Si vous mélangez le jeu de société Diplomatie, le jeu de rôle Donjons et Dragons et des tactiques militaires prussiennes, vous obtenez « ISIS Crisis » (que l’on peut traduire par «La crise de l’EI »)— un nouveau jeu de stratégie militaire.
Certains militaires canadiens pensent que ce jeu de société pourrait être utile pour encourager leurs stratèges à mettre au point de nouvelles tactiques, afin de résoudre la crise qui se joue en Irak et en Syrie.
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Développé par un commandant de l’armée britannique et un professeur d’une université canadienne, le jeu a été testé par le centre de Recherche et développement pour la défense canadienne (DRDC) — qui dépend du ministère de la Défense canadien.
Les experts du DRDC ont joué à ISIS Crisis pour voir si cela leur permettait de changer leur approche des problèmes militaires, sociaux, économiques et culturels de la région irako-syrienne.
Les règles du jeu sont relativement sommaires. Les joueurs forment six équipes : l’EI, le gouvernement irakien, le gouvernement régional du Kurdistan, les milices sunnites, l’Iran et les États-Unis. Chaque faction ou puissance étrangère doit formuler des propositions logiques pour détailler ce qu’elle veut faire. Les autres équipes peuvent opposer des contre-arguments. Le modérateur, ou l’arbitre, décide de qui remporte l’échange — souvent en jetant des dés.
Ce n’est pas la première fois que des militaires s’appuient sur un jeu de société pour éprouver leurs stratégies. L’armée prussienne utilisait un jeu baptisé Kriegsspiel (Le Jeu de la Guerre) pour planifier ses campagnes militaires. Diplomatie — qui consiste à monter des alliances pour conquérir l’Europe — était le jeu préféré d’Henry Kissinger. Même le DRDC a déjà eu recours à cette technique. Dans un rapport de 2011, ils expliquent que des jeux leur ont servi à préparer la sécurité des Jeux olympiques de Vancouver.
ISIS Crisis peut devenir très complexe. Dans le rapport du DRDC sur l’intérêt du jeu, on peut lire que les chercheurs militaires qui jouaient le rôle de l’armée kurde ont dû rapidement professionnaliser leurs forces, alors que les joueurs représentant le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, ont essayé d’améliorer leur armée de l’air. Mais ces deux tentatives ont échoué. Au fil de la partie, un EI affaibli est parvenu à faire rentrer une arme chimique à Mossoul, pour finalement se retrouver face aux forces spéciales américaines. De son côté, l’Iran a réussi à convaincre le gouvernement d’Assad de lancer une campagne agressive de frappes aériennes contre l’EI.
« À la fin de la partie, l’Irak a lancé une offensive pour reprendre Fallujah, » peut-on lire dans le rapport. « Mais malgré le soutien aérien des États-Unis et l’aide des conseillers américains et iraniens, les limites de l’armée irakienne sont à nouveau apparues au grand jour lorsque l’offensive a échoué. »
Tous les joueurs ont apprécié le jeu, le DRDC a estimé que la partie avait permis de faire plusieurs « observations utiles » sur la mission. Du coup, le DRDC a annoncé la mise au point de son propre jeu, basé sur le vrai déploiement des forces canadiennes.
L’armée canadienne pourrait bien avoir besoin de nouvelles idées.
L’une des premières décisions du gouvernement de Justin Trudeau, après son arrivée au pouvoir, a été de mettre un terme aux frappes aériennes canadiennes en Irak et en Syrie. À la place, le gouvernement a décidé de multiplier les missions de formation des Peshmergas dans le nord de l’Irak. Le gouvernement a alors été critiqué par ceux qui lui reprochent de sous-estimer sa mission.
Rex Brynen, un professeur de l’université McGill à Montréal qui a participé au développement du jeu (avec Tom Mouat, le commandant de l’armée britannique) explique que la nature analytique du jeu peut être très utile pour les stratèges militaires.
« C’est plutôt utile dans ce cadre-là — pour créer une série de problèmes et de questions, » nous explique Brynen.
Pour lui, ISIS Crisis n’est pas un jeu de société, mais plus une « discussion mise en récit » accompagnée d’un plateau de jeu, de cartes et de petites figurines, qui servent de « pense-bêtes ».
Brynen estime que le jeu est à la fois amusant et profondément frustrant — personne ne gagne vraiment. « Vous arrangez un peu les choses ou vous les empirez, » explique-t-il. Brynen et d’autres experts militaires développent régulièrement de nouveaux jeux et scénarios. Ils publient aussi plusieurs billets sur ce thème, sur le blog PAXSims.
Le fait de tester des tactiques militaires, de planifier l’installation d’infrastructures, de gérer des alliances politiques et communautaires permet de déployer une pensée créative. Cela permet aussi de se rendre compte qu’il n’existe pas de solution magique à cette crise.
« C’est un antidote puissant contre l’arrogance, » conclut Brynen.
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