En légalisant le cannabis, le Canada viole trois conventions internationales qu’il a ratifiées au siècle dernier, interdisant la consommation, la production et le trafic de drogues à des fins non médicales.
Ottawa ne compte rien faire du tout pour remédier à la situation.
Videos by VICE
Convoqué devant un comité sénatorial le 21 mars, un représentant d’Affaires mondiales Canada a affirmé que « le Canada n’a pas l’intention de prendre des mesures à l’égard des traités ».
Et ce, même s’il a reconnu que la légalisation du cannabis entraînera la violation « de certaines obligations liées au cannabis en vertu des conventions de l’ONU sur les drogues ».
Le Canada juge qu’il respecte l’esprit des traités, même s’il ne respecte pas « à la lettre tous les aspects techniques ».
Contacté par VICE, Affaires mondiales Canada s’est contenté de réitérer que le projet de légalisation du cannabis est « conforme aux objectifs généraux des conventions internationales » et que le Canada « continuera à collaborer de façon constructive [avec] ses partenaires internationaux ».
C’est grave si on ne fait rien?
Est-ce qu’on peut juste légaliser le weed, s’en aller en sifflant et espérer que les autres pays ne remarquent pas qu’on est en train de contrevenir à nos engagements collectifs? C’est un peu ce qu’on fait pour les gaz à effets de serre. Est-ce qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui surveille ça de toute façon?
C’est dans le mandat de l’Organisme international de contrôle des substances (OICS), un organe de l’ONU. Et il nous surveille de près.
Le mois dernier, l’OICS a publié un rapport dans lequel il notait « avec préoccupation » que « les dispositions du projet de loi C-45, en autorisant l’usage du cannabis à des fins non médicales et non scientifiques, seraient incompatibles avec les obligations auxquelles le Canada est tenu au titre de la Convention de 1961 ».
Cela dit, il reste à voir ce qu’ils peuvent réellement faire, à part nous dénoncer dans un rapport.
« ll n’a pas le pouvoir d’annuler une loi canadienne. Il n’a pas le pouvoir d’imposer des sanctions de quelque nature. Ce ne sont pas des pouvoirs très importants qui sont confiés à cet organe. Les pays qui ont conclu ces conventions ne l’ont pas permis », explique le professeur de droit international à l’Université de Montréal, Daniel Turp, qui est aussi ex-député bloquiste puis péquiste.
L’OICS pourrait recommander au Canada d’abroger sa loi. Il pourrait aussi recommander aux autres signataires d’imposer un embargo sur l’importation ou l’exportation de médicaments au Canada – les substances licites sont également encadrées par les conventions. Mais cela ne resterait qu’une suggestion : aucun État ne serait contraint de sévir à l’endroit de l’unifolié.
Un autre pays pourrait décider de traîner le Canada devant la Cour internationale de Justice. Cette dernière pourrait alors imposer des mesures précises – et obligatoires – auxquelles le Canada devrait se soumettre pour ne pas violer le traité.
Extrême? Oui. Probable? Non.
Le Canada n’a pas trop l’air de s’en faire avec ces cas de figure. Devant le comité sénatorial, le représentant d’Affaires mondiales Canada cite l’exemple de l’Uruguay, qui a légalisé le cannabis en 2014 et qui n’a pas encore subi de représailles sur la scène internationale.
Oui, il peut quand même y avoir des conséquences
Il est peu probable qu’il y ait des conséquences judiciaires à l’inaction canadienne. Mais ça ne veut pas dire que de ne pas respecter une convention internationale, ça n’a pas de conséquences politiques.
Si le Canada ne respecte pas ses obligations, nécessairement il va perdre de l’autorité et de crédibilité sur la scène internationale, juge le doctorant en politique internationale de l’Université de Cambridge, Bruno Gélinas-Faucher.
« Et c’est extrêmement important lorsque le Canada tente de jouer son rôle et tente de faire respecter ses obligations à d’autres États, que ce soit pour demander la libération de Raif Badawi, ou que ce soit pour demander le respect de traités internationaux relatifs au commerce. On n’a pas le luxe de dire “on a certains traités qu’on applique, et d’autres qu’on décide de violer ouvertement” », insiste celui qui est aussi chargé de cours à l’Université de Montréal.
Adieu, conseil de sécurité?
Il serait aussi possible que la violation des traités puisse nuire aux chances canadiennes d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
Le gouvernement lui-même a souligné cette possibilité, peut-on lire dans un mémo lourdement caviardé, daté du 12 août 2016.
« Les politiques canadiennes à l’égard de la marijuana pourraient également présenter un intérêt dans le contexte de la course du Canada pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période de 2021 à 2022 », peut-on lire dans le document obtenu par la Presse canadienne au moyen d’une demande d’accès à l’information, qu’il nous a aussi été possible de consulter.
M. Gélinas-Faucher croit que c’est une crainte justifiée. « Les États qui, ouvertement, violent leurs obligations, ce n’est pas une bonne chose lorsqu’on fait campagne pour le Conseil de sécurité, où son rôle, c’est vraiment d’être le gendarme international », analyse-t-il.
Le représentant d’Affaires mondiales Canada a reconnu devant le comité sénatorial que la légalisation du cannabis pourrait effectivement poser problème à certains États.
« Cependant, je crois que cette loi n’est pas proposée dans l’optique d’obtenir un siège au Conseil de sécurité. Cette loi est présentée parce que nous croyons qu’elle sera bénéfique pour la santé et le bien-être des Canadiens », a soutenu Mark Gwozdecky, sous-ministre adjoint responsable de la sécurité internationale et des affaires politiques.
Rayer le cannabis de la liste des interdictions
Il est curieux que le Canada choisisse de ne rien faire, alors que plusieurs solutions s’offrent à lui.
Pour Daniel Turp, l’inaction serait un non-sens. « C’est la règle la plus importante, sur laquelle le droit international est fondé », insiste-t-il, rappelant que, lorsqu’on ratifie un traité, « on s’engage à en respecter les dispositions ».
Le pays aurait la possibilité de se retirer des conventions internationales en question, comme il l’a fait pour Kyoto, mais le Canada refuse cette avenue. « Le retrait de ces traités serait une réponse excessive et injustifiée, retrait qui nuirait à la fois aux intérêts du Canada et à ceux de la communauté internationale », a argué le sous-ministre adjoint d’Affaires mondiales Canada, en rencontre avec le comité sénatorial.
Il y aurait une solution plus efficace.
Le Canada pourrait demander une reclassification du cannabis dans les traités internationaux. Ça voudrait dire rayer le cannabis du tableau des drogues illégales.
Pour ce faire, il faudrait qu’un comité d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) étudie la question et produise un rapport recommandant la reclassification, puis que celle-ci soit acceptée par la majorité des 53 pays siégeant à la commission des stupéfiants de l’ONU.
Selon Daniel Turp et Bruno Gélinas-Faucher, ce serait la meilleure solution. Le processus est beaucoup plus simple que l’amendement d’un traité, qui requiert les appuis des deux tiers des 154 pays membres. Considérant que, dans une trentaine de pays, le cannabis peut entraîner une peine de mort, ce serait loin d’être gagné d’avance.
Si la reclassification venait à échouer, l’autre solution serait le retrait du traité, pour le ratifier de nouveau ensuite en demandant l’autorisation de le faire sous une réserve permettant de légaliser le cannabis sans violer la convention. La réserve serait autorisée, à moins qu’un tiers des États – une cinquantaine de pays – soulèvent des objections, estime M. Turp.
On ne réinvente pas la roue
Le processus de reclassification du cannabis est déjà partiellement enclenché.
À la suite de pression de nombreux groupes militant pour cette cause, le comité d’experts de l’OMS a décidé de mener en juin prochain une « pré-révision » du statut du cannabis. Le comité va évaluer s’il y a suffisamment de littérature scientifique pour procéder à une réévaluation officielle.
Le Canada pourrait ajouter beaucoup de poids à ce processus en déposant une demande formelle de reclassification.
Pour plus d’articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.
Bruno Gélinas-Faucher rappelle qu’un Comité spécial du Sénat du Canada, mené par le conservateur Pierre Claude Nolin, s’était penché très sérieusement sur la question en 2002. Il avait conclu que le Canada devrait demander officiellement le déclassement du cannabis.
« Les classifications internationales des drogues sont arbitraires et ne reflètent pas la dangerosité des substances pour la santé ni pour la société », avait-on écrit.
« J’essaie de ramener cette recommandation à l’ordre du jour, indique Bruno Gélinas-Faucher, qui a été convoqué devant le comité sénatorial à la fin du mois de mars. Je leur ai dit : “Vous avez pas besoin de réinventer la roue. On a juste à se référer à la recommandation qui avait été faite en 2002 par le comité.” »
Justine de l’Église est sur Twitter.