La discrimination à l’embauche, ça existe aussi dans le foot

Cris de singe, insultes, lancers de bananes… Ces dernières années, les violences racistes se sont multipliées sur les terrains de foot. S’ils émanent souvent des tribunes, ces relents xénophobes ne sont pas le seul fait des supporters – bien au contraire. Dans Enquête sur le racisme dans le football (éditions Marabout), qui paraît ce mercredi 5 septembre, Nicolas Vilas, grand spécialiste du ballon rond, raconte aussi la discrimination à l’embauche dont sont victimes les entraîneurs. Interview.

Vice : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au racisme dans le foot ?
Nicolas Vilas : Le foot me passionne par son universalité, par le fait qu’il soit le sport le plus pratiqué du monde et qu’il touche tout le monde. Il est alors intéressant de se demander comment le foot en tant que phénomène de société, que partie intégrante de la société, vit, agit face à un certain nombre de problématiques auxquelles la société peut être confrontée. Le racisme peut être l’un de ces questionnements. Dans mon livre, j’ai choisi de laisser la parole aux acteurs du milieu – joueurs, entraîneurs, dirigeants, mais aussi supporters – pour montrer la diversité des points de vue. Et ce que l’accumulation de ces témoignages montre, c’est qu’on retrouve parfois dans le foot toutes les manifestations de racisme qui existent dans la société : discrimination à l’embauche, extrémisme, question de la discrimination positive…

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Il y a tout de même des différences spécifiques au milieu du foot ?
L’importance qu’occupe le foot dans l’espace médiatique à l’heure actuelle. C’est une différence primordiale avec une affaire de discrimination qui se tiendrait dans un autre secteur, qui aura souvent moins de retentissement. Les joueurs qui ont été victimes de racisme en subissant insultes, cris de singes ou jets de bananes au cours d’un match – je pense à Pascal Chimbonda et Boubacar Kébé, à Bastia, ou Abdeslam Ouaddou à Metz – doivent surmonter deux obstacles : digérer l’agression dont ils ont fait l’objet, l’acte en soi, mais aussi les réactions et les remous. Quand, après un épisode de ce genre, un des dirigeants de ton club vient te voir pour te dire de ne pas faire attention à tout ça, que ça arrive dans le monde du sport, c’est un autre traumatisme qui vient s’ajouter au premier. Parce que lorsque l’on est joueur de foot, le sport, ça n’est pas ça !

« Aux yeux des Français, Zidane n’est pas un fils d’immigrés algériens, mais un artiste »

Dans quelle mesure le racisme est-il présent dans les tribunes françaises ?
Concernant le supportérisme, il existe des groupuscules et supporters indépendants, racistes et fascistes, qui occupent en partie les stades. Mais il ne faut pas tomber dans la caricature et bien comprendre la complexité du rapport entre les supporters et le racisme. Il existe aussi des groupes entiers d’ultras qui sont constitués autour de la lutte antiraciste. Et un club comme le PSG illustre bien ces nuances : le club était divisé en deux tribunes politiquement opposées au sein même de chacune d’entre elles cohabitaient des sensibilités différentes. On a tendance à taper sur les supporters, moins à rappeler que c’est aussi de la responsabilité des clubs et des instances de lutter contre ce phénomène.

Au niveau de la FIFA, peut-on espérer que les dirigeants s’engagent contre le racisme ?

De sa prise de position parfois ambigüe sur l’Afrique du Sud ségrégationniste à aujourd’hui, la FIFA a connu une évolution au cours de son histoire. Y compris en son sein. La diversité de ceux qu’elle représente semble plus fidèle, de nos jours. La « task force », mise en place en 2013, et qui avait été créée pour lutter contre le racisme a finalement déçu. Parce qu’elle a été dissoute en 2016 après ne s’être réunie que… trois fois en trois ans !

Vous parliez de discrimination à l’embauche. À ce sujet, comment expliquer la très faible présence d’entraîneurs noirs, arabes ou asiatiques en Ligue 1 ?

D’abord, il faut quand même dire qu’en matière de représentativité des minorités dans les instances et sur les bancs des entraîneurs, on peut constater une évolution. Mais d’autres problématiques demeurent un club de foot est une composante de la vie sociale d’un territoire, un élément constitutif de l’identité de la ville. Alors, beaucoup de dirigeants, qui ne sont pas forcément racistes eux-mêmes, ont plus de réticences à prendre un entraîneur noir ou arabe, parce qu’ils savent qu’il ne va pas plaire à une partie de la population et une partie des supporters. En Ligue 1, il y a Antoine Kombouaré à Guingamp, Sabri Lamouchi à Rennes et Patrick Vieira à Nice. On peut aussi se poser la question sur l’origine sociale, le parcours de ces entraîneurs. Ceux qui n’ont pas fait une grande carrière en tant que joueur ont plus de difficultés à atteindre l’élite.

Peut-on néanmoins prendre ces parcours – ou encore celui de Zidane avec le Real Madrid – comme un signe encourageant ?

Oui et non. Évidemment, la réussite et la popularité de Zidane sont indéniables. Il peut être un référent, un exemple. Mais, comme disait l’ancien sélectionneur algérien Rabah Madjer, Zidane n’est pas un fils d’immigrés algériens, mais un artiste, un champion du monde, un Ballon d’Or.

Vingt ans après la France « black blanc beur » de 1998 et deux mois après la deuxième victoire en Coupe du monde, peut-on espérer que les choses changent dans le foot et plus largement dans la société ?
Il ne faut pas demander au foot de résoudre les problèmes de la société. Il n’en est que le miroir. Il ne faut donc pas trop attendre de cette deuxième victoire en Coupe du monde. Quoi qu’il arrive, il y aura toujours des mecs pour dire qu’il y a trop de Noirs et d’Arabes en équipe de France. En 1998, Jean-Marie Le Pen disait que les Bleus n’étaient pas représentatifs de la France. En 2001, Bruno Mégret a lancé sa campagne à la présidentielle au pied du Stade de France, où venait de se jouer le France-Algérie qui s’était conclu par un envahissement de terrain. Le foot est un objet politique dont certains s’emparent pour cristalliser les fantasmes des uns et des autres.

Enquête sur le racisme dans le football, Nicolas Vilas, éditions Marabout, 410 p.