Avec en toile de fond la campagne anti-mafia, le palace de la Piazza del Plebiscito de Naples a récemment été couverte de posters géants, affichant les visages d’innocents qui ont péri sous les balles des mafiosi. L’initiative – lancée avec le hashtag #noninvano (pas en vain) – vise à montrer les photos des passants ayant péri à cause de balles échangées dans des règlements de comptes en pleine rue. Depuis le meurtre de Genny Cesarano, un jeune homme de 17 ans, dans une fusillade en centre-ville, beaucoup ont commencé à parler d’une nouvelle vague de jeunes mafieux.
Comme la plupart des jeunes Italiens, les gamins de Naples passent leurs journées à s’envoyer des textos et à déambuler en ville en scooter. En revanche, contrairement à la plupart des adolescents, beaucoup d’entre eux sont impliqués d’une manière ou d’une autre avec la mafia locale – la Camorra. Le problème des « jeunes Camorristi » n’est pas récent. Il y a trente ans, Giancarlo Siani – un journaliste Napolitain assassiné par la mafia – a écrit son dernier article sur les enfants employés par le système criminel local. « On les appelle muschilli [petites mouches] – dealers et coursiers. Ils opèrent comme intermédiaires, n’endossant que des rôles mineurs. Les barons de la drogue les utilisent pour rester à l’abri des problèmes », a-t-il écrit. À l’époque, ils étaient presque invisibles, ou se fondaient dans le décor. Ils sont aussi faciles à remplacer.
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Aujourd’hui, les muschilli n’existent plus, ou du moins plus comme avant. Les jeunes sont plus impliqués dans les gangs et grimpent l’échelle hiérarchique rapidement. Pasquale Sibillo est un bon exemple : né en 1991, il est déjà chef de gang. En tant que frère d’un chef mafieux assassiné, ses acolytes le voient comme un gladiateur. La dernière fois qu’on a tenté de le tuer, il s’est enfui en sautant dans une voiture de police. Il est l’incarnation même du jeune Camorrista, le genre de mec qui parle de son flingue comme de sa copine.
Avant, pour s’élever dans les rangs, il fallait avoir un certain âge et le courage de commettre un meurtre – ou ‘o piezzo. Une fois que vous avez gravi les échelons, la Camorra vous embauche à vie. À cette époque, la mafia avait ses propres « employés », alors qu’aujourd’hui, elle emploie des hommes de main ayant un profil « freelance », en quelque sorte. Comme le recrutement est fait plus rapidement, les gangs et les familles se retrouvent fragmentés et se battent pour les mêmes bouts de terrain. C’est ainsi qu’une nouvelle culture de gangs est née : de plus petits gangs et des criminels opportunistes menacent l’ordre établi et les grandes familles.
À Rione Traiano, la situation est devenue critique – le quartier détient le triste record du plus grand nombre de fusillades à Naples. En fait, celles-ci ont pour la plupart lieu depuis un scooter. À certaines heures de la journée, on peut entendre des coups de feu dans le quartier. C’est comme si, pour chaque arme saisie par la police, dix autres apparaissaient dans les rues.
Les autorités luttent pour que le niveau de violence cesse de monter. La gravité de la situation est devenue manifeste dans un rapport publié par le Département d’Investigation Anti-Mafia (DIA) à la fin de l’année 2014 : « Différents groupes se sont infiltrés dans la région et un nouveau système criminel a commencé à prendre racine dans les environs, n’hésitant pas à avoir recours à une violence extrême pour arriver à ses fins. » Puis : « La situation nuit à la sûreté publique… souvent au travers des actions de criminels appartenant à la nouvelle génération. Parmi les joueurs clefs, on note des descendants de familles puissantes seulement handicapées par quelques arrestations et retournements de vestes. »
Dans le rapport de janvier dernier, la DIA a mis en lumière ces nouveaux criminels en particulier, pointant du doigt des querelles « tant dans les banlieues qu’en plein cœur de Naples, au nord et à l’est de la ville. »
Ce ne sont pas les preuves qui manquent pour illustrer ce décalage générationnel. En juin dernier, environ 60 jeunes affiliés aux familles Giuliano, Sibillo, Brunetti et Almirante ont été arrêtés. Ils faisaient régner leur loi sur un territoire s’étendant sur deux kilomètres carrés, entre le quartier de Forcella et celui de Maddalena. Les enquêteurs ont découvert que ce cartel, ayant déjà la « mainmise sur toutes les activités illégales du centre de Naples » était composé de « membres très jeunes, venant de célèbres familles criminelles. »
Cette nouvelle génération de criminels entend faire sa loi autrement, ce qui s’avère difficile à contrer pour les autorités. Les collectifs anti-Mafia ont écrit un rapport disant que : « Les nouveaux patrons ont un impact dévastateur sur une potentielle contre-opération, à cause de leur imprévisibilité – leurs actions et leurs décisions semblent dictées de manière non traditionnelle, quasi irrationnelle. »
Lundi dernier, la Commission Anti-Mafia, dirigée par Rosy Bindi du Parti Démocratique Italien, s’est réunie à Naples pour discuter du problème. Lors du premier jour d’audience, où s’exprimaient policiers, procureurs et différents groupes anti-mafia, la commission a commis une grosse erreur. « La Camorra est une partie intégrante de cette ville », a dit Bindi, provoquant un outrage parmi ceux qui se battent tous les jours pour se débarrasser du crime organisé à Naples.
Clairement, Bindi voulait dire que la mafia a une grosse influence sur la ville en ce moment, et que cela devait changer. Mais, cela n’a pas empêché un Napolitain de se lever pour poser la question : « Si les politiciens pensent que Naples signifie Camorra, alors à quoi servent-ils ? »