Dans un grand supermarché chinois de Central London, des paquets de moutons surgelés, de crevettes géantes tigrées croustillantes et d’intestins s’entassent dans des congélateurs. Dans les allées voisines, des boîtes de conserve pleines de canard, de poulet et d’ormeaux. Pourtant, malgré les apparences, le nom ou la texture plutôt convaincante, aucun de ces produits ne contient de viande ou de poisson.
Personne ne vous jugera si vous pensez que les simili-viandes sont un phénomène récent, crée pour répondre à la demande croissante d’une population de végétariens et de végans toujours plus nombreuse. Qorn, producteur d’aliments veggies qui s’est lancé sur le marché en 1985, a enregistré ses meilleures ventes annuelles et veut atteindre les 760 millions de livres (885 millions d’euros) de recettes en 2027.
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Autre marque du secteur, Linda McCartney Foods, fondé en 1991, connaît un succès similaire. Ses ventes ont grimpé de 20 % entre 2016 et 2017. Malgré les critiques s’interrogeant notamment sur les risques pour la santé associés à ces produits « ultra-transformés », la demande en soja texturé, saucisse de tempeh, burger au seitan ou tout autre substitut devrait continuer d’augmenter.
Alors que les produits végans sont maintenant disponibles dans la plupart des supermarchés – et de plus en plus souvent disposés à côté de la viande traditionnelle plutôt que banni dans le fond d’un bac de légumes surgelés – l’accès à la simili viande n’a jamais été aussi simple. Mais utiliser du gluten, du tempeh ou du tofu à la place à la place d’une alimentation carnée a commencé bien avant la vague de viande végétalienne que l’on observe actuellement.
« Les gens pensent souvent que la fausse viande est un truc contemporain et occidental. En fait, c’est chinois », me confie Fuchsia Dunlop, spécialiste de la culture culinaire chinoise et auteur de Sichuan Cookery et de Land of Fish and Rice : Recipes from the Culinary Heart of China. « La nourriture végétarienne chinoise est extraordinaire parce qu’elle ressemble vraiment beaucoup à ce qu’elle veut imiter. »
Impossible de lui donner tort tellement les Chinois semblent remporter haut la main le game du simili-viande. Si vous chopez une bonne adresse, vous allez le réaliser très vite après avoir pris une bouchée du « canard croustillant végétarien » – généralement du gluten rôti et frit servi dans une crêpe avec du concombre, de l’oignon nouveau et de la sauce hoisin – ou un morceau de tofu délicatement enveloppé dans une fausse peau de poulet croustillante.
Ces plats font depuis longtemps partie de l’histoire culinaire chinoise. Selon Dunlop, il y a des traces de simili-viande qui remontent aux banquets médiévaux dans l’empire du Milieu. Le Moyen-Âge quoi. « On en trouve sous la dynastie des Tang, qui s’étend de 618 à 907. Un officiel tient un banquet et sert des plats imitant du porc et du mouton avec des légumes. »
« Au XIIIe siècle en Chine, une des périodes les plus importantes en matière de gastronomie et d’innovation culinaire, il y a des restaurants de la capitale de la dynastie des Song, au Sud, (actuellement Hangzhou) où vous pouviez manger des plats bouddhistes végétariens », explique Dunlop. « Il y avait à l’époque toute une tradition d’imitations », ajoute-t-elle. « Il n’y avait pas que les légumes qui se faisaient passer pour de la viande. Plein d’ingrédients jouaient le rôle d’autres ingrédients ».
La cuisine végétarienne en Chine doit beaucoup aux moines bouddhistes qui sont présents dans le pays depuis la dynastie des Han (206 avant J-C. à 220) et la venue de missionnaires indiens qui apportent la religion. Une des clés de l’idéologie bouddhiste, c’est le végétarianisme. Les moines bouddhistes chinois ne voulant pas rompre avec les traditions, ils servaient lors de la présence de visiteurs extérieurs dans leur monastère des copies de plats à base de viande, la remplaçant par des légumes, du tofu ou du gluten.
« Les plats en trompe-l’œil sont particulièrement associés aux temples bouddhistes », raconte Dunlop. « Même si les moines se nourrissaient quotidiennement de plats végétariens simples, ils devaient parfois servir des repas à des officiels, des pèlerins ou des bienfaiteurs potentiels de passage. »
« En Chine, mes parents vivaient dans un village et avoir de la viande ou du poisson était quelque chose d’extrêmement rare. Ils se sont donc tournés vers le tofu. »
« Beaucoup de ces invités auraient normalement mangé de la viande mais ils se pliaient au régime végétarien des moines quand ils étaient dans le monastère », poursuit-elle. « Il y a certaines règles à respecter lorsqu’on donne un banquet et les moines les suivaient scrupuleusement. La viande était simplement remplacée par des légumes. »
Les bouddhistes ne sont pas les seuls à avoir expérimenté les imitations végétariennes de certains plats de viande. Au cours de l’histoire de la gastronomie chinoise, nombreux sont ceux qui se sont tournés vers le tofu et le gluten quand leur bourse ne leur permettait pas de s’offrir autre chose.
Jade Rathore, co-créatrice du Phung Kay Vegan, un club de gourmets végans et chinois, me raconte que ses parents ont lancé un business de tofu il y a 30 ans, peu après avoir quitté la Chine pour les Midlands, pour exactement ces raisons.
« Grandir en bouffant de la viande ou du poisson est un luxe », m’explique-t-elle. « Mes parents vivaient dans un village et avoir ce genre de mets était quelque chose d’extrêmement rare. Ils se sont donc tournés vers le tofu et se sont mis à le faire en famille. C’est une alternative répandue en Asie. »
« Ils utilisaient du tofu déshydraté, qu’ils appelaient ‘peau de tofu’ et ils le mettaient dans des bouillons », ajoute-t-elle. « Le tofu représente une très grande partie de mon alimentation en grandissant. C’est un ingrédient très versatile qui s’accommode à de nombreux plats. »
Dunlop acquiesce : « Le tofu est une nourriture très protéinée qui n’est pas uniquement réservée aux végétariens. Traditionnellement, les gens qui ne pouvaient pas se payer de viande mangeaient du tofu. C’est devenu ensuite un des ingrédients principaux pour les végétariens comme le gluten, qui est d’ailleurs une autre source de protéine. »
« Pour des raisons culturelles ou religieuses, en particulier dans la Chine bouddhiste, les alternatives à la viande sont très prisées. »
Dans son club Phung Kay Vegan, Rathore et son associée Angie Li utilisent des ingrédients pour remplacer la viande comme le konjac – une plante asiatique avec une partie comestible – ou le soja pour faire des crevettes véganes har gau ou des bao.
« Beaucoup de la simili-viande que l’on prend, comme de nombreux produits disponibles ici au Royaume-Uni, est fabriquée en Asie parce que le mouvement est important là-bas », souligne Rathore. « Pour des raisons culturelles ou religieuses, en particulier dans la Chine bouddhiste, les alternatives à la viande sont très prisées. »
L’innovation de la Chine en matière de simili-viande ne sera pas une surprise pour tous les habitués des rayons du supermarché asiatique qui cherchent désespérément du vinaigre de riz noir ou des pousses de bambou. À côté des étals de viande fraîche et des aquariums blindés de crabes vivants, le supermarché SeeWoo, situé dans le quartier chinois de Londres, propose une grande variété de produits à base de « viande végétarienne ».
Des faux fruits de mer congelés enveloppés dans une pâte croustillante pour imiter les crevettes au tofu fumé, soyeux et fermenté. Wing-Ki To, assistante de direction du directeur des ventes chez SeeWoo, me donne une idée de l’ampleur de la sélection. « Pour les produits en conserve, nous avons le faux canard, le faux poulet et les faux ormeaux », me dit-elle, après avoir longé d’immenses réservoirs remplis d’anguille situés au-dessus du supermarché.
« Pour les produits surgelés, nous avons aussi du poulet, des calamars, des crevettes, de l’agneau, du bœuf ou du porc. Le gluten a tendance à en être l’ingrédient principal, mais beaucoup de produits surgelés ont tendance à être fabriqués à partir de soja », ajoute-t-elle. « Nous avons beaucoup de stocks et, à mon avis, au cours des dernières années, les pratiques végans et végétariennes ayant augmenté, cela a eu un impact sur nos ventes. »
« De très fines couches de peau de tofu sont roulées, cuites à la vapeur puis frites. Le résultat final a une peau dorée et croustillante qui ressemble à de l’oie ou du canard et une consistance qui ressemble à de la viande. »
Alors que le tofu, les légumes et le gluten sont un peu plus faciles à tracer dans l’histoire de la cuisine chinoise, les produits fabriqués en série du XXe siècle (tels que les crevettes tigrées de SeeWood faites à partir de fromage de soja notamment), sont plus difficiles à dater.
Ces produits n’étaient clairement pas servis dans la Chine du VIIe siècle, mais sont pourtant le fruit d’une longue histoire de gastronomie créative et végétarienne. « La viande est un élément important des rites d’hospitalité ou religieux », me dit Dunlop. « Mais c’est aussi une culture culinaire très sophistiquée. C’est pour ça qu’il y a eu autant d’expériences où l’on a modifié la forme et l’apparence de la nourriture. »
« Il y a des protéines à base de haricots divers et de konjac, des gelées moulées pour prendre la forme de crevettes », ajoute-t-elle. « Vous pouvez également obtenir des tranches de porc à base de protéines végétales. » Malgré ces options « transformées », de nombreux Chinois continuent d’utiliser les techniques traditionnelles pour se faire des plats végétariens. « Il existe des plats très populaires dans la région de Jiangnan autour de Shanghai, appelés oie ou canard rôti », explique Dunlop.
« Ce sont en fait de très fines couches de peau de tofu qui sont baignées dans une délicieuse sauce à base de vin de Shaoxing, de sucre et de sauce soja. Elles sont roulées, cuites à la vapeur puis frites. Le résultat final a une peau dorée et croustillante qui ressemble à de l’oie ou du canard et une consistance qui ressemble à de la viande. »
Et je dois bien admettre que ça donne vraiment plus envie qu’une Knacki.
Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES UK
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