Voilà ce que j’ai souvent dû dire à des employés de pharmacies ontariennes au cours de la dernière semaine. Je vérifiais si l’antidote à l’overdose d’opioïdes, le naloxone, était réellement en vente libre partout dans la province. Le ministre de la Santé de l’Ontario, Eric Hoskins, a annoncé en mai que ce médicament injectable qui sauve des vies serait immédiatement offert sans frais dans les pharmacies, mais ce n’est pas le cas.
En ciblant des villes et des régions ontariennes sévèrement touchées par la crise des opioïdes, dont celles où on a émis des avertissements au sujet du fentanyl de contrebande, j’ai appelé dans 50 pharmacies — un chiffre rond pour mon étude pas tout à fait scientifique — de toute la province pour demander de la naloxone. Quand on m’a demandé pour quoi j’en voulais, j’ai donné différentes raisons (les deux sont vraies) : j’ai des amis qui prennent des opioïdes, et il m’arrive de consommer des drogues qui pourraient contenir des opioïdes. Sur les 50 pharmacies, dont des bannières connues, seulement six étaient en mesure de m’en procurer le jour même. D’autres avaient reçu le produit mais pas la formation pour le distribuer. Enfin, un inquiétant nombre de pharmaciens ne semblaient pas savoir grand-chose au sujet cet antidote.
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D’après les plus récentes statistiques ontariennes, 663 personnes sont décédées d’une overdose d’opioïdes en 2014. L’Ontario n’a pas de plus récentes données sur cette cause de décès, ce qui n’a rien de rassurant compte tenu de la sévérité de la crise d’opioïdes des deux dernières années dans d’autres provinces, notamment la Colombie-Britannique et l’Alberta, où l’on a dénombré l’an passé respectivement 153 décès et 270 décès par overdose de fentanyl, un opioïde synthétique de 40 à 50 fois plus puissant que l’héroïne. L’Ontario a émis des avertissements au sujet du fentanyl, qu’on a trouvé dans des drogues non opioïdes — dont la méthamphétamine et la cocaïne. Malgré l’avertissement, les overdoses de fentanyl représentent aujourd’hui la principale cause de décès liés aux opioïdes en Ontario.
Le 24 juin, dans le cadre d’un programme gouvernemental de deux millions de dollars, le naloxone était mis en vente libre sans frais dans la province. Ce médicament, qu’on injecte normalement dans la cuisse, inverse les effets d’une overdose d’opioïdes. La victime ne peut pas se l’administrer elle-même, car l’overdose d’opioïdes fait perdre connaissance. Seule une autre personne présente peut lui sauver la vie. Bien que ce ne soit pas la solution parfaite à la crise d’overdoses d’opioïdes, ce programme a le potentiel de prévenir de nombreux décès. Bien qu’il soit irréaliste de penser trouver de la naloxone dans toutes les pharmacies du jour au lendemain, entre autres parce que le gouvernement a procédé à un déploiement est progressif, certaines des réponses obtenues au cours de mon enquête étaient troublantes.
À certains des employés de pharmacie manifestement peu informés, j’ai même dû épeler le nom du produit et en expliquer l’utilité. Plusieurs fois, on m’a assuré à tort qu’une ordonnance était nécessaire. En personne, on m’a même répondu avec condescendance : « On ne tient pas ce genre de chose ici », m’a répondu un pharmacien. Cependant, j’ai aussi rencontré quelques pharmaciens serviables et bien renseignés au sujet de la naloxone : une pharmacienne de Toronto, à qui j’ai dit que je n’avais pas de carte Santé, a pris mon numéro de téléphone en note et m’a rappelée le lendemain.
Souvent, quand un pharmacien n’avait pas de naloxone ou ne pouvait pas m’en donner par manque de formation (le cas dans sept pharmacies), on n’avait aucun renseignement à m’offrir pour m’aider à en trouver ou on m’a dirigé vers une autre pharmacie qui n’offrait pas davantage le médicament.
« C’est l’incapacité chronique du gouvernement de l’Ontario à collaborer. Ça n’a pas à se passer comme ça », a réagi Michael Parkinson, coordonnateur du Conseil de prévention des crimes de la région de Waterloo. « J’ai appelé des pharmacies de la région de Waterloo pour mettre la main sur de la naloxone, et aucune ne savait de quoi je parlais. Aucune idée. »
Dans certaines pharmacies, le manque de renseignement dépassait la méconnaissance du produit. Un membre du personnel d’une pharmacie ne savait pas ce qu’était un opiacé et un autre m’a demandé : « Êtes-vous en train de faire une overdose? »
Qu’un employé de pharmacie pense qu’une personne en pleine overdose d’opiacés puisse non seulement prendre son téléphone et composer le numéro d’une pharmacie, mais même communiquer clairement son besoin de naloxone est stupéfiant. Vu la crise des opiacés actuelle au Canada, on souhaiterait que les employés de pharmacie en soient à tout le moins informés. Comme des vies sont en jeu, ce que j’ai entendu au cours de mon enquête est plus que décevant : c’est honteux. Oui, il existe des programmes de distribution de naloxone dans la rue, mais on a annoncé que les pharmacies en offraient aussi, et certaines n’arrivent même pas à informer leurs employés sur le sujet.
La Dre Meredith MacKenzie, médecin au Street Health Centre du Kingston Community Health Centre, qui distribue de la naloxone, raconte qu’elle et son équipe ont eux-mêmes informé les pharmacies de la région. Elle se désole que des pharmacies auxquelles le gouvernement avait envoyé de la naloxone ne sachent pas quoi en faire, faute de formation. À son avis, il s’agit d’un manque d’encadrement du ministère de la Santé. Elle songe maintenant à produire un document d’une page avec des questions et réponses à propos de la naloxone, qu’elle distribuera aux pharmacies de Kingston.
Selon le ministre de la Santé de l’Ontario, c’est aux pharmaciens qu’il incombe d’obtenir la formation adéquate : « En date du 26 juillet, le ministère a distribué environ 2000 trousses de naloxone à plus de 1000 pharmacies sélectionnées (celles qui ont déjà distribué de la méthadone ou de la buprénorphine, utilisées contre la dépendance aux opioïdes). Les pharmaciens devraient communiquer avec l’Association des pharmaciens de l’Ontario (OPA) pour obtenir plus d’information sur la formation. »
Un travailleur social d’Hamilton, Ontario, ouvre une trousse de naloxone. Photo : Allison Tierney
Mais d’après la Dre MacKenzie, les pharmacies contactées ont encore beaucoup de questions à propos du naloxone après la réception du produit. « Un pharmacien doit former une personne à reconnaître une overdose d’opioïdes et à y réagir, et je doute que beaucoup d’entre eux possèdent l’expérience clinique nécessaire, affirme-t-elle. Ce peut être un obstacle qui l’empêche d’offrir le service à sa clientèle. »
VICE a communiqué avec l’OPA pour recueillir ses commentaires, mais l’invitation a été déclinée.
La Dre MacKenzie et Michael Parkinson craignent tous les deux qu’à cause des défauts du programme, des vies soient perdues. Pour obtenir de la naloxone, il est nécessaire de posséder une carte Santé de l’Ontario, que ceux qui ont besoin d’une trousse pourraient bien ne pas avoir. De plus, les indications du gouvernement excluent les consommateurs d’autres drogues, pouvant pourtant contenir des opioïdes.
« Le ministère écrit que les trousses sont offertes aux personnes qui consomment ou ont déjà consommé des opioïdes et risquent de faire une overdose. On devrait inclure tous ceux qui consomment des drogues à cause du risque de contamination », pense la Dre MacKenzie. Toutefois, elle ajoute que, selon les renseignements additionnels du programme, la naloxone est maintenant offerte « à tout membre de la famille, ami ou personne en mesure de venir en aide à une personne qui risque d’être victime d’une overdose », une formulation moins précise qui pourrait avoir un effet positif.
Quand j’ai appelé dans une pharmacie pour obtenir une trousse en raison de ma consommation d’autres drogues pouvant contenir des opioïdes, on m’a répondu que la naloxone ne me serait pas « bénéfique ».
Le ministère de la Santé m’a expliqué que l’objectif du nouveau programme est de « s’assurer que les trousses de naloxone sont distribuées à ceux qui en ont besoin en Ontario ». Mais comme on détecte du fentanyl de contrebande dans des drogues à usage récréatif, tous les consommateurs courent un risque.
Pour Micheal Parkinson, qui a informé le gouvernement à propos du fentanyl en 2008, le programme dans son état actuel ne répond pas aux besoins. « Nous traversons la pire crise d’overdoses dans l’histoire canadienne. Et ce sont des morts qu’on peut éviter. »
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