La femme idéale selon les magazines des années 1960

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Selon un cliché répandu, la presse féminine ne serait qu’une masse de torchons vains et superficiels. Faire la fine bouche face aux produits conçus par et pour les femmes, c’est courant, mais c’est aussi un double standard assez injuste. Pour autant, ces magazines sont loin d’être irréprochables, et l’Histoire ne joue pas en leur faveur. Un week-end suffit à se rendre compte des horreurs qu’on peut trouver dans leurs pages poussiéreuses. Alors, voyageons quelques décennies en arrière pour examiner les conseils qu’on nous martelait naguère. Ensuite on ira toutes voir Mamie pour lui faire un bon gros câlin.

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Parlez prude, roulez des patins, habillez vous comme un tapin

Dans son numéro de janvier 1957, le magazine Ladies’ Home Journal pose la question qui, de toute évidence, taraude toute bonne mère de famille : mais qui va bien vouloir épouser ma fille ? On y trouve un test interactif, grâce auquel les mamans peuvent découvrir si leur petit ange de fille sera un jour bonne à marier. Exemple : accepterait-elle n’importe quel rendez-vous galant ? Est-elle du genre à jouer «touche-pipi» ? Refuse-t-elle parfois d’aller à l’Église ? Perd-elle souvent son sang-froid en famille ? Lui arrive-t-il…de “faire la fête” ?

À priori, une fille qui coche au moins dix cases aura «sans doute du mal à faire un bon mariage». Mais les premières de la classe ne sont pas casées pour autant. « Une fille trop prude, pas assez spontanée ou sur la défensive aura elle aussi de faibles chances d’être heureuse en ménage. »

Misez sur la douche vaginale

Seventeen, Cosmo, Ladies’ Home Journal : dans chaque numéro feuilleté, il y avait au moins deux pubs pour la douche vaginale. Visiblement, la chose fascinait les éditeurs de magazines féminins. En tout cas, message reçu : les vagins, c’est bizarre et c’est un problème à résoudre, à soigner. Aujourd’hui bien sûr, les médecins déconseillent ces douches : elles peuvent causer des vaginoses bactériennes et, même des infections ovariennes et utérines.

À gauche, une pub Gentle Spring de 1978. À droite, une pub Demure de 1969.

Mais passons sur l’efficacité relative de la méthode pour nous concentrer sur le sous-texte : en gros, impossible d’être une femme désirable, apte à satisfaire son mari, sans avoir recours à la douche vaginale. Un slogan au hasard : «Inutile de s’offrir le parfum de ses rêves si on n’est pas sûre de sa propre odeur corporelle.» Mesquin et manipulateur : on adore.

Fumez (mais pas n’importe où)

Une jeune fumeuse doit savoir dans quelles circonstances elle peut s’en griller une. C’est ce qu’affirme le Ladies’ Home Journal de janvier 1964, dans son article consacré au livre I Try To Behave Myself, sorte de guide de bonne conduite à destination des « jeunes demoiselles libérées ». On y déconseille aux femmes de fumer dans l’ascenseur, et on leur suggère de ne pas fumer dans la rue. Cela pourrait « leur donner, selon l’âge et la morphologie, un air de beatnick, de blanchisseuse ou d’Arletty. » On apprend alors qu’une femme doit toujours avoir ses propres cigarettes sur elle. «Nul homme ne saurait souffrir une épouse qui lui quémande en permanence des cigarettes.»

Choyez Monsieur, il le mérite

L’article « 38 manières de choyer votre homme », paru dans le «38 manières de choyer votre homme», paru dans le Cosmo d’août 1965, annonce toutes les listes qui pulluleront par la suite dans la presse féminine. Et certains conseils laissent perplexe.

« Ne le réveillez pas au beau milieu de la nuit pour l’ennuyer avec vos complexes et votre solitude. Il a peut-être eu une dure journée : son sommeil est précieux. »

« S’il vous raconte sa journée au bureau, soyez pendue à ses lèvres, comme au premier jour. »

« Ne perdez pas votre temps avec l’association des parents d’élèves, prenez plutôt des cours de massage suédois : il ne demande que ça…»

« Sa voiture ne veut pas démarrer, et vous savez comment l’aider ? N’en dites rien.»


Gagnez votre vie… comme un homme

« La seule façon de gagner le même salaire qu’un homme, c’est de faire le même métier. » Dans le Cosmo de février 1974, l’article « Se faire payer comme un homme » enfile les perles à destination des femmes désireuses de grimper l’échelle sociale sans sacrifier leur féminité :

« Savez-vous retourner une situation à votre avantage ? »

« Vous est-il possible de voir les hommes autrement que comme des objets sexuels ? »

Et l’auteur de ces dernières lignes d’enfoncer le clou : « Ne riez pas. Le monde du travail, c’est un monde d’hommes, et ces hommes ne sont pas là pour satisfaire votre appétit sexuel. Certes, les femmes qui couchent pour réussir, il y en a, mais ce n’est en aucun cas une garantie d’évolution professionnelle. »

Cimer Caroline, on s’en souviendra.

Quoi qu’il arrive, vous êtes coupable

Dans les années 60, Ladies’ Home Journal proposait une rubrique régulière, «CE MARIAGE EST-IL CONDAMNÉ ?», dans laquelle William Zehv, thérapeute de son état, comparait les déboires de plusieurs couples. D’abord, la femme expose sa version des faits, puis c’est au tour de l’homme, après quoi notre bon docteur prononce son diagnostic et raconte aux lecteurs le fin mot de l’histoire.

Janvier 1964. Vera, 28 ans, apprend que son mari Thad la trompe. Ce n’est pas tout : recalé en fac de médecine, il a réclamé un poste d’agent d’assurances au père de sa maîtresse. Quand Vera le met face à ses mensonges, Thad 1) nie en bloc 2) refuse de divorcer 3) continue de la tromper en cachette.

Pour Zehv, pas de quoi en faire un drame : si Thad ment, c’est parce qu’il a eu une enfance difficile. «La mère de Thad lui a inculqué qu’un homme, un vrai, n’admet jamais ses erreurs, ses faiblesses ou son ignorance, dans quelque domaine que ce soit. Elle lui a appris à considérer l’échec comme une calamité. Il a menti à sa mère toute sa vie, donc il fait pareil avec sa femme. »

Son conseil ? Faire l’amour plus souvent. « Ils ont parlé à coeur ouvert de leurs problèmes sexuels, ils m’ont écouté, puis ont fini par aller mieux. Leurs accouplements ont gagné en qualité comme en quantité. » Résultat : un bébé, remède miracle pour tout ménage en péril. Six semaines plus tard, nos tourtereaux vont voir Zehv avec leur nourrisson. Le thérapeute ne se sent plus de joie : «J’étais très fier. Leur visage radieux, c’était la promesse d’un mariage durable.»

Moralité : soyons indulgents avec la presse féminine, elle revient de loin.

Caroline Thompson est sur Twitter.