De temps en temps, quand ma copine me laisse conduire sa caisse, j’écoute la radio. Je lui ai gravé plein de CD – surtout pour mon plaisir personnel – maiselle les ignore et/ou les cache dans des endroits inatteignables. Eh ouais, c’est un être humain normal, donc la radio lui convient parfaitement. Allumer la radio, zapper entre les stations, ne rien trouver d’intéressant, éteindre la radio. C’est à peu près ça.Il m’arrive de faire la même chose avec les blogs de musique.
Donc je suis tombé sur « Take Me Out » de Franz Ferdinand. C’est un morceau plutôt cool pour un truc commercial. Il y a de bonnes guitares et un break génial où la chanson passe d’un truc type sous-sous-sous-Velvet Undergound à un jam de DJ futuriste guitare-techno.
Videos by VICE
Quelqu’un se souvient de Franz Ferdinand ? Non, personne ? C’était le groupe qui n’était PAS les Strokes au moment où tout le monde pensait que tous les groupes imiteraient les Strokes jusqu’à la fin des temps. Ils ne venaient PAS des États-Unis. L’un d’entre eux portait un Borsalino, le premier type d’une longue série autour du thème « les Borsalinos sont destinés aux bouffons. » Vous savez, Franz Ferdinand.
Un dimanche, j’avais déposé ma copine chez elle et je conduisais paisiblement en écoutant ce gros hit, et je me suis mis à réfléchir. Le changement de « oh, c’est un bridge marrant », à « oh wow, en fait c’est ça la morceau et tout le début n’était qu’une intro pour aboutir à ça » était une sorte de présage du tournant eurotrash bouseux qu’allait prendre le rock dans les années 2000. Ça s’est passé (référence 11-Septembre) au moment de la renaissance du drug punk bien produit que nous avions perdu quelque part avec le nu-metal/post-rock de la fin des années 1990. Désolé les ptits gars, on voudrait tous voir revenir ce bon vieux son à bouc, mais on va d’abord faire plaisir au public parce qu’il faut bien beurrer sa tartine. Il y a pire que l’histoire du rock, en fait : les trucs de variété qui ne ressemblent pas à de la musique. Voilà ce qui arrive quand on écoute la radio dans la voiture de sa copine.
Comme « Take Me Out » avait résumé le rock d’alors en un simple break, une question m’est venue à l’esprit : y a-t-il jamais eu un groupe devenu de plus de plus rock au fil du temps ? Pas souvent, les amis. Putain, mais alors vraiment pas souvent. Presque jamais, en fait. Et voilà ce que j’ai tiré de tout cela. La théorie du chaos dans l’histoire du rock. Les groupes sont de moins en moins rock au fil du temps. Alors, vous vous dites peut-être : « Oh génial, une espèce de grande gueule a trouvé un moyen de combiner l’histoire du rock avec les lois thermodynamiques pour écrire un ramassis de conneries sur l’entropie et la musique ! » Oui, absolument.
Imaginons que la Théorie du chaos dans le rock vous intéresse d’une manière ou d’une autre. Dans ce cas, vous vous posez la question : « pourquoi et comment ça marche ? » et « quelles sont les exceptions ? » et « c’est quoi, ton putain de problème ? »
Pourquoi et comment ça marche :
C’est pas si compliqué de faire du rock. Achetez-vous du matos, branchez-le, montez le volume, défoncez vos cordes, et voilà, vous avez la clé de tous les mystères d’un groupe de rock. Faire du rock est la première chose qu’un bon groupe de rock est capable de faire. Certains (la plupart des) groupes n’ont jamais réussi et n’arriveront jamais à faire du rock, mais s’il y a un moment où un groupe est en bonne posture pour en faire, c’est au moment de brancher les câbles.
Bon après, si personne dans le groupe ne sait jouer d’un instrument, il y aura une période de transition non-rock avant que le groupe comprenne comment associer des guitares de merde avec une batterie de merde et des voix de merde. Une fois la confiance acquise (pour faire du rock, il faut de la confiance, ou au moins une certaine impudeur), toute aptitude à faire du rock s’évapore doucement. Ce que je veux dire par là c’est que le fait de savoir jouer de la musique n’a pas toujours fait d’un groupe un bon groupe. Il y a des exceptions mais j’en parlerai plus tard.
Donc les groupes ont tendance à être de moins en moins rock au fil du temps. Mais pourquoi ? Eh bien, puisque le rock est la première chose qu’un groupe peut accomplir, c’est aussi la première chose qui se perd. Après le « Oh yeah, rock’n’roll », un concept différent s’immisce. « Je ne veux pas simplement faire du rock, je veux aussi faire DANSER les gens », « je veux écrire une chanson d’amour pour que les gens baisent sur nos chansons », « le lecteur cassette de notre van est pété donc on est tous fans de Carly Rae Jepsen maintenant », « mec, si on foutait une de nos chansons sur une pub d’iPod, on pourrait s’acheter des VOITURES », « [quelqu’unest] enceinte », « j’ai trente ans maintenant, les gars », « j’ai beaucoup travaillé parce que j’aime ce groupe plus que tout au monde, et je suis devenu un bon guitariste, ça vous dit de travailler sur ce petit flamenco que j’ai appris ? » ou « hé les gars, c’est moi Dave le bassiste, et j’ai quelques idées… », etc. TOUS LES CHEMINS MÈNENT À ÊTRE MOINS ROCK. Dès qu’un groupe fait du rock, un phénomène se produit, et très vite, le groupe se retrouve à VOULOIR faire tout sauf du rock.
Je ne dis pas que c’est une catastrophe ou quoi, c’est simplement comme ça que les choses se passent. C’est censé être marrant d’être dans un groupe, donc les gens font des choses qui les intéressent pour que ça reste marrant. Parfois les groupes se disent « OK les gars, réunion de groupe, soit on fait du rock sérieusement soit on arrête tout. » « Faire du rock sérieusement » n’est pas faire du rock. Par ailleurs, une fois qu’un groupe atteint des compétences lui permettant de faire autre chose que du rock, tout soupçon de rock sera le résultat d’une décision volontaire d’en faire, et non pas du fait d’être dans un groupe qui fait du rock parce que c’est tout qu’ils savent faire. C’est une forme moins puissante du rock. On perçoit cette différence chez les Ramones d’avant et d’après Rocket To Russia.
Les exceptions éventuelles
« L’exception qui confirme la règle » est peut-être la pire expression de la langue française. Cela dit, il y a quelques exceptions intéressantes dans la Théorie du chaos dans l’histoire du rock.
Les artistes solos par exemple. Ils sont beaucoup plus volatils que les groupes. Ils peuvent faire du bon rock comme ils peuvent faire de la merde. Ils peuvent s’appeler « Mount Eerie » comme ils peuvent s’appeler « the Microphones ». Parfois c’est Aerial M, parfois c’est Papa M, parfois c’est Dave Pajo, et dans ce cas, ils sont super chiants. Les artistes solos sont des créatures fantasques.
La raison pour laquelle les artistes solos sont exemptésde la Théorie du chaos dans l’histoire du rock, c’est qu’on ne peut pas faire du rock seul. Si vous y êtes seul, quel degré de rock atteignez-vous ? Vous êtes une sorte d’arbre rockeur dans une forêt avec personne autour de vous. Bien sûr, vous pourriez décider de faire du rock. Vous pourriez être un artiste solo comme Ty Segall ou Bob Log III, mais est-ce vraiment du rock, ou est-ce juste un moyen de montrer à tout le monde toutes les belles petites choses rock que vous pouvez faire tout seul ?
Admettons que vous ayez un groupe. Est-ce vraiment un groupe ou est-ce juste des mecs qui veulent désespérément s’éloigner de leurs relations pourries avec des filles qui – à juste titre – veulent qu’ils grandissent et arrêtent d’avoir des groupes ? Jusqu’où pouvez-vous collaborer avec ces gens ? Les traitez-vous comme un mélange entre un musicien de base et votre pote de soirée Thomas, ou êtes-vous vraiment dans un groupe avec eux ? Ont-ils le droit de faire du rock sans votre accord ? Et si jamais ils sont bons ? Qui en prendra les responsabilités ?
Il arrive parfois aux artistes solo de donner l’impression d’être de plus en plus rock quand ils passent d’artiste solo à un groupe et puis à nouveau solo. Thee Oh Sees, par exemple. Ils sont ultra rock. Parfois c’est un artiste solo, parfois c’est un groupe. Parfois, c’est un artiste solo qui dit à son groupe « je veux que ce morceau soit notre morceau calme. » Comment mesurer la degré de chaos dans un groupe en lui-même ? Impossible. Tous les projets sont différents, et le potentiel du groupe dépend d’une personne qui a le pouvoir de faire en sorte que ce groupe devienne un vrai groupe, sans que cela ne surprenne personne.
Si vous êtes un « artiste solo », les gens vous demanderont toujours – et c’est normal – si vous pensez à votre ego avant le rock. C’est peut-être injuste, mais c’est pas grave, tout le monde s’en fout. Sauf moi. Ça m’intéresse. J’ai des classements de votre taux de chaos en tant que rockeurs. En effet, j’ai beaucoup de temps à perdre.
La seconde exception regroupe les « rockeurs pousses ». Les pousses sont des plantes qui poussent dans les jardins indépendamment de votre volonté – j’ai appris ça par ma mère. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à ce mot. Ça a sûrement un rapport avec Jefferson Airplane (dont le taux de chaos est remarquablement haut).
Ces « rockeurs pousses » représentent un phénomène assez rare dans lequel un groupe est de plus en plus rock au fil du temps, non à cause du groupe mais plutôt à cause du temps. Ça arrivait plus dans les années 1960 avec des groupes folk rock type les Byrds ou Fairport Convention.
C’est une exception à la Théorie du chaos dans l’histoire du rock, pour trois raisons. La première : du fait que dans les années 1960, le fait d’être « rock » (à ne pas confondre avec rock’n’roll) venait d’être inventé, on peut comprendre le fait qu’il se passait des trucs bizarres à l’époque, tout comme les lois de la physique furent bizarres quelques nanosecondes après le big bang. La seconde : dans les années 1960 (ou dans les années 1990 post-Nirvana) la musique se dirigeait vers du « bon rock », du coup les groupes de cette époque surfaient sur cette vague. L’époque était belle mais les groupes n’étaient pas forcément bons. La troisième et dernière : décider de faire du rock après avoir commencé en tant que groupe non-rock, est une décision anti-rock. Et même si de l’extérieur, vous donnerez peut-être l’impression de faire du bon rock, ça ne pourra jamais être aussi bon que si vous aviez commencé à faire du rock dès le début.
Cette dernière raison surprendra peut-être les gens assez stupides pour prendre tout ça sérieusement. Un groupe sera toujours moins rock qu’il pourrait l’être, même au début lorsque son « potentiel rock » est à son summum. On a déjà vu un groupe décider, pour des raisons commerciales d’être plus rock qu’avant : Pearl Jam, par exemple. Le résultat dépend du seuil de capacité du groupe en question, forcément en déclin à cause de la Théorie du chaos dans l’histoire du rock.
Voici un graphique :
Est-ce de la triche ? Je ne sais pas. J’ai fait un putain de graphique alors la moindre des choses seraitde me foutre la paix deux minutes. Tout ça pour dire que si « 2 Years On » des Bee Gees est un peu plus rock que « Cucumber Castle », c’est pas pour autant qu’on doit dire que les Bee Gees ont redéfini le rock. Ce sont les Bee Gees putain de merde ! Personne ne mérite une médaille sous prétexte de faire du meilleur rock que les Bee Gees, même si c’est vous les Bee Gees. Il n’y a rien d’extraordinaire.
La troisième exception concerne les groupes d’avant-garde. Sonic Youth est devenu de plus en plus rock au gré du temps parce qu’au début leur musique ressemblait à de la poésie gueularde de merde type Lydia Lunch, et ils en sont arrivés là simplement parce qu’ils ont continué à exister et à jouer de la guitare. J’ai déjà fait des pets plus rock et deux fois plus agréables à écouter que le premier album de Sonic Youth.
La quatrième exception concerne les « pipes ». Ça c’est pour R.E.M qui, lorsqu’ils regardent en arrière, voient des mandolines sur « Losing My Religion » et « Shiny Happy People » et « Everybody Hurts » et se disent « les mecs, regardez ça, comment sommes-nous devenus de tels pitres ? On doit absolument faire du vrai rock ! »
Parfois un groupe décide de devenir plus rock après avoir couru trop longtemps dans une direction non-rock, au point d’en être gêné. Genre « J’ai honte d’être ce que je suis. » Rappel : il n’y a aucune limite au non-rock. À tout moment, un groupe peut décider de sortir un album de Klezmer, juste parce qu’un joueur de hautbois juif est mort. Doit-on féliciter quelqu’un ayant réussi à imposer un chagrin Klezmer à un public pris au dépourvu ? Non.
La cinquième exception implique un changement parmi les membres du groupe. Hawkwind n’ont pas fait du meilleur rock à l’arrivée de Lemmy. Ils sont juste devenus Hawkwind avec Lemmy. Groupe différent, courbe du chaos dans l’histoire du rock différente.
La sixième exception étant les Stooges. Dans ce cas, vous devez être les Stooges.
C’est quoi ton putain de problème ?
Je ne sais pas. Ma copine essaie de devenir prof donc je la dépose de temps en temps au centre d’examen vers 7 heures du matin parce que j’essaye de me comporter comme quelqu’un de bien, contrairement à l’enfoiré que je suis réellement. Qu’est-ce que je reçois en retour ? Franz Ferdinand à la radio et des théories musicales dans mon cerveau endormi. Au moins je suis conscient qu’elles ne sont pas bonnes. Avant je pensais le contraire, mais c’était au début. Ça s’est dégradé depuis.
Plus d’ordre et de chaos :
LA HIÉRARCHIE OFFICIELLE DE LA MUSIQUE
PAIX À VOTRE ÂME, LES GROUPES OUBLIÉS DE L’HISTOIRE DU PUNK ROCK