Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a publié ce jeudi 23 février son rapport annuel et y dresse un constat amer : « L’accès aux droits recule dans notre pays ».
Dans ce rapport, Jacques Toubon fait état des compétences de son institution, dont il est à la tête depuis 2014. Parmi celles-ci, il remarque l’augmentation des cas de violences policières l’année dernière. Alors que 910 réclamations ont été désposées en 2015, 1 225 cas de violences policières supposées ont été reçus par le Défenseur des droits en 2016, soit une augmentation de 34,6 pour cent.
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Rien qu’en septembre, 69 cas étaient en cours d’étude, déposés par le collectif « Stop violences policières » et en lien avec les manifestations contre la loi Travail pendant le printemps dernier. Selon le rapport, ces manifestations ont abouti, à elles-seules, au dépôt de 120 réclamations, soit 10 pour cent des réclamations de l’année. Le tout dans un « contexte sécuritaire lié à la menace terroriste et à la mise en oeuvre de l’état d’urgence, auquel est venue s’ajouter la crise migratoire (la situation à Calais notamment) et un mouvement de protestation d’ampleur contre la loi Travail », écrit le Défenseur des droits.
Celui-ci explique l’augmentation du nombre de saisines notamment par « des relations tendues entre une partie de la population et des forces de l’ordre », mais également par des questions en lien avec l’état d’urgence. Plus du tiers des saisines concernent notamment le déroulement des perquisitions administratives. Toutefois, 32,9 pour cent des réclamations concernent des violences, soit le motif le plus évoqué, selon les chiffres du rapport, et seulement 14,6 pour cent font état de « non-respect de la procédure ».
Au total, le Défenseur des droits indique avoir été saisi pour 86 596 dossiers de réclamations.
La « complexité » des services publics
Mis à part les questions de violences policières, l’institution fait surtout le constat d’un recul de « l’accès aux droits ». Ces constats font partie d’une enquête que le Défenseur des droits a réalisée en 2016 sur cette thématique, après de plus de 5 000 personnes, choisies pour établir un échantillon représentatif de la population métropolitaine.
À la suite de l’étude, il déplore le « manque d’information sur les droits, une opacité de la loi » et le fait que les services publics « sont moins bons et renvoient de plus en plus vers des démarches en ligne ». La « complexité » des procédures numérisées mènent les personnes « à renoncer », notamment dans le cas de manque d’accès à internet.
Selon l’étude, « une personne sur cinq éprouve des difficultés à effectuer des démarches administratives » et plus d’une personne sur deux « a expérimenté au moins une fois dans les cinq dernières années des difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public ». « L’inutilité des démarches » est a raison la plus avancée. Jacques Toubon déplore le « renoncement » aux droits : « cette proportion de non-recours aux droits doit absolument régresser », a-t-il déclaré lors de la présentation du rapport.
Dénoncer les discriminations ? « Ça ne sert à rien »
Ce renoncement touche également les situations de discrimination. Si 96 pour cent des personnes interrogées pensent qu’il est possible de porter plainte dans ces cas, seulement 34 pour cent connaissent la démarche à suivre. Pis, 80 pour cent de ceux qui ont été personnellement confrontés à ces situations (près 50 pour cent des interrogés) « n’ont entrepris aucune démarche pour essayer de faire valoir leurs droits ». Et cela concerne notamment ceux qui se disent victimes de discrimination dans l’accès à l’emploi, ce qui constitue 93 pour cent de non-recours, ou lorsque la discrimination concerne l’origine, soit 88 pour cent de non-recours. Pourquoi ? 79 pour cent indiquent que « ça ne sert à rien ».
Dans ses conclusions, le Défenseur des droits déplore que « l’insuffisance des politiques publiques ne permette pas d’atteindre les résultats escomptés » en matière de lutte contre les discriminations, « et ce malgré le dispositif juridique mis en place au cours des quinze dernières années ».
La passivité concerne également la violence faite aux autres, notamment aux enfants. L’atteinte aux droits de ceux-ci représente le premier motif des saisines du Défenseur des droits, selon le rapport. « Au total, 16 pour cent de la population déclare avoir été témoin d’une atteinte aux droits de l’enfant dans les cinq dernières années », mais de ces témoins, 49 pour cent n’engagent aucune démarche pour y mettre fin et cela surtout par manque de preuves suffisantes [53 pour cent] ou parce que « ça ne les regarde pas ».
Pour Jacques Toubon, le bilan noirci des droits en France, et surtout les manquements des services publics, « ne peut pas ne pas avoir de conséquences politiques », a-t-il commenté, faisant allusion à la campagne présidentielle. « Il n’y a plus, depuis plusieurs années, de vrais discours sur l’égalité ou les discriminations », a-t-il regretté, et que, au contraire, des « discours identitaires » se développent, ce qui est « incompatible » avec l’égalité de droits.
Suivez Henrique Valadares sur Twitter : @HenriqValadares