La France va fermer ses frontières pour la conférence sur le climat

Le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé ce vendredi matin que la France allait rétablir des contrôles à ses frontières avant et pendant la durée de la conférence sur le climat (COP 21) à Paris. Elle doit se tenir du 30 novembre au 11 décembre.

La France n’opère en principe plus ce genre de contrôles à ses frontières communes avec les autres pays d’Europe, puisqu’elle est membre depuis 1995 ce que l’on appelle l‘Espace Schengen, qui définit un ensemble de territoires européens au sein desquels on peut en principe se déplacer librement. Concrètement, une personne venue d’Allemagne peut rouler jusqu’en France sans être contrôlée.

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Dans une interview sur la chaîne de télévision BFM TV, le ministre français de l’Intérieur a déclaré : « Pendant un mois, nous allons rétablir des contrôles aux frontières ». Pour justifier cette mesure, il a évoqué « un contexte de menace terroriste ou de risque de troubles à l’ordre public, qui pourrait venir entacher cette grande manifestation internationale », faisant référence à la COP 21, la vingt-et-unième édition de la « Conference of the parties », la conférence des Nations unies sur le changement climatique.

Pour ce qui est des « troubles à l’ordre public », ce jeudi, une note confidentielle de la direction du renseignement territorial évoquait, selon la radio RTL qui dit se l’être procurée, « une menace étrangère avec la possible participation de militants étrangers ».

La Pologne avait déjà rétabli des contrôles pour la COP19

Pour les associations de défense de l’environnement, la fermeture des frontières annoncée par le gouvernement est un très mauvais signe adressé par la France en direction de la population.

« Nous nous posons aujourd’hui la question de la sincérité du gouvernement lorsqu’il déclare souhaiter une large mobilisation de la société », nous a dit ce vendredi après-midi Juliette Rousseau, porte-parole et coordinatrice de la Coalition Climat 21, qui regroupe 130 organisations de la société civile mobilisées autour de la problématique du climat à l’occasion du sommet. Selon elle, un « amalgame entre manifestations de rue et menaces pour la sécurité de l’État » est fait.

Un rétablissement des contrôles aux frontières est prévu par le code qui régit les règles de Schengen. Il peut être décidé « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». L’article 24 de ce code précise que les États qui réintroduisent les contrôles doivent en aviser la Commission et en donner le motif. Ces dernières semaines, de tels rétablissements ou projets de rétablissements ont été motivés par la crise migratoire dans plusieurs pays de Schengen.

Depuis 2011, la plupart des rétablissements provisoires des contrôles aux frontières ont été faits dans le cadre d’événements internationaux. La France avait déjà rétabli les contrôles à ses frontières pour le G20 à Cannes, en novembre 2012, ou encore lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg en 2009. La Pologne, elle, avait rétabli les contrôles à ses frontières pour la 19e conférence climat (COP19), en 2013.

Près de 40 000 personnes sont attendues à Paris, dont 80 chefs d’États et plus d’une centaine délégations venues du monde entier. Un défi logistique énorme pour les services de sécurité français.

Des notes confidentielles qui révèlent les inquiétudes des services de police

Par deux fois déjà, des notes confidentielles que se sont procurées les médias français, mais auxquelles nous n’avons pas eu accès, ont montré les inquiétudes des pouvoirs publics face aux questions de sécurité qui se poseront lors cet événement international. Mi-septembre, une note interne à la police nationale publiée par la radio France Info révélait que des renforts venus de toute la France seraient mobilisés, afin de parer à d’éventuelles « manifestations importantes, dont certaines de nature revendicative ». Il était demandé aux agents de limiter leurs repos et congés durant la période de la conférence.

Ce jeudi, la note révélée par RTL soulevait également certaines craintes des forces de sécurité face à des mouvances classées à gauche. Le document ferait également référence à l’installation de campements de protestataires à proximité du site de la COP 21.

Dans les deux cas, ce que l’on appelle les « Black blocs » sont notamment évoqués par les médias. Plus qu’un courant ou un groupe, le terme désigne une méthode de manifestation violente, souvent utilisée lors de grandes manifestations altermondialistes. Ce nom est dû aux habits noirs que portent les personnes participant à un « black bloc » afin de rendre plus difficile leur identification par les forces de l’ordre.

La dernière apparition des Black blocs en France remonte à 2014, lorsqu’ils participent aux manifestations contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. En 2009, des Black blocks étaient intervenus lors des manifestations anti-OTAN qui s’étaient tenues à l’occasion du sommet de l’Organisation, à Strasbourg. De nombreux bâtiments avaient été incendiés.

Des organisations dénoncent les difficultés d’obtention de visa

« Par le rétablissement aux frontières nous craignons que le gouvernement n’entrave […] la venue des dizaines de milliers d’Européens qui chercheront à rejoindre les mobilisations organisées par la société civile en marge du sommet officiel », dénonce pour sa part Juliette Rousseau.

« Nos partenaires du Sud, et particulièrement d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, rencontrent de nombreuses difficultés à obtenir des visas pour pouvoir venir à Paris au moment de la COP21 », affirme la militante.

L’organisation Attac France, membre de la Coalition Climat 21, s’est ainsi insurgée du refus de visa qui a été opposé au président d’Attac au Togo. « Nous savons que c’est compliqué pour eux d’obtenir des visas, et c’est pourquoi nous avons envoyé une lettre d’invitation au président d’Attac Togo, en mentionnant les dates de sa venue et que nous le prendrions en charge financièrement, de façon à montrer au gouvernement que nous le connaissons », nous a expliqué ce vendredi Maxime Combes, porte-parole d’Attac France.

« Il lui a été notifié par l’ambassade que sa demande n’était pas justifiée, alors que c’est une personne qui venait participer aux débats, pour faire des interventions, » s’insurge Maxime Combes. Pour le porte-parole, il n’est pas normal que « les populations, notamment celles touchées par le réchauffement climatique, soient confrontées à des problèmes de visas. »

Contactée ce vendredi, l’ambassade de France au Togo n’a pas pu nous répondre dans les délais de parution de cet article.

Selon Bernard Cazeneuve ce vendredi matin, les « alter mondialistes qui sont dans une parole pacifique » bénéficient de « procédures simplifiées » pour faciliter leur obtention de visa.

Ce vendredi l’ONU a rappelé que les engagements pris par les États et sur lesquelles doivent se baser les accords de Paris étaient grandement insuffisants pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de la barre des 2 degrés — ce qui est l’objectif de la conférence qui s’ouvre désormais dans quelques semaines.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Image via Flickr / MPD01605