En mars, lorsque le confinement a été décrété dans mon État natal, l’Illinois, je me suis dit que j’allais profiter de ce temps passé chez moi pour découvrir de nouvelles musiques, combler des lacunes et approfondir mes connaissances sur des artistes emblématiques. Et peut-être essayer de comprendre enfin pourquoi tant de mes amis aiment Phish. Je n’ai réalisé aucun de ces objectifs. À part me tenir au courant des nouvelles sorties pour le travail, j’ai passé mes journées à regarder des films ou à fixer le mur. Depuis le début de la pandémie, il n’y a aucune cohérence dans ce que j’écoute. La semaine dernière, j’étais bloqué sur le catalogue de jazz de Bill Evans et le nouvel album de Fleet Foxes, mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de rien et il s’avère que je ne suis pas le seul.
Après avoir effectué un sondage informel sur Twitter pour savoir si les habitudes d’écoute des utilisateurs avaient changé depuis mars, j’ai reçu des centaines de réponses. Certains ont découvert le metal et le hardcore, d’autres ont exploré les sons réconfortants de l’ambient, du jazz et du classique, quelques-uns se sont replongés dans les chansons de leur adolescence, et d’autres encore affirment qu’ils n’écoutent presque plus de musique. Plus intrigant encore, au moins dix personnes ont avoué être obsédées par les Grateful Dead. Kim Kelly, journaliste pour Noisey, dit avoir complètement délaissé le metal pour n’écouter que du bluegrass et Bruce Springsteen. Bien que les réponses des personnes interrogées varient énormément en termes de genre, d’humeur et de fréquence, toutes disent avoir vécu une sorte de bouleversement dans leur relation à la musique cette année.
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Selon la musicothérapeute Jessica Pouranfar, c’est tout à fait normal. « Notre manière d’écouter la musique est psychologique et physiologique, dit-elle. La musique active simultanément de nombreuses zones du cerveau qui jouent un rôle dans les émotions, la mémoire, le langage et la motricité. Elle active aussi la dopamine, le neurotransmetteur impliqué dans le plaisir. Elle peut également avoir un effet cathartique et réduire le taux de cortisol, l’hormone responsable du stress. »
Ces réponses physiologiques sont au centre du travail de Pouranfar. En tant que musicothérapeute, elle traite des patients présentant divers symptômes comme le stress, l’anxiété, la douleur physique, la privation de sommeil ou la maladie d’Alzheimer par des interventions musicales en direct et une relaxation guidée. « La musicothérapie est une pratique fondée sur des preuves ; je ne suis pas là pour fournir du divertissement, dit-elle. Il ne faut pas confondre la thérapie par la musique avec l’effet thérapeutique de la musique, qui est une chose complètement différente. J’entends beaucoup de gens dire : “Ma thérapie à moi, c’est la musique.” C’est très bien, mais cela n’a rien à voir avec une musicothérapie avec un praticien agréé. »
« Avec la quarantaine, je me suis remis à courir, parce que je devenais fou à rester assis chez moi, m’a écrit le musicien Keegan Bradford. J’écoute surtout du hardcore, des trucs absurdes et bruyants que je ne mets jamais à la maison. » Si vous êtes dans le même cas que Bradford, il y a une raison. « La musique va de pair avec l’exercice, et nous savons que l’exercice libère des endorphines, tout comme la musique », explique Pouranfar.
L’ambient, le jazz et la musique instrumentale semblent tout aussi populaires dans les sondages. « Il est important d’écouter de la musique qui correspond à notre état d’esprit en termes de tempo, de rythme, de fréquence, de volume et de paroles, précise Pouranfar. Parfois, les personnes qui souffrent d’anxiété écoutent de la musique intentionnellement apaisante, mais cela ne fait que les rendre plus anxieuses. C’est parce que la musique ne correspond pas à leur état émotionnel du moment. » Selon elle, l’idéal est de trouver une musique qui reflète directement votre humeur, puis de changer progressivement ce que vous écoutez afin d’améliorer votre état émotionnel et physique.
Selon des données récentes de Spotify, les playlists à écouter en télétravail ont augmenté de 1 400 % depuis mars et les playlists à écouter en cuisinant ont augmenté de 120 %. « Depuis le début de la pandémie, mon travail de libraire se résume à traiter des commandes et enregistrer des colis, alors j’écoute de la musique avec mes écouteurs pour passer le temps, me dit Sam Faulkner sur Twitter. Pour la première fois de ma vie, je commence à apprécier le metal (en particulier le thrash) qui m’aide à tenir le coup lors de journées particulièrement fastidieuses. »
De mon côté, je ne sais toujours pas pourquoi j’écoute moins de musique en ce moment. Meredith Johnston, une musicienne d’Oakland qui se produit sous le nom de Warm Human, est dans le même cas. « J’ai complètement arrêté d’écouter de la musique et je n’écoute plus que des podcasts, dit-elle. J’ai l’impression que la musique me rend trop émotive à un moment où j’essaie de mettre mes sentiments de côté. »
Pouranfar souligne que la musique peut déclencher de mauvais souvenirs, ou des souvenirs qui sont agréables, mais dont il est douloureux de se souvenir en ce moment. « Si vous êtes triste de ne pas pouvoir aller aux concerts et aux festivals en ce moment à cause du coronavirus, le fait d’écouter vos groupes préférés peut vous mettre un gros coup au moral », explique Pouranfar.
J’avoue que je suis un peu jaloux des gens qui arrivent à profiter de ce temps pour découvrir de nouveaux genres, de nouveaux artistes et de nouveaux sons. Je suis même jaloux de ceux qui reviennent simplement aux musiques de leur enfance. Pour ces derniers, dit Pouranfar, les souvenirs qu’évoquent ces musiques sont des expériences positives et cathartiques. « La musique active le lobe temporal, qui est en charge de la mémoire, du langage et de l’audition, explique-t-elle. Chez les patients atteints d’Alzheimer, il est possible d’activer cette partie de leur cerveau en leur passant, quand ils ont un moment de lucidité, une musique qu’ils avaient l’habitude d’écouter. La nostalgie est un outil puissant. »
Notre façon d’écouter de la musique en 2020 reflète à certains égards notre façon de gérer une année pour le moins turbulente. « Malgré toutes ces choses terribles qui se passent dans le monde avec le coronavirus, les injustices sociales et les élections, dit Pouranfar, nous avons toujours ce désir inné d’être heureux, et notre approche de la musique en témoigne. »
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