Considérée comme la plus grande nécropole au monde, Wadi al-Salam est en expansion constante. Il est difficile de donner des chiffres précis, mais sa surface est d’environ 7 km2. Photo publiée avec l’aimable autorisation du département de la défense des États-Unis.
Je n’aurais pas pu plus facilement trouver mon chemin : il m’a suffi de suivre les voitures dont les toits étaient surmontés d’un cercueil. Ici, les gens sont habitués à cette sinistre procession ; chaque jour, des centaines d’hommes en turban et de femmes voilées parcourent cette route désertique en direction de Najaf, la troisième plus grande destination pour les musulmans chiites derrière la Mecque et Médine. La mort est à la fois leur compagnon de route et leur destination finale – elle plane au-dessus de leurs têtes durant l’intégralité de leur voyage en direction de Wadi al-Salam, le plus grand cimetière musulman du monde, où reposent environ cinq millions d’êtres humains.
J’arrive en même temps qu’Hassan, un homme qui a pris la route depuis Basra avec ses frères, sa femme et ses enfants, pour enterrer son père mort quelques jours auparavant. « Nous ne nous sommes arrêtés qu’une seule fois », nous dit Hassan. « Cinq minutes, à peine le temps de faire notre toilette. Basra est à cinq heures d’ici, et avec la chaleur, le corps se décompose rapidement. »
” target=”_blank”>
Said et Said délimitent une zone qui accueillera bientôt de nouveaux occupants.
Du coup, on a demandé à Sadaw pourquoi il refusait d’augmenter ses prix. « Notre travail fait partie d’une action humanitaire financée par l’ONG de Moqtada al-Sadr. L’argent ne devrait pas être un obstacle pour quiconque souhaite être enterré auprès de l’imam Ali. » Quand il nous a dit ça, il était assis sous un portrait de al-Sadr, l’une des figures politiques locales les plus controversées, et l’un des plus grands leaders religieux du pays. Al-Sadr est le créateur et le commandant de l’Armée du Mahdi, une milice chiite extrêmement bien organisée qui s’est battue ces dernières années contre les forces américaines et l’armée irakienne sous commandement US, avant d’être dissoute en 2008. Il n’empêche que la plupart des Irakiens voient en al-Sadr une force politique légitime. Son parti a gagné 40 sièges au Parlement (sur 325) aux dernières élections, et il a gracieusement fourni aux couches populaires de l’huile, de l’eau et des quantités astronomiques de nourriture. Ce n’est pas un hasard si al-Sadr est si populaire parmi les vivants de Wadi al-Salam.
En 2004, l’Armée du Mahdi et les forces américaines se sont battues durant des semaines dans les rues de Najaf, et le conflit s’est logiquement déplacé jusque dans l’immense cimetière labyrinthique. L’armée américaine a renommé les allées du cimetière avec les noms des principaux quartiers new-yorkais, ce qui n’a eu aucune incidence sur le moral des combattants. Du « Queens » au « Bronx », les insurgés se servaient des tunnels souterrains afin de se déplacer dans l’enceinte du cimetière pour tirer des missiles sur les tanks Bradley et les Humvee. La traduction française de Wadi al-Salam, « la vallée de la Paix », semblait assez inappropriée à l’époque.
Beaucoup de guerriers Mahdi ayant participé à la bataille n’ont pas quitté le cimetière ; ils sont enterrés dans une aile qui leur est dédiée. Leurs tombes sont décorées de fleurs en plastique et de photos d’eux habillés en soldats. L’accès à cette zone du cimetière est interdit à quiconque n’ayant pas de lien direct avec l’organisation al-Sadr.
Les caveaux de famille retracent la chronologie des guerres d’Irak et des catastrophes naturelles. Le portrait au premier plan représente l’un des nombreux morts de la guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988.
Plus tard j’ai rencontré Hisham, un vendeur de parfum d’une quinzaine d’années tout aussi affligé par ses maigres profits. « Si j’économise assez d’argent un jour, j’aimerais être soldat ou policier. Le problème, c’est qu’à moins d’avoir des contacts au sein de l’administration, il faut débourser au minimum 800 euros, juste pour pouvoir remplir la feuille de renseignements. Et il n’y a aucune garantie d’embauche. » Au vu des alternatives possibles, tout le monde rêve d’être employé par le gouvernement irakien. Le problème, c’est que la corruption est ici au moins aussi prégnante que la mort.
Heureusement que le jeune Hisham sait mettre les choses en perspective ; pour le moment, il fait face au destin sans rechigner : « Savez-vous qu’ici, les anges prennent les corps de ceux qui ne méritent pas d’être enterrés au cimetière ? Il y a quelque temps, on a ouvert une tombe et le cadavre avait disparu. Et ça marche dans les deux sens. Si vous n’avez pas les moyens d’être enterré ici, les anges viendront vous chercher. Mais je veux mourir ici, à Wadi al-Salam. »