La police philippine falsifierait des preuves pour justifier les meurtres perpétrés dans le cadre de la « guerre antidrogue » du pays. C’est ce que affirme l’ONG Human Rights Watch (HRW) dans son rapport publié ce mercredi et consacré à cette campagne. HRW accuse directement le président philippin Rodrigo Duterte d’inciter au meurtre de trafiquants et de consommateurs présumés de drogue, des incidents qui selon l’ONG pourraient constituer un crime contre l’humanité ciblant majoritairement les personnes pauvres.
D’après les estimations, plus de 7 000 personnes ont déjà été tuées au cours de cette campagne, débutée dès l’arrivée au pouvoir du président Duterte, le 30 juin 2016. Mais ces meurtres, selon le rapport de 134 pages de l’ONG, sont souvent perpétrés de manière « extrajudiciaire ». De plus, la police modifierait le déroulé des faits pour invoquer la légitime défense.
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« Les policiers placent des armes à feu, des munitions usagées et des paquets de drogue sur les corps de leurs victimes, pour faire croire à leur implication dans des activités liées à la drogue », lit-on dans le rapport intitulé « Permis de tuer : Meurtres commis par les policiers philippins dans le cadre de la guerre anti-drogue de Duterte ». Le rapport s’appuie notamment sur des témoignages de proches ou de riverains.
Les rapports de la police sont systématiquement démentis par des témoignages
Ces victimes sont souvent des suspects qui avaient fait l’objet d’une garde à vue puis ont été retrouvés morts, classés par la police comme « cadavres trouvés » ou « décès faisant l’objet d’une enquête ».
L’ONG a mené son enquête à partir d’entretiens menés à Manille, notamment avec 28 parents et témoins de ces assassinats perpétrés par la police, ainsi qu’avec des journalistes et des personnes engagés pour la défense des droits de l’homme. Ces données ont ensuite été comparées avec les rapports de la police.
« Sous couvert d’opérations anti-drogue, la police philippine a tué des milliers de Philippins, sous l’impulsion de Duterte », a affirmé Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences chez Human Rights Watch et auteur du rapport. « De nombreux meurtres de suspects dans des affaires de drogue ont obéi au même rituel macabre, ce qui indique une situation d’exactions policières systématiques. »
Presque toutes les victimes étaient pauvres
La majorité des 24 incidents sur lesquels l’ONG a enquêté ont eu lieu en pleine nuit, dans les rues ou dans des bidonvilles de Manille. À l’exception d’un seul cas, toutes les victimes étaient pauvres, au chômage ou ayant des emplois précaires et vivaient souvent dans des bidonvilles. Beaucoup d’entre eux n’étaient que des consommateurs présumés et non des dealers.
Le rapport raconte l’assassinat d’Ogie Sumangue, 19 ans, à Manille. Des policiers en uniformes ont montré son cadavre à ses proches après sa mort. À ses côtés gisait un pistolet calibre .45. Ses proches ont alors affirmé que le jeune ne possédait pas d’arme et n’avait pas les moyens d’en avoir une. Il était donc impossible qu’il ait menacé les autorités. « Il n’arrivait même pas à payer le loyer », a déclaré un proche à l’ONG. « C’était sa sœur qui payait pour lui. »
Ces assassinats au nom de la guerre contre les drogues sont souvent perpétrés par des groupes armés organisés en petits groupes. Habillés en civils et en noir, avec leurs visages dissimulés, les assaillants refusent de s’identifier, selon des témoignages. Ceux-ci racontent que les policiers couvrent souvent les agissements de ces brigades et sécurisent les lieux des incidents.
La justice serait également complice. Selon l’ONG, aucune enquête policière sérieuse n’a été engagée vis-à-vis de ces meurtres, aucune preuve n’a été fournie sur de possibles arrestations ou poursuites contre les responsables présumés. Toutefois, 922 incidents ont été classés comme « procédures closes ».
Parmi les nombreux cas sur lequel HRW a enquêté, le rapport rapporte l’histoire d’Aljon Mesa et de Jimboy Bolasa, des jeunes interpellés et frappés par six hommes masqués à Manille car suspectés d’être impliqués dans des affaires de drogue. Leurs proches ont ensuite découvert leurs corps près d’un pont du quartier, chacun avec des blessures par balle à la tête et les mains attachées avec du tissu. La police, qui a informé les proches, a fait état de « cadavres trouvés ».
Le gouvernement rejette la responsabilité de ces meurtres sur « des membres de groupes d’auto-défense ou des gangs rivaux de trafiquants de drogue », affirme le rapport.
Des crimes contre l’humanité ?
« Il serait plus juste de qualifier ce que Duterte appelle une “guerre contre la drogue” de crimes contre l’humanité ciblant les pauvres des zones urbaines », a affirmé Peter Bouckaert.
Selon l’ONG, le président Duterte et ses collaborateurs « pourraient être considérés pénalement responsables aux Philippines ou devant un tribunal étranger, pour leur rôle dans ces assassinats ». Non pas parce qu’il aurait planifié ou ordonné des assassinats, mais plutôt car ses déclarations incitent la population à commettre des violences contre les usagers de drogue présumés. Soit une incitation au crime.
Surtout, cette campagne et les meurtres conséquents pourraient constituer des crimes contre l’humanité, car le gouvernement serait responsable d’ « attaques généralisées ou systématiques contre une population civile », comme le soulève HRW.
L’ONG appelle Rodrigo Duterte à mettre fin à la campagne d’exécutions extrajudiciaires, et demande aux pays bailleurs des Philippines de supprimer toute aide à la police, pour que les meurtres cessent et que de « véritables enquêtes soient engagées ». HRW exhorte le Conseil pour les droits de l’Homme des Nations unies à créer une enquête internationale en toute urgence pour déterminer leur responsabilité.
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