu’elle est une belle représentation de l’identité queer au Japon.

Le Japon en est où niveau droits LGBTQ+ ?
Les personnes LGBTQ+ ont beaucoup moins de droits qu’en Belgique. Le mariage entre deux personnes de même sexe y est toujours interdit, les hôpitaux peuvent te refuser si t’es séropositif·ve, la PrEP coûte environ 2 000 euros par mois et il est presque impossible financièrement d’y faire de la prévention. Tu peux aussi être refusé·e presque partout si t’es une personne trans. À ce niveau, iels sont encore loin derrière nous. Une fois, avec un ami, on nous a refusé l’entrée dans un photomaton parce qu’on était gays. Iels avaient peur qu’on se batte pour les photos et qu’iels ne puissent pas s’occuper de deux mecs. Les personnes LGBTQ+ ne sont pas souvent les bienvenues dans les fameux love hotels. Bien sûr, on sera toujours sympa avec toi, mais il y a quand même un climat homophobe et transphobe.

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Tu te sentais en sécurité dans la rue ?
Oui, t’as beaucoup moins de chance d’être attaqué·e physiquement ou verbalement dans les rues au Japon. Il y a beaucoup plus de liberté dans l’expression et les vêtements. On ne te critiquera jamais là-dessus. En Belgique, si t’es un homme et que tu te promènes en jupe, on va directement te faire des remarques. C’est pas le cas au Japon. C’est aussi parce que là-bas, la notion de respect est très importante. Ça se voit rien qu’à la propreté des transports en commun, mais aussi à la façon dont les gens te traitent. 

Cela dit, ce respect est une épée à double tranchant. Être une personne trans ou gay est considéré comme un manque de respect envers ses parents et sa famille. Beaucoup de mecs du centre ne parlent pas de leur sexualité à leurs parents. Si les parents avaient grandi à Tokyo, iels pourraient généralement être plus progressistes et encourager leurs enfants à être soi-même, contrairement aux familles dans les campagnes – mais ça, c’est un peu pareil partout.

Les garçons du centre qui ne parlaient pas de leur sexualité à leurs parents n’avaient pas nécessairement peur d’être chassés de leur famille. Leur silence était aussi une forme de respect : ils ne voulaient pas faire de mal à leurs parents parce qu’ils n’allaient pas pouvoir leur offrir de petits-enfants, par exemple.

Ton séjour au Japon a changé ton point de vue sur l’identité, la sexualité et le genre ? 
Bien sûr, ça m’a fait réfléchir. Si tu passes un peu de temps au sein d’une autre culture, tu remarques les différences. Mais ça n’a pas changé mon point de vue. J’ai remarqué la différence avec la Belgique, parce que j’ai vu ce qu’était la scène gay au Japon à travers mon prisme européen, occidental. 

Ce qui est bien au Japon, c’est que la frontière entre la féminité et la masculinité est beaucoup plus fine. Les garçons font beaucoup plus d’expériences avec leurs cheveux, se mettent du vernis sur les ongles, etc. C’est aussi encouragé dans l’éducation ; il y a moins de pression sur la différence dans l’éducation des garçons ou des filles. C’est beaucoup moins le cas ici en Belgique. Même si ma génération et celle qui arrive osent expérimenter, le Japon a de l’avance en termes de liberté d’expression. La masculinité toxique y est également beaucoup moins présente.

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« J’ai pris cette photo le lendemain d’un rencard. Je lui ai demandé si je pouvais prendre son portrait. Pour moi, le bleu représente le matin, et il y a un joli contraste avec la couleur de ses cheveux. »

T’as rencontré tous les modèles au sein du centre ?
La plupart, oui. Puis ils m’ont présenté à d’autres gens et ainsi de suite. J’en ai aussi rencontrés dans des soirées queer, mais la plupart du temps c’était via Internet et les applications de rencontre. La plupart des modèles sur mes photos étaient des rencards.

Quelle image de la série t’as le plus marqué ?
Celle du garçon au rouge à lèvres que j’ai prise avec le flash. Je l’ai rencontré via une connaissance. J’aime beaucoup les couleurs de l’image, avec le vêtement et le rouge à lèvres qui dépasse. Ce portrait suscite plusieurs questions sur l’expression du genre, la raison pour laquelle le rouge à lèvres est comme ça… Cette image est brute comparée aux autres plus romantiques ; le regard est très direct. 

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Comment se passaient les shootings ?
Au début, c’était spontané. Je fixais le rendez-vous, et je disais que j’allais capturer quelques moments précis. Puis je choisissais un moment pour faire des portraits. Parfois, on faisait aussi des excursions d’une journée, genre à la mer, ce qui donnait des images avec plus d’insouciance. Les rencontres avaient chacune leur propre atmosphère ; certaines étaient plutôt amicales, d’autres étaient très fugaces, comme pour les images de bondage en noir et blanc. J’ai pris ces images en moins d’une minute. 

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« Ces images de bondage ont été prises très furtivement, en moins d’une minute j’ai pris 30 photos. »

D’où vient ton intérêt pour le BDSM ? 
Ça me fascine, et j’en ai déjà fait l’expérience quelques fois. Au Japon, j’ai suivi un cours d’initiation au BDSM. J’y vois une forme de beauté. Je trouve qu’il y a quelque chose de très romantique dans la confiance que tu accordes à quelqu’un avec qui tu fais du BDSM. Lorsque tu prives quelqu’un de sa liberté, ça témoigne d’un lien de confiance fort. 

Ma série porte sur l’expérience de la sexualité, et je pense que le BDSM en fait partie. Vivre sa sexualité, c’est pas seulement se réveiller ensemble la tête dans les nuages tous les matins. Ça peut aussi être plus brutal. Pour moi, le bondage fait tout autant partie de la recherche et de l’expérience de ta sexualité.

Retrouvez le travail de Jonas sur son site et sur Instagram.

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« On ne voit que l’ombre fait refléter certains détails et la corde blanche qui contraste avec son corps. Son identité disparaît presque. »
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« Ces deux-là sont en couple. Leur pose montre un lien de confiance entre eux. Il y a aussi un côté féminin à ne pas vouloir montrer ses tétons quand on est un homme. C’est une autre image sur laquelle je veux soulever des questions. »
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