On est en 1995 et la National Rifle Association (NRA) est furieuse : ces dernières années, les propriétaires d’armes à feu américains ont vu passer la Brady Bill et le Federal Assault Weapons Ban. En avril cette année-là, Wayne LaPierre, le président de la NRA, rédige une lettre incendiaire et brutale pour collecter des fonds. Dans la lettre qu’il adresse à environ 3,5 millions de membres de l’association, LaPierre décrit les officiels fédéraux qui appliquent les lois sur les armes à feu du President Clinton comme des « voyous autoritaires du gouvernement » qui auraient le droit de « nous enlever nos droits constitutionnels, forcer nos portes, s’emparer de nos armes à feu, détruire nos biens et même nous blesser ou nous tuer ».
La lettre est si controversée que l’ex-président George H. W. Bush, écœuré, résilie son adhésion à la NRA. À l’époque, un sondage de Time Magazine/CNN révèle que plus des deux tiers des propriétaires d’armes à feu désapprouvent la lettre de LaPierre. Les propriétaires d’armes à feu d’Amérique s’offusquent.
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Mais la fameuse lettre n’est rien comparé au nouveau spot publicitaire de la NRA, financé par Dana Loesch, une animatrice de talk-shows conservatrice. Dans son allocution d’une minute trente, Loesch alerte le public de la montée d’une menace qu’elle se garde d’identifier.
« Ils se servent de leurs écoles pour apprendre aux enfants que le président est un nouveau « Hitler » qui règne sur une armée de résistants menés par Obama, qu’ils font défiler, manifester, et crier racisme, sexisme et xénophobie, et homophobie, et briser des fenêtres, brûler des voitures, bloquer les routes nationales et les aéroports, tyranniser et terroriser ceux qui respectent la loi — jusqu’au moment où la police n’a plus d’autres options que de faire son travail et stopper cette folie. »
« C’est une publicité absolument remarquable, » dit Adam Winkler, professeur à UCLA et auteur de Gun Fight : A History of the NRA. « En réalité, ça n’a rien à voir avec les droits des porteurs d’armes. »
Ce spot publicitaire signale un tournant culturel important pour la NRA, qui se présente comme la plus vieille organisation de protection des droits civiques encore active dans le pays. Et bien que la NRA ait l’habitude des changements — les absolutistes du droit aux armes à feu ont pris le contrôle de l’association après avoir évincé les passionnés de tir sportif en 1977 —, cette dernière publicité relève plus du « rebranding ». Elle ne mentionne pas les armes à feu du tout. Et même aujourd’hui, dans un monde aux réseaux saturés d’extrémistes, où ce genre de rhétorique n’a rien d’exceptionnel, elle est controversée.
« C’est un appel à la résistance, une déclaration de guerre contre les libéraux, » dit Winkler.
La vidéo de la NRA (et sa légende qui incite l’audience à “rejoindre la NRA”) a déjà été visionnée plus de 4,3 millions de fois sur Facebook, partagée 35 000 fois — et ça continue. Indignés et scandalisés, de nombreux libéraux ont critiqué une publicité “répugnante” et “révoltante et effrayante“. Certains législateurs progressistes ont supplié l’association de retirer leur vidéo et demandé aux supporters de la NRA de renoncer à leur adhésion.
Pendant ce temps, Loesch a essentiellement envoyé ses critiques se faire voir via des tweets moqueurs expliquant qu’elle lirait toutes les lettres d’insultes à l’antenne pour lever des fonds et acheter des munitions pour compléter sa collection d’armes. Dans une série de vidéos et d’annonces sur les réseaux sociaux, Loesch a aussi interrogé les libéraux en “panique totale” au sujet de la publicité, et a continué de dire que les libéraux avaient perpétré leur part de violence. Et, selon elle, le spot publicitaire dénonce la violence plutôt que l’encourager.
Mais le fait d’agir comme un groupe pro armes à feu radical peut avoir des conséquences fâcheuses. La NRA pourrait perdre des supporters, et donc des cotisations (être membre à vie coûte 1 500 dollars). Certains propriétaires d’armes à feu abandonnent déjà la NRA en réponse à cette publicité, et beaucoup disent que l’association est « allée trop loin ».
Plusieurs groupes de défenses des droits liés aux armes à feu ont été surpris par la nouvelle méthode de recrutement de la NRA.
Lara Smith, la porte-parole nationale du Liberal Gun Club, pense que les « ils » évoqués par Loesch sont des gens comme elle : « C’est le plus gros lobby qui s’attaque à nous, » dit Smith qui ajoute qu’elle se sent menacée par le spot publicitaire.
Dans une autre vie, Smith aurait été exactement le genre de personne que la NRA espérait recruter — une propriétaire d’armes à feu vivant en Amérique. Mais Smith se sent rejetée par la NRA, qui selon elle, a évolué depuis l’élection de Trump. « Personnellement, ça m’inquiète, » dit Smith. « Nous n’encourageons pas la violence, mais par contre, nous défendons le droit de se défendre. Je trouve ce changement extraordinaire, mais pas utile, et perturbant. C’est un tournant radical. »
Un changement que certains attribuent à un affaiblissement. La NRA est connue pour le manque de transparence au sujet des chiffres, bien que LaPierre se vante souvent au sujet des supposés 5 millions d’adhérents. Mais selon Winkler, le nombre d’adhérents à la NRA est bien plus bas, et continue de diminuer. Une étude du Pew Research Center, publiée en juin, sur ce que pensent les Américains du contrôle des armes à feu révèle que un cinquième (19 pour cent) des Américains propriétaires d’armes à feu disent adhérer à la NRA — un pourcentage qui, selon tous les chercheurs auxquels nous avons parlé, est bien trop haut.
« Ça [la pub de la NRA] montre vraiment qu’ils tentent désespérément de motiver et d’inquiéter les gens ,» dit Winkler. Selon lui, le spot publicitaire pourrait en fait éloigner ceux que la NRA souhaite recruter. « Plutôt que de les diaboliser, ils devraient chercher à créer des alliances avec des groupes comme Black Lives Matter. Ils devraient attirer les “millenials”. À la place, ils cherchent seulement à attirer les nationalistes blancs des campagnes américaines. »
Les critiques de Winkler rappellent les réactions survenues après que le NRA n’ait pas réagi au meurtre de Philando Castile, un homme noir américain, propriétaire d’une arme à feu, qui respectait la loi, mais a été tué par balle par un policier l’an dernier.
Mais selon David Kopel, auteur de The Truth About Gun Control, ce genre de réaction est l’attitude normale de l’association vieille de 146 ans. « La NRA s’est toujours considérée comme une association au cœur de la culture de la vertu civique américaine, » dit Kopel. « Elle ne se repositionne pas ; elle reste la même. »
Selon l’étude du Pew Research Center publiée cette année, 44 pour cent des adultes disent que la NRA a trop d’influence sur les lois liées aux armes à feu. Mais selon des chercheurs comme Kopel, d’autres lobbys des armes à feu ne sont pas ravis par la manière dont la NRA exerce cette influence hors norme. « Certains disent que la NRA est une organisation qui s’écrase et n’arrête pas de faire des compromis, » dit Kopel. D’après lui, les groupes comme Gun Owners of America se plaignent souvent et soutiennent que la NRA ne va pas assez loin, et fait fréquemment des concessions sur le plan législatif.
« Une grande partie de la population américaine — dont les propriétaires d’armes à feu, et ceux qui ne le sont pas — qui n’est pas vraiment au courant de la politique des armes à feu, perçoit la NRA comme une association qui ne fait pas de compromis et triomphe toujours, » dit Kopel. « Ils surestiment l’omnipotence de la NRA. »
La NRA n’a pas répondu aux demandes d’interviews de VICE News.
Alors que la controverse autour de la dernière vidéo continue, la NRA tente de faire passer deux lois relativement importantes pro armes à feu cette année : une loi qui annulerait toutes les restrictions sur les armes à feu dissimulées d’États à États, et une autre loi qui annulerait des contraintes liées à la possession de « silencieux ».
Dudley Brown, le président du lobby National Association for Gun Right, se considère comme l’un des critiques les plus influents de la NRA. Selon Brown, son organisation adopte une position plus ferme que la NRA au sujet du deuxième amendement, et s’oppose à la plupart des contrôles des armes à feu. Il soutient que la NRA est simplement en train de rectifier les années qu’elle a passées à se plier aux exigences des législateurs. « Ils étaient vus comme trop gentils et faibles, » dit Brown. « Je pense qu’ils essaient de se donner une nouvelle image et d’avoir l’air plus ferme. »
Mais, quand on lui a demandé s’il pensait que la rhétorique du spot publicitaire allait trop loin, Brown a répondu qu’elle ressemblait à quelque chose que son groupe pourrait produire. « Quelle partie est trop effrayante ? »
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