L’électro se libère de ses codes avec la productrice Ouri

À l’heure où les genres s’hybrident, où les générations d’artistes et leurs influences changent, où tout semble se définir selon une esthétique cosmo-futuristique encore nébuleuse, l’avenir de l’électro s’annonce musicalement varié. Vaporwave, nu-trace, baile funk, synth-pop, drum and bass, afro-house, garage house, jusqu’au retour de l’eurodance, le panorama des musiques électroniques ne cesse de s’agrandir. Inscrites dans une époque de dématérialisation du son et de transitions technologiques, que nous réservent les courants électroniques du futur?

Pour prendre le pouls des tendances à venir, VICE a demandé à Ouri, une productrice et DJ montréalaise qui n’a jamais eu peur d’explorer avec précision les facettes abstraites d’une musique électronique en constante mutation. Elle nous parle de ce qui la fait musicalement vibrer en 2018.

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VICE : Même si la musique électro s’est beaucoup diversifiée, on assiste présentement à un fort retour d’influences passées. Qu’est-ce qui revient pour de bon selon toi?
Ouri : En ce moment, il y a des courants qui explorent les esthétiques passées et d’autres qui sont davantage portés vers une optique de recherche, mais j’ai l’impression qu’il y a présentement une fascination pour le vieux EDM des années 2000. Tout ce qui ressemble à du Tiësto, au trance et au gabber revient dans une esthétique rétro-futuristique. Le projet Virtual Self de Porter Robinson est tout simplement fascinant; il mélange EDM et trance de jeu vidéo vintage. Il y a aussi le nouveau EP Crushed du Montréalais Rosewater Ctz qui s’inscrit justement dans cette tendance. Je ne pourrais pas dire que c’est un retour de genres précis, mais le fil conducteur post-apocalyptique se fait vraiment ressentir dans cette nouvelle vague.

Est-ce que ces influences vont se retrouver dans tes projets futurs?
À fond. J’ai beaucoup envie de jouer avec ça prochainement, même si pour l’instant je travaille sur plusieurs projets simultanément. Je produis l’album de Mind Bath et de Forever, en même temps je bosse sur un prochain EP. J’ai aussi un album de musique vraiment plus expérimentale que j’aimerais beaucoup sortir cette année.

La scène électro montréalaise t’inspire toujours?
Montréal est une petite ville, mais l’électro y est tellement riche. Il y a énormément de personnes qui se battent pour rendre la scène plus accessible et diversifiée. Comme partout ailleurs, certains promoteurs tentent de profiter des artistes, mais j’ai l’impression qu’il s’est développé ici une conscience collective forte. Les artistes ne se laissent plus faire, ils se prononcent et osent dénoncer publiquement le non-respect des contrats. J’espère que les institutions musicales et surtout les festivals nous appuieront davantage, ne serait-ce qu’en nous offrant des cachets décents.

Parlons justement de ces festivals électroniques qui se multiplient…
Il y en a de plus en plus et ils sont tous vraiment intéressants, mais parfois j’ai l’impression que certains opèrent sans réellement miser sur la relève. J’aimerais que plus d’efforts soient consacrés à la recherche de nouveaux talents. J’aimerais voir aussi plus de nouveaux festivals qui exploitent des lieux insolites, ça manque un peu de conceptualisation…

Tu voudrais des shows plus immersifs?
Oui, j’aimerais voir plus de prises de risque, plus de visuels et plus de scénographie, car, en musique électronique, la sollicitation polysensorielle est nécessaire à l’expérience. Sans vouloir aller trop loin, il y a un manque d’ambition de la part des promoteurs à ce niveau-là. Ça me fait de la peine qu’il ait fallu attendre que Red Bull Music Academy fasse des shows à l’Usine C avant qu’on pense utiliser ce lieu. Trop peu d’événements accordent de l’importance à la salle, aux installations, aux médiums artistiques divers. Pour être honnête, la scène underground a montré beaucoup plus créativité que les festivals à grand budget ces dernières années.

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La disparition progressive de l’acoustique au profit des sonorités électroniques est bien réelle et est caractéristique de notre nouvelle ère musicale. Qu’est-ce que tu penses cette récente mutation?
J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui deviennent électroniques, mais mon petit côté nostalgique espère toujours un retour de l’acoustique. Franchement, ça ferait vraiment du bien d’entendre des œuvres plus simples d’approche.

La prod du futur, c’est un retour vers l’analogue ou c’est l’apogée du numérique envers et contre tous?
Je suis plutôt dans la team oldschool avec des gadgets anciens du genre delays, amplificateurs et distorsion. Des trucs qui viennent un peu lisser et vivifier les signaux numériques. Après, il y a définitivement un monde de plugins de synthèse et d’émulation qui devient vraiment impressionnant; j’en utilise beaucoup ces temps-ci. Malgré tous les nouveaux logiciels, il y a le danger que ces outils nous simplifient trop la tâche, que ça devienne facile de faire des morceaux qui sonnent et qui sont efficaces, mais qui n’ont aucune particularité. Je suis contente que la production musicale se démocratise et que de plus en plus d’artistes produisent avec un simple ordinateur, mais il faut faire attention à ne pas tomber dans la prod « fast-food ». Comme ce qui se passe en ce moment avec l’électro-trap : c’est toujours le même pattern reproduit en boucle. Ça reste encore trop dans les codes à mon goût. Le futur de la musique électronique sera toujours de créer quelque chose de particulier, un son unique, et ça peut se faire avec n’importe quel outil.

Et pour terminer, qu’est-ce qui t’inspire ces temps-ci?
Il y a DJ Rashad, originaire de Chicago, qui faisait du juke que j’admire énormément. Un autre artiste que je viens tout juste de découvrir, Steve Lacy; il fait du RnB-Jazz, c’est trop bien! Sinon, il y a Steve Reich, un mec que j’adore, qui est considéré comme l’un des pionniers de l’électro-minimalisme; je suis complètement fan. Et, évidemment, qui serais-je sans Aphex Twin, qui m’a complètement ouvert le cerveau sur la musique électronique et qui continue toujours de m’inspirer à ce jour?