Trois ans après sa création, la Pride de nuit parisienne est déjà remise en question. Très attendue, et malgré son « succès grandissant », elle n’aura pas lieu cette année.
Organisée la veille de la très festive Marche des fiertés — ou « Gay Pride » — qui se se déroule en journée, la Pride de nuit est l’occasion de porter des messages politiques dans les rues de plusieurs grandes villes de France comme Lyon, Toulouse ou Nice. Parmi les revendications : l’ouverture du droit à la PMA pour les couples lesbiens, l’accès libre et gratuit au changement d’état civil pour les personnes trans, ou encore la fin des expulsions des sans-papiers vers des pays où ils et elles risquent l’emprisonnement, voire la mort, en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.
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À sa création, l’objectif de la Pride de nuit était ainsi de renouer avec le passé fondateur de la Marche : les émeutes de Stonewall — du nom du bar où elles ont démarré — de fin juin 1969, qui ont opposé en plein Greenwich Village, à New York, forces de l’ordre et personnes LGBTQ à la suite d’une descente de police de trop. L’année suivante, une commémoration a été organisée. C’était le début de la Pride. « Historiquement, c’était un événement qui n’avait pas vocation à devenir récurrent et qui était intrinsèquement politique, car on risquait gros par le simple fait de s’afficher », raconte Guillaume Marche, spécialiste du mouvement LGBT aux États-Unis. « Devenir visible était un moyen que l’opinion publique sache que les personnes LGBT étaient nombreuses. »
« Quand on constate la présence de chars En Marche, on ne peut que vouloir repolitiser un espace en proie à l’instrumentalisation » – Collectif Des Raciné.e.s
Sauf que la Marche des fiertés s’est peu à peu éloignée de son but premier. Le Collectif Des Raciné.e.s, co-organisateur de la Pride de nuit lyonnaise (parmi une dizaine d’autres associations), n’est pas avare en exemples : « Quand on constate la présence de chars En Marche dans les défilés, ou pire encore, la présence de chars de flics dans un contexte de violences policières exacerbées, et alors même que les premières manifestations étaient organisées en réaction à la violence de l’État policier qu’ont subi nos communautés, on ne peut que vouloir repolitiser un espace en proie à l’instrumentalisation. Sans compter le nombre de chars publicitaires qui n’ont rien à faire là, et qui se servent de l’occasion pour faire leur promotion alors qu’ils n’ont rien à faire de nos vies le reste de l’année. »
À Paris aussi on constate les mêmes tentatives de récupération politique et commerciale – et donc inévitablement le besoin d’une Pride de nuit. Les relances à ce sujet ont été nombreuses. Et pourtant, la capitale ne connaîtra pas sa quatrième édition. Plusieurs organisateurs et organisatrices s’en sont expliqué dans une tribune publiée sur Facebook, puis reprise par Friction Magazine : « Il ne reste plus que l’organisation d’une marche annuelle et des signatures de soutiens, dispersées et quasi symboliques. Sans suivi. »
En devenant un rendez-vous, la Pride de nuit s’est de fait institutionnalisée et dépolitisée. Et pour cause, pour l’édition 2017, « les questions ont toutes porté sur la date à laquelle elle était prévue, et à aucun moment sur le fond », déplore la tribune. Pourtant, à sa création, son objectif était justement de mettre en place un événement plus politique que la Marche des fiertés. Pas d’en suivre le chemin…
« Depuis les années 90, force est de constater que 95 % de la Gay Pride est avant tout festif » – Guillaume Marche, spécialiste du mouvement LGBT aux États-Unis
Guillaume Marche nuance : « La dépolitisation de la Marche des fiertés est relative. Il y avait l’an dernier des prises de parole très engagées ! » Il reconnaît pour autant que « depuis les années 90 et une plus grande acceptation de l’homosexualité, force est de constater que 95 % de l’événement est avant tout festif. Il est devenu plus anodin d’un point de vue politique, et plus rentable d’un point de vue commercial. » Il poursuit : « L’ironie, c’est que la dépolitisation intervient à mesure que décroît la stigmatisation. Pour autant, sortir du placard n’est pas encore facile pour tout le monde, même en Europe de l’Ouest. C’est pour cette raison que la Marche des fiertés continue à avoir une importance dans certains cas de figure. »
À l’instar des collectifs parisiens, les organisateurs lyonnais craignent une dépolitisation de la Pride de nuit : « On a peur d’être un jour confrontés au même essoufflement qu’à Paris, si jamais nous ne sommes pas assez, si nous n’avons pas assez d’aide et que la charge d’organisation ne se répartit pas assez bien… » Mais contrairement à ce qui a été choisi pour la capitale, la Pride de nuit a été maintenue à Lyon. Plusieurs collectifs militants ont défilé vendredi 15 juin au soir. L’objectif ? « Repolitiser les Marches des fiertés, combattre l’instrumentalisation des luttes queers à des fins racistes et islamophobes », énumèrent plusieurs membres du Collectif Des Raciné.e.s. Car pour le moment, à Lyon, l’heure n’est pas à ces préoccupations : « Le rapport de force étant différent selon les villes, nous avons encore besoin de Prides alternatives à Lyon, capitale française du fascisme. »
Pour rappel, le préfet avait imposé à la Marche des fiertés lyonnaise un itinéraire qui ne passait pas par le Vieux Lyon, fief revendiqué par les identitaires, avant de se raviser. « Pour nous, il est vital de résister face à la montée de l’extrême droite dans la ville », disent les Des Raciné.e.s.