Pendant le premier confinement, mon célibat aurait été plus facile à vivre si je n’avais pas commencé 2020 en couple. Je me souviens encore de la carte de Noël qu’il m’a envoyée et du message qu’il a écrit à l’intérieur : « J’ai adoré passer 2019 avec toi, j’ai hâte de voir ce que 2020 nous réserve. » Moi aussi, j’avais hâte. Mais un mois plus tard, nous étions tous les deux assis dans sa chambre, le visage rouge de larmes, ma valise prête pour le grand départ. « On peut continuer à se voir ? » m’a-t-il demandé, les yeux brillants de l’espoir d’un adolescent naïf. Son cerveau d’adulte rationnel aurait pu lui souffler la réponse. Il savait qu’on ne pouvait pas. Et la raison de notre séparation était aussi simple qu’elle était bouleversante. Il rêvait d’avoir des enfants, un jour. Des enfants dont je ne voulais pas et que je ne pouvais pas lui donner de toute façon.
Notre relation était en phase terminale et j’ai préféré la voir mourir dans la dignité plutôt que d’assister à sa lente agonie. J’ai eu beaucoup de chagrin. Un chagrin qui a duré des mois. Des mois qui, malheureusement, ont coïncidé avec une pandémie qui a bouleversé tous les autres aspects de ma vie. « C’est le moment idéal pour s’entraîner à la masturbation », m’a dit d’un ton détaché Gemma, une amie fraîchement célibataire, comme si la masturbation était une compétence comme le kayak ou la pâtisserie. Au cours des six semaines qui ont suivi la rupture, le coronavirus est devenu un merdier mondial en pleine expansion. Les consignes étaient claires : ne sortez pas de chez vous, ne voyez personne, ne touchez personne, ne baisez personne.
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Depuis un an, le sexe est techniquement illégal. Il y a eu une brève période où c’était possible de mai à octobre, mais toute nouvelle relation entamée pendant cette période aurait exigé de brûler les étapes et de cohabiter au bout de quelques semaines seulement pour espérer survivre à la deuxième vague. Le fait est que la majorité des gens qui ont embrassé cette pandémie en tant que célibataire le sont toujours et le resteront pendant un moment.
Bien sûr, personne ne pensait que ça durerait aussi longtemps. Il y a un an, la plupart des conseils officiels n’étaient pas si différents de ceux de mon amie Gemma : c’était l’avènement des rendez-vous Zoom, des sex-toys, du sexe par téléphone et des nudes. J’étais rassurée par les magazines et les sexologues qui semblaient tous très optimistes quant à cette nouvelle ère de sexualité à distance. Il y a un an déjà, j’avais l’impression qu’ils étaient à côté de la plaque. Pour la nouvelle célibataire que j’étais, la première étape consistait à reconstruire une image cohérente de moi-même en tant qu’être sexuel.
Il est communément admis que si un homme cis hétéro couche avec une femme trans, c’est forcément qu’il a un fétichisme. C’est une analyse que j’ai toujours trouvée laborieuse et réductrice. Il y a quelques années, j’ai constaté sur les applications de rencontres que les hommes semblaient beaucoup moins gênés à l’idée de fréquenter une trans s’ils venaient de divorcer ou de se séparer. Une fois que leur vie autrefois rêvée est brisée, ils se disent qu’une femme affranchie des normes hétérosexuelles pourrait avoir des choses à leur apprendre. Pendant des années, avant de rencontrer mon ex, j’ai « bu un verre » avec le genre d’homme qui espère secrètement qu’en goûtant à ma déviance, il découvrira quelque chose de plus intéressant sur lui-même. C’est un échange vampirique ; un contrat de chaleur et de sang. Je suppose que l’année dernière, j’ai désespérément espéré que les rôles s’inversent. Qu’après ma tentative ratée d’assimilation à l’hétérosexualité, les hommes cis m’apprennent comment mieux faire la prochaine fois. Que pour une fois, ce soit moi, le vampire.
N’ayant pas cette chance, j’ai passé une grande partie de mon premier confinement à parler à des types sur Hinge et Tinder. Des types sur lesquels je ne me serais habituellement pas arrêtée pour un vrai rendez-vous. Je régale mes amis avec les histoires de mes improbables interactions virtuelles. À un moment donné, je discutais avec trois militaires (ne vous inquiétez pas, ils étaient dans des régiments différents), alors même que mes opinions politiques sont suffisamment anti-impérialistes pour remettre en question l’existence même de l’armée. Lorsque Vera Lynn est décédée en juin dernier, mon ami Huw m’a appelée sa « chérie des Forces » pour plaisanter.
À d’autres moments, la solitude est pesante. Jusqu’en juillet dernier, les souvenirs de mon ex me revenaient sans cesse en mémoire. Sa main posée sur le bas de mon dos sur un quai de métro bondé ; ma gêne d’être traitée comme n’importe quelle autre petite amie ; le rythme de sa respiration pendant l’amour ; son sourire désarmant lorsque j’avais de meilleurs arguments politiques que lui.
L’erreur du gouvernement est de penser que seuls les couples ont besoin d’intimité. Sans un câlin pour me réconforter ou un cours de gym pour me redonner confiance en moi, j’ai inévitablement regretté d’avoir quitté mon ex. En rompant avec lui, j’avais pris le pari d’être célibataire et de recommencer une nouvelle vie, plus adaptée à mes besoins et à mes désirs à long terme. Mais je n’avais pas choisi d’être seule et désespérée indéfiniment.
Étant donné que la pandémie a pour effet secondaire d’instaurer une vision conservatrice de l’amour, le fait d’avoir décliné l’offre de mon ex, à savoir fonder une famille, est également revenu me hanter. Mon cerveau en manque de stimuli n’arrêtait pas de m’aboyer dessus : « Toi, une trans, tu étais avec un homme grand, beau, intelligent, à la dentition parfaite : alors qu’est-ce que tu as foutu, putain ? » Parfois, la voix sadique dans ma tête était encore plus cruelle : « Pourquoi tu ne veux pas être mère, d’abord ? Tu n’es pas vraiment une femme, finalement, hein ? »
Fatiguée de remettre en question mon propre jugement, j’ai renoncé aux rencontres pour le moment. C’était brutal et je ne le souhaite à personne mais, en fin de compte, le temps a fait son travail et m’a guérie de ma rupture. Nous vivons avec des restrictions depuis si longtemps que ma relation avec mon ex semble maintenant avoir eu lieu à une autre époque, une époque où les bars et les restaurants étaient bondés. J’arrive maintenant à échanger un bref texto avec lui ou à imaginer sa future femme et ses futurs enfants sans ressentir une douleur intense. J’arrive même à me réjouir pour lui.
Il n’y a pas que le temps qui a aidé : une brève romance à la fin de l’été avec un homme (légèrement) plus jeune qui s’est inopinément glissé dans mes DM Instagram a réussi à changer mes schémas de pensée négatifs. Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre, mais il m’a fait comprendre que je n’étais pas vouée à rester seule toute ma vie. Deux ruptures et deux confinements en moins d’un an, ça aura été une putain de corvée. Encore une fois : pas de cours de fitness, pas de verres avec les filles. Depuis que cette relation s’est terminée de façon abrupte à l’automne dernier, j’en suis venue à la conclusion que je n’étais pas encore prête à entretenir une relation saine avec qui que ce soit. Je dois d’abord remettre de l’ordre dans ma vie lorsque ce purgatoire prendra fin.
La pandémie a montré aux célibataires comme aux couples que les relations sont des choses pratiques, construites davantage sur un mélange de chance, de timing, de proximité et de compatibilité à long terme que sur une alchimie initiale ou un désir sexuel que l’on peut éprouver avec de nombreuses personnes. J’aimais tellement mon ex que, par moments, j’avais l’impression qu’il était ma seule source de vrai bonheur. Mais si notre relation a pris fin, il y avait des raisons : les incompatibilités et les insécurités sont apparues en même temps que les distractions ont disparu.
J’ai tellement compté sur le soutien à distance de mes amis que mon désir de réconfort romantique a diminué, tout comme mon besoin de rire et de m’amuser a atteint des niveaux désespérés. Je me languis de la convivialité et de la spontanéité des soirées en appartement qui durent jusqu’à 6 heures du matin, des dîners imprévus, des ragots et des sarcasmes. Après un an sans amitié, l’amour est-il même une priorité ?
Avant de rencontrer mon ex, j’imaginais souvent à quoi ressemblerait ma vie avec quelqu’un comme lui. Je rêvais d’un homme qui pourrait réparer les blessures laissées par mes expériences de trans dans ce monde. Bien sûr, j’espère retrouver l’amour après la pandémie, mais je ne fantasme plus sur la personne plus épanouie, plus résiliente et plus puissante que je deviendrais quand je l’aurai rencontré. Même seule, je suis déjà devenue cette femme.
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