Culture

La vaporwave, cette sous-culture conçue pour crever

Jeune désabusé, je parie une caisse d’Arizona Green Tea qu’après t’être lassé de Young Lean, rappeur suédois exécrable à qui l’on doit cette tendance d’ado blasé appelée Sad Boy, tu t’es rabattu sur de la vaporwave, un pur produit de la contre-culture web fait par et pour l’internet.

Ce genre musical hybride, emo sur les bords, souvent très downtempo, généralement associé à une iconographie post-seapunk, est censé pouvoir faire kiffer tous les mélancoliques de l’univers qui fantasment un monde utopique. Si tu es un minimum cool, tu traînes probablement avec des gens cool et peut-être même des designers graphiques cool dont tu likes tous les posts Insta parce que tu penses que ce qu’ils font, c’est le futur. Dans ce cas-là, tu vois possiblement de quoi il est question dans ce papier. Dans le cas contraire, je ne sais pas s’il aura un quelconque intérêt pour toi.

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Le seul fuck dans tout ça, c’est que, dans la grande flemmardise intellectuelle de notre époque, très peu se sont vraiment questionnés sur les origines de cette tendance sonore et visuelle considérée à tort comme hype. On l’a vue se faire surexploiter et cuisiner à toutes les sauces durant les cinq dernières années. Et il semblerait que la machine soit encore en route. Si en 2017 on peut se permettre de faire ressurgir une poignée de lignes à propos de ce mouvement mort-né et crucifié, il y a déjà au moins trois ans (merci MTV, merci Tumblr TV), c’est qu’il est encore fréquent et un peu malaisant de tomber sur des relents désuets de ce qui fut une sous-culture anecdotique du début des années 2010.


GIF : Anne Horel

Un style musical fourre-tout qui n’a pas eu le temps de percer

En effet, on connaît tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a payé son visuel générique pour une soirée pseudo-underground en utilisant ce genre d’esthétique. Trois coups de Photoshop, un coup de lasso polygonal, un filtre un peu brumeux pour rajouter un peu de mysticisme et hop! tout le monde n’y voit que du feu : c’est vaporwave à mort. Tout comme ceux d’entre nous qui sont passés au moins une fois devant le rayon fluo de chez H&M et qui ont jeté un regard dédaigneux sur leurs collections d’imprimés vaporwave-ish moches qui ne reflètent en aucun cas ce que la vaporwave est réellement. Bien au contraire.

Cependant, peu de gens osent passer le cap et s’intéresser à son aspect musical qui demande une certaine ouverture et probablement un peu plus d’effort. Je ne veux pas te faire flipper ni te dissuader, mais si tu n’as jamais eu l’occasion d’écouter de vaporwave, va au bout du délire. Sois prêt à te taper des mash-up impossibles mélangeant, entre autres, musique d’ascenseur, smooth jazz, chillwave, bounce house, seapunk, dance ou encore witchouse, qui sont screwed et manipulés d’une main très lourde.

Probablement pas mon préféré, mais certainement le plus authentique exemple de ces productions « post-elevator » est incontestablement l’album Floral Shoppe de MacIntosh Plus sorti en 2011. Il représente tous les clichés qui définissent ce genre dont les fondamentaux avaient été posés quelques mois plus tôt par la compil Eccojams Vol. 1 de Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, ainsi que par l’album Far Side Virtual de James Ferraro.

Une esthétique visuelle mainstream et éclatée pour nostalgiques et dépressifs

Le point de départ de ce mouvement reste sa musique pour gens tristes et désireux d’un futur qui n’existe que dans les rêves (et encore). Son univers visuel demeure cependant le penchant de la vaporwave le plus exposé à monsieur et madame Tout-le-monde. Inspirées en grande partie par une nostalgie du web 1.0, des technologies rétro et la culture pop du Japon prospère des années 80 et 90, les premières compositions picturales (A E S T H E T I C) commencent à être très largement diffusées sur le web vers l’an 2010, notamment sur Tumblr, Reddit et 4chan, en parallèle aux productions musicales.

Bustes et colonnes gréco-romaines, boissons énergisantes, bouteilles de flotte Fiji, plantes et fruits tropicaux, nipponeries et bullshit prélevés d’un internet plus insignifiant que jamais se sont retrouvés décontextualisés pour créer des visuels un peu sans queue ni tête, souvent incompris mais « sympa à regarder ». Ces assemblages sur fond de grid Photoshop mis en valeur par de généreux dégradés panton-esques qui piquent les yeux et des aplats de couleurs pastel sont, semble-t-il, une vache à lait intarissable puisqu’ils font encore aujourd’hui les beaux jours d’un design mainstream assumé comme jamais.

Une utilisation intempestive qui lui a valu tout son punch

Assumé, OK. Mais surtout pas apprécié à sa juste valeur. On ne le répétera jamais assez, mais cette mouvance onirique a souffert, et c’est toujours le cas, d’une réappropriation du non-savoir. Elle n’a pas été créée pour sauver le cul de designers graphiques ou autres créatifs en manque d’inspiration et encore moins pour tenter de rendre les vitrines de chez Urban Outfitter un peu plus cool. Malgré la légèreté de son contenu, la vaporwave soulève de véritables questionnements contemporains se situant, on ne sait plus trop où, entre la critique assez radicale de la société de consommation et l’apologie d’un capitalisme néolibéral. Son utilisation abusive de la culture poubelle et éphémère, de ses tubes bien médiocres des années 90, des objets à usages uniques et jetables, et des technologies obsolètes, cherche à exprimer une nouvelle vie au travers de toute cette soupe de matières mortes.

Au-delà de ces questionnements existentiels dont la plupart d’entre vous n’aurez probablement rien à foutre, cet aspect visuel est notamment utilisé pour décorer les pochettes d’albums de ce microgenre de musique électronique duquel elle est indissociable.


GIF : Anne Horel

Pas besoin d’écrire un roman, mais il est clair que la vaporwave s’est fait saigner (si l’on considère qu’elle a déjà existé) par cette exploitation de masse, circonstance peu favorable à la pérennité et à la crédibilité du mouvement. Le web se retrouve inondé d’une quantité phénoménale de mèmes et favorise une émergence ambiguë de ce que l’on pourrait qualifier de « net art » de bas étage aussi incontrôlable que vide de sens.

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Des sous-genres encore plus vaporeux pour contrer la culture de masse

Elle laisse cependant derrière elle une multitude de sous-genres pour tous les puristes qui veulent persévérer et continuer à baigner dans l’alternatif et le subversif. La future funk avec son album référence SAILORWAVE de マクロスMACROSS 82-99 ou encore plus deep, la simpson wave, une itération de la vaporwave se gavant de glitch, de filtres VHS tout dégueu sur une vapeur violette faisant clairement référence au lean (mélange à base de sirop codéiné pour la toux qui a tendance à rendre la vie très, très douce et lente) ne sont que quelques exemples du futur incertain que promet ce style de musique.

Créatif, artiste ou qui que tu sois, si tu me lis, change donc de victime et laisse mourir la vaporwave et ses sous-genres en paix.