Je fais partie de la génération écolo. Depuis l’enfance, on nous répète que notre environnement périt. Étant ainsi éduqué, l’idée que l’Allemagne abandonne le nucléaire pour intensifier sa production de charbon, ça me semblait un peu louche.
Donc j’ai fait un peu de recherches : 75% de carbone, voilà la composition du lignite de charbon, une énergie fossile considérée comme très polluante, responsable de dégâts considérables sur le paysage avec des mines qui s’étendent sur des milliers d’hectares. L’exploitation du charbon en Allemagne est, aujourd’hui, la plus grande cause d’émission de CO2 en Europe.
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En 2015, RWE a produit 159,3 million de tonnes de lignite, dont 90% est utilisé pour la production d’électricité. D’ici l’horizon 2019, la compagnie s’est engagée à réduire leur production à 21 millions de tonnes dans le cadre du “Paquet sur le climat et l’énergie” dirigé par l’Union Européenne. Autant dire qu’ils vont devoir se dépêcher.
Certes, je possède un abonnement Villo. Mais quand des êtres humains se battent pour une cause ou une idée sous forme de désobéissance civile, là, mon moyen d’expression se réveille. Alors quand on m’a parlé d’une action de masse de la jeunesse belge et européenne qui agit face à un système qu’ils jugent obsolète, j’ai sauté sur l’occasion.
J’ai visité à plusieurs reprises la mine de Garzweiler Tagebau en Rhénanie du Nord. À elle seule, elle représente près de 50 kilomètres carrés, soit la superficie de la ville de Louvain. Pour faire place à la mine, neuf villages ont déjà été détruits, trois sont en cours d’évacuation et six autres localités le seront bientôt. Au total, 7600 personnes vont être expulsées et devront retrouver un domicile. Comme compensation, des villages entiers sortent de terre. Ils porteront le même nom que le village détruit, hormis le préfixe « Neu » (nouveau).
Une contestation tant locale qu’internationale est en marche. Chaque année, des activistes de toute l’Europe viennent protester contre la politique énergétique allemande. Ils se donnent rendez-vous pour bloquer l’activité d’une des nombreuses mines. En mai 2016, ils étaient 4500 à immobiliser toutes les installations de l’exploitant Vattenfall durant plusieurs jours. Pour vivre cela de l’intérieur, j’ai suivi dès sa première réunion la branche belge de l’action « Ende Gelände ».
J’y ai rencontré Camille, une jeune Belge très engagée depuis ses 27 ans. Au départ elle avait suivi l’action avec une caméra, mais elle l’a vite mise de côté pour se consacrer entièrement au mouvement. Récemment, Camille, avec qui je suis resté en contact, m’a accordé une entrevue dans un bar de la place Fernand Cocq à Bruxelles.
Peux-tu me dire ce que Ende Gelände représente pour toi ?
Camille : Pour moi, c’est avant tout un moment de retrouvailles avec des gens qui sont convaincus qu’il faut un changement de système. On crée une petite bulle qui est en dehors de notre quotidien. En l’espace de quelques jours, on pourrait croire que le monde est fait exclusivement de gens qui veulent changer le système.
D’un point de vue idéologique, Ende Gelande c’est une action de désobéissance civile, mais pour moi cet évènement est très lié au « Camp Climat » qui en est une autre facette moins visible. On sait qu’on a pas toutes les réponses, mais on cherche. On tente les choses et on redéfinit au fur et à mesure. Il y a quelque chose dans le fait de « passer à l’action » qui est motivant. Le travail fait par les ONG est très important, mais souvent basé sur le plaidoyer, alors qu’on parle d’un système qui ne veut pas changer. Ils gagnent toujours des petites luttes. C’est pour ça que je valorise l’action. Je pense que le réchauffement climatique doit être stoppé maintenant. Il faut bloquer les infrastructures parce que le système ne nous a pas laissé d’autres moyens d’action.
À combien d’éditions d’Ende Gelände as-tu participé ?
Ça va être la quatrième édition en trois ans.
Pourquoi penses-tu que passer par une action de désobéissance civile est important pour votre cause ?
Certes, la désobéissance civile c’est désobéir à une loi, mais au nom d’un principe. Dans ce cas-ci, la loi c’est de ne pas respecter la propriété privée d’une compagnie qui par ailleurs crée le réchauffement climatique. On décide de l’ignorer face à l’urgence que représente le réchauffement.
Beaucoup admirent le modèle énergétique allemand. Penses-tu qu’il est juste de manifester ton désaccord avec un pays qui prône une sortie du nucléaire totale ?
La sortie du nucléaire, si c’est pour passer au charbon, ça n’a pas de sens. Il faut sortir de toutes les énergies fossiles le plus rapidement possible. Les mines de charbon allemandes constituent la plus grande source d’émission de CO2 d’Europe. L’industrie allemande vend beaucoup le principe du : « Si c’est pas le nucléaire, c’est le charbon » alors qu’il y a beaucoup de communautés qui ont pris les énergies renouvelables en main et ont construit des alternatives. Il y a d’autres possibilités de systèmes indépendants des énergies fossiles. Ce sont des systèmes qui ne donnent plus de place aux grandes industries énergétiques.
Vous ne militez ici que contre le charbon ?
Il est clair que quand on manifeste contre l’exploitation du charbon, ce n’est pas pour retourner vers le nucléaire. On se bat contre toutes les énergies fossiles. C’est vrai que l’action est fort concentrée sur le charbon, mais c’est temporaire. On compte aller plus loin et proposer une action globale. Chaque pays se concentre sur sa principale source d’émission. En Allemagne, ils ont décidé de se concentrer sur le charbon. En Belgique, où l’industrie du charbon est morte et enterrée, il serait temps de se préoccuper du nucléaire. Il ne faut pas oublier que c’est un mouvement européen.
Est-ce que je me trompe quand je dis qu’en manifestant contre les mines en Allemagne, vous vous préoccupez aussi des mines en Amérique latine et en Afrique ? Mais au fait, pourquoi cette mine allemande et pas une autre ?
Le réchauffement climatique n’a pas de frontières. Je ne vais pas prendre l’avion pour aller manifester, ce serait contre productif. Mais aller en Allemagne c’est possible. Certes, il faut arrêter les mines, mais il faut aussi construire le nouveau système qui existe et qui est déjà amorcé en Allemagne : en bref, les énergies renouvelables aux mains des citoyens.
Comment expliques-tu le fait que les participants n’appartiennent pas à une classe ou à une tranche d’âge définie ?
Justement, ce serait inquiétant qu’il n’y ait pas cette diversité. Je pense que les gens sont là parce qu’ils sont convaincus que c’est le seul moyen d’action qui fait sens. Evidemment, on ne va pas voir des enfants dans les endroits où il y a des risques de confrontation avec la police, mais la transition a besoin de tout le monde pour avancer.
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