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L’arbitre de football pour qui l’homophobie est un combat

A 21 ans, Jesus Tomillero est le premier arbitre espagnol ouvertement homosexuel. En mars dernier, lors d’une rencontre de cadets (14 -15 ans) en Andalousie, sa région d’origine, entre les clubs de la Peña Madridista Linense et le Mirador, il est victime d’insultes homophobes. Un incident qui se répète quelques semaines plus tard, le 7 mai, lors d’un autre match. Lassé de ces intimidations verbales, Jesus Tomillero a décidé d’abandonner son sifflet d’arbitre. Aujourd’hui, il réclame des mesures pour lutter contre l’homophobie dans le sport. Il a répondu à nos questions.

VICE Sports : Comment a commencé cette passion pour le foot et pour l’arbitrage ?
Jesus Tomillero : En vérité, je n’aime pas jouer au foot. Cette passion pour l’arbitrage, elle me vient de mon frère. Un jour, j’avais onze ans, il jouait dans une équipe de foot et on m’a proposé d’arbitrer un match. C’est comme ça que j’ai commencé à être arbitre. Et c’est devenu ce que j’aime le plus faire au monde. En sifflant le coup d’envoi de ce match, j’ai ressenti une fascination pour cette nouvelle mission. Ensuite, c’est devenu une vraie passion. L’arbitrage a été un pilier fondamental de ma vie. Ça n’a pas toujours été facile et je me suis un peu réfugié dans ma mission d’arbitre. J’aime profondément arbitrer.

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L’annonce de votre homosexualité a posé problème dans votre entourage ?
Ma famille l’a bien pris. Certes, ma grand-mère a été un peu choquée parce qu’elle a 82 ans mais les autres l’ont bien pris. Je travaille aussi comme serveur et dans mon travail, mon homosexualité n’est pas un problème. Mes collègues me respectent autant que je les respecte. Il n’y a pas de raison que ce soit un problème.

Le 26 mars dernier, vous avez été victime d’un acte homophobe alors que vous arbitriez un match. Qu’est-ce qui s’est passé, sur le terrain
J’étais en train d’arbitrer un match de jeunes, des garçons de 14 et 15 ans. Tout a commencé lorsque l’intendant d’une des équipes a commencé à se plaindre. Il a crié « hors-jeu » à plusieurs reprises. J’ai jugé qu’il dérangeait les joueurs, donc je l’ai expulsé. Une fois expulsé, l’intendant a commencé à me dire « Toi et moi, on va se retrouver ! » et puis « Je vais te foutre une gifle ! Je vais te casser la figure ». Depuis les gradins, pendant 70 minutes, il m’a lancé des insultes comme « Espèce de tafiole ! » Cela m’a blessé, d’autant plus que sur le terrain, il y avait des mineurs. Un autre joueur que j’avais aussi expulsé m’a aussi crié « Tu aimes bouffer des bites ». J’ai dit au délégué de match qu’il fallait appeler la police mais il a refusé. Cet incident a été si douloureux que suite à ça, j’ai décidé d’arrêter l’arbitrage.

Dans quel état d’esprit étiez-vous après ce match ?
Je suis retourné chez moi et je n’avais plus envie d’aller travailler. Je n’avais plus envie de rien après cet incident désagréable. Je ne faisais que pleurer. Le plus lamentable, c’est que je n’avais pas le soutien du comité des arbitres. La sanction contre l’intendant (neuf matches de suspension et une amende de 30 euros, ndlr), je l’ai trouvée ridicule. Honnêtement, c’est lamentable.

Vous avez accordé une interview au média El Español après le premier incident. Avez-vous reçu des pressions du monde du football ?
Oui, j’ai reçu des pressions de la fédération d’Andalousie (la Real Federation Andaluza de Futbol, ndlr). J’ai su que si je continuais à m’exprimer dans la presse, je pourrais être sanctionné de trois à six mois.

Comment se sont comportées les autres équipes envers vous dans les semaines qui ont suivi ?
Les premières semaines, je ne subissais plus d’insultes. Mais tout a repris le 7 mai, lors d’un autre match. Ce jour-là, un supporter m’a insulté. Non seulement c’était humiliant, mais le pire dans tout ça, c’est que les spectateurs riaient des propos de cette personne.

Depuis que vous avez arrêté l’arbitrage, vous racontez votre histoire sur les réseaux sociaux. Avez-vous reçu du soutien suite à cette affaire ?
J’ai reçu le soutien de beaucoup de personnalités, parmi lesquelles le président du gouvernement actuel, Mariano Rajoy, le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, ainsi que le joueur et capitaine de la sélection espagnole Iker Casillas. Ce sont des personnalités connues et reconnues dans le pays et leur soutien me rend plus fort pour continuer à me battre contre l’homophobie dans le sport. Mais ce que j’aurais le plus aimé, c’est avoir davantage de soutien de personnalités de cette envergure et plus de soutien des clubs espagnols. Je pense que cela peut avoir un effet sur l’opinion publique. Ce n’est pas normal que de tels incidents se produisent au XXIe siècle.

Depuis que vous avez arrêté l’arbitrage, vous n’avez eu aucun contact de votre fédération ?
Je n’ai eu aucun contact avec eux. C’est lamentable et leur comportement a influencé ma décision de quitter l’arbitrage. Oui, j’ai envisagé un retour vers l’arbitrage, mais cela ne dépend pas que de moi, cela dépend aussi de la fédération. Si elle m’apporte son soutien, je reviendrai.

Qu’est-ce qui faudrait faire, selon vous, pour lutter contre l’homophobie dans le sport ?
Je réclame une loi contre l’homophobie dans le sport. Il faut qu’on interdise l’accès aux installations sportives aux personnes homophobes et à celles qui insultent les arbitres, les joueurs, les entraîneurs, etc. Et il faut une présence policière obligatoire dans les stades de football.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux supporters ?
J’aimerais dire aux supporters de respecter leurs semblables et de continuer à faire ce qu’ils aiment tout en étant respectueux de l’orientation sexuelle de chacun. S’ils sont acteurs ou témoins d’insultes, ils doivent prendre conscience que cela fait souffrir des personnes et que cela peut faire beaucoup de mal. Chacun à son rôle à jouer pour que l’homophobie cesse dans le sport et ailleurs.