Culture

La terroriste pornographique qui était bien plus que la blonde de Denis Vanier

Josée Yvon a fait son entrée sur la scène littéraire par une porte que l’on mesure généralement à l’aide d’un spéculum. Immortalisée par dix photos allant du close-up vulvaire extrême au portrait inspiré par L’origine du monde, dans le recueil de Denis Vanier intitulé Le clitoris de la fée des étoiles, elle a fait paraître son premier ouvrage, Filles-commandos bandées, en 1976.

Trop en avance sur son temps pour certains cercles féministes qui ne comprenaient pas son usage du « terrorisme pornographique », trop extrême pour les institutions – bien qu’elle a enseigné un moment au Cégep –, arrivée trop tard pour les soi-disant « belles années » de la contre-culture ludique et masculine, Yvon jouit peut-être enfin aujourd’hui d’une infime partie de la reconnaissance qu’on lui doit pour son travail de décloisonnement de la littérature québécoise et pour ses travaux sur les communautés LGBTQ.

Source : Fonds d’archives Josée Yvon, BAnQ

La « Fée des étoiles », comme on la surnommait à l’époque où elle était éclairagiste pour le Grand Cirque ordinaire, est décédée en 1994, à l’âge de 44 ans, des suites du sida. Une maladie qu’elle aurait contractée volontairement par injection, selon la légende, par solidarité envers une amie atteinte du même mal. Certaines mauvaises langues diront qu’elle l’a probablement contracté entre deux piqûres, trois bières et un échange de claques avec Denis Vanier, compagnon dans l’ombre duquel elle a évolué un moment, avant de se révéler une grande (sinon une meilleure) poète. Vanier et Yvon incarnent encore ce couple mythique, ces anges noirs débauchés; John & Yoko en perfectos patchés « Hate and War », mariés par John Sinclair au Montréal Pool Room, prenant Susan Sontag et Claude Gauvreau comme témoins.

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Pour sa 19e édition, le toujours débectant FestiBlues International de Montréal présentait le 12 août dernier le cabaret Blues du Centre-Sud : Hommage à Josée Yvon. La veille du cabaret, je passe un coup de fil à Caroline Scott, libraire chez Monet et coorganisatrice de l’événement. À 26 ans, elle a hérité du poste de Maxime Nadeau, un autre libraire qui a pris part au renouveau d’intérêt pour la contre-culture québécoise et qui opère désormais la librairie roulante Le Buvard avec l’écrivain et éditeur Michel Vézina. Scott bouscule quelqu’un dans l’autobus, avant de me confier au sujet de Josée Yvon : « Chaque nouvelle génération semble avoir sa raison de s’approprier Yvon. Il y a quelque chose de très contemporain dans sa volonté de se réapproprier le corps au day-to-day. Chez elle, il n’y a aucune honte. C’est pourquoi j’ai invité des poètes comme Daphnée B., Catherine Cormier-Larose et Chloée Savoie-Bernard, dont le travail fit avec celui de Josée Yvon. »

L’un des nombreux carnets de la poète. Source : Fonds d’archives Josée Yvon, BAnQ

Dans l’environnement inoffensif du café de Da, sur la rue Fleurie, où la lumière tamisée souligne les accents de gris du plafond suspendu, Jean-Paul Daoust, le Liberace de la contre-culture québécoise, auteur des Cendres bleues (Les Écrits des forges, 1990), récite les mots d’Yvon. Je repense à Catherine Lalonde, poète et journaliste au Devoir, avec qui j’ai échangé des croissants contre un peu de son temps, le matin même : « J’ai pas l’impression qu’elle est en paradoxe par rapport à ses postures d’objet-sujet. Je crois qu’elle choisit d’être objet, ce que je n’ai pas l’impression de voir, par exemple, chez Nelly Arcan. »

Cette idée de la posture objet-sujet chez Yvon occupe mes pensées, jusqu’à ce que Catherine Cormier-Larose, la femme derrière les Productions Arreuh et le festival Dans ta tête, m’apostrophe abruptement : « Elawani, t’as pas une flasque? Pensez-vous qu’ils vont nous mettre dehors si on boit ici? » Le lieu jure terriblement avec le thème de la soirée. Des slogans « soyez gentils » et « aidez-moi » rehaussent l’apparence des fenêtres, alors que la température extérieure incertaine ajoute un peu de paludisme aux mots de Chloé Savoie-Bernard, qui cite « mon amour je ne guérirai jamais / si tu me fourres dans ma blessure » (une citation également en exergue dans le plus récent recueil de la poète Véronique Grenier, Hiroshimoi, aux Éditions de Ta Mère).

Deux jours plus tôt, Valérie Mailhot, doctorante en littérature québécoise à McGill, me disait : « On ne peut pas faire l’économie des lieux avec Josée Yvon. Toutes les figures rejetées l’intéressent. C’est vraiment pas ludique. C’est violent, agressif et colérique. Elle s’était distancée de bien des féministes de son époque parce que la diversité ne semblait pas trop encouragée. Yvon, ça pourrait être une pensée queer bien avant le temps, au Québec. » Le poète Sébastien Dulude, rédacteur en chef chez Spirale web (et batteur au sein de la formation Full Blood) en rajoute, autour d’une bière : « Chez Yvon, on peut parler de l’un des premiers cas de féminisme nihiliste au Québec. Une fille de terrain qui va à l’extrême. Si Vanier revient au vers et se précise très vite, Yvon est beaucoup plus complexe et ses textes demeurent stimulants. »

Josée Yvon pensait les choses dans la mobilité. L’auteure de Travesties-kamikaze et Filles-missiles (une plateforme de publication en ligne « pour les femmes, par les femmes » doit d’ailleurs son nom à cet ouvrage) se tenait visiblement « loin des rails somnolents de la bienséance et du bon goût ». En témoignent plusieurs de ses écrits théoriques mis en ligne sur Les épuisés, un blogue spécialisé dans la « diffusion des écrits pas trouvables ».

Il ne nous reste visiblement qu’à souhaiter une réédition complète des œuvres, depuis longtemps introuvables, en espérant qu’une firme de relations publiques glissera le tout par erreur entre les mains d’un ministre opportuniste le 12 août de l’an prochain. Qu’il serait doux d’entendre un cœur sauter un battement après avoir lu tout haut : « Francine en amour avec le cinéma / portait des jeans en satin comme une rock-star / Sous le rideau de ses cheveux teints / elle suce les diaphragmes / connaît le gras, la fatigue et la faim ».

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