Le Cannibale qui écoutait un peu trop Satan

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Crime

Le Cannibale qui écoutait un peu trop Satan

L’histoire de Stefano Brizzi, un toxicomane élevé dans la foi catholique qui a par la suite bouffé un flic.

Collage de Marta Parszeniew. Image de Stefano Brizzi via Met Police. Image du téléphone par Asimzb via acid photo.

L'odeur de la chair humaine en putréfaction était devenue tellement insupportable pour les habitants de l'immeuble E que le concierge s'était résolu à masquer la puanteur avec un désodorisant parfumé au bubble-gum. Mais face à l'échec de sa tentative, il a finalement été contraint de faire appel à la police.

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La scène s'est produite le soir du jeudi 7 avril 2016. Une semaine plus tôt, dans la nuit du vendredi 1er avril, un homme – qui serait plus tard dénommé par les initiales « CD » au tribunal – s'est perdu dans un lotissement, alors qu'il se rendait à une soirée chemsex. Il avait été convié à cette fête par une personne répondant au pseudonyme « Domination London », via l'application Recon. Le Peabody Estate, inauguré en 1876, se situe à quelques minutes au sud de la Tamise, entre le London Bridge et le Tate Modern. Cette situation géographique idéale en fait l'un des quartiers les plus chers de la capitale anglaise – pour louer un T1 ou un studio minuscule, il faut compter environ 1600 £ par mois. Néanmoins, trouver son chemin peut se révéler difficile pour un non-initié.

Finalement, CD a trouvé la bonne porte et a sonné. Aucune réponse. Il a de nouveau appuyé sur la sonnette, puis une autre fois encore.

Une voix d'homme lui a finalement répondu : « Bonsoir, désolé, je crois que nous avons un petit problème ici. »

CD n'avait aucune idée de ce qu'était le problème en question, alors il a demandé davantage de précisions. L'homme lui a expliqué que quelqu'un ne se sentait pas bien, mais qu'il contrôlait la situation et que la soirée chemsex avait été annulée. CD a naturellement proposé son aide, ce que l'homme a refusé. D'après le témoignage de CD, l'homme avait l'air « soucieux et quelque peu contrarié, mais pas vraiment inquiet ». CD a repris son chemin, pensant que quelqu'un avait simplement dû vomir sur le tapis.

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Derrière l'interphone se trouvait un Italien de 49 ans, nommé Stefano Brizzi. Il a expliqué plus tard à la police pourquoi il n'avait pas laissé CD entrer : il avait invité plusieurs hommes à la soirée, mais « ces derniers n'étaient pas arrivés, et quand l'homme s'est finalement pointé, j'étais en train d'étrangler Gordon ».

Cette nuit-là, l'agent Gordon Semple est arrivé en premier à l'appartement de Brizzi. Il avait 59 ans, était originaire de Inverness, en Ecosse, et vivait alors à Datford, dans le comté de Kent, en Angleterre. Il travaillait au sein de la Metropolitan Police depuis 30 ans. Il était en couple avec son partenaire Gary Meeks depuis 25 ans, et leur relation était tout ce qu'il y a de plus libre. De fait, il n'y avait rien d'inhabituel à ce que Semple contacte Brizzi sur Grindr ce vendredi, même s'il était encore en service. Brizzi était connu sur l'application sous le pseudonyme « Dom Se1 » et sa biographie était assez éloquente : « disponible pour des sessions chaudes et salaces ». Après l'invitation de Brizzi, Semple s'est précipité à son appartement. Il s'est retrouvé chez lui quelques heures avant l'arrivée de CD.
Entre temps, Brizzi et Semple ont envoyé d'autres messages à des utilisateurs de Grindr et Recon afin de les inviter à une soirée chemsex. À l'exception de CD, ils ont tous trouvé une autre activité. Brizzi a soutenu devant la cour que la mort de Semple par strangulation était un accident, un jeu de bondage qui avait dérapé. Cependant, il ne soutenait pas le même discours lorsque la police est arrivée à son appartement, après qu'un voisin s'est plaint d'une « odeur putride de mort ». Lorsqu'ils lui ont demandé d'expliquer les faits, il a simplement répondu : « Je l'ai tué la semaine dernière. Je l'ai rencontré sur Grindr la semaine dernière et je l'ai tué. Satan m'avait ordonné de le faire. »

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Une photo de Stefano Brizzi

Stefano Brizzi est né le 26 juin 1966, dans le petit village italien de San Marcello de Pistoiese, en Toscane. Il est le cadet d'une famille de trois enfants, né d'un père fonctionnaire et d'une mère employée dans un centre pour enfants. Les membres de sa famille étaient tous de fervents catholiques, et son oncle est même devenu prêtre.

Brizzi a compris qu'il était gay à l'âge de 15 ans. Il voyait bien que son orientation sexuelle ne pouvait pas se concilier avec les croyances catholiques strictes de sa famille. Un ami d'enfance a confié au journal italien Il Terreno : « Ce n'était pas facile de vivre en liberté sans être jugé sur son homosexualité. Stefano était un garçon très sensible et il ne parvenait pas à trouver la paix intérieure. Il était très tourmenté. »

Un autre de ses amis, Mauro Vaiani, a déclaré : « Comme de nombreux homosexuels, il a traversé beaucoup d'épreuves difficiles pour être accepté. »

Dès sa majorité, Brizzi a déménagé dans la grande ville la plus proche, Florence. Il a passé quelque temps sur place et y a travaillé comme programmeur informatique durant une dizaine d'années. En 2008, alors qu'il approchait de la quarantaine, on lui a diagnostiqué le virus du VIH et une hépatite C.

Pour lui, ce diagnostic médical était une véritable « condamnation à mort », mais le traitement reçu lui a permis de rester en bonne santé. En 2012, il a eu l'opportunité de déménager à Londres et d'occuper un emploi de développeur web payé 87 000 £ par an pour Morgan Stanley, une banque d'investissement. Son oncle révèlera plus tard au quotidien italien La Nazione que « Stefano a passé sa vie à étudier. Il a été diplômé à Florence et a commencé à travailler comme programmeur, mais il s'est plaint car ils ne le payaient pas assez. Il n'avait pas de perspective d'emploi et rêvait de voyager à l'étranger. Après l'obtention de son diplôme, il a déménagé à Londres. Il était très heureux d'avoir eu cette opportunité. »

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Brizzi est resté moins de trois ans chez Morgan Stanley. Après son emménagement à Londres, il s'est essayé à plusieurs drogues comme le GHB, la kétamine et la crystal meth. Son addiction à cette dernière était devenue si envahissante qu'on lui a demandé de quitter son emploi en février 2015. L'année suivante, il intégrait les Crystal Meth Anonymes et consultait un psychologue. Il a confié plus tard à la police qu'aucun de ces rendez-vous ne l'avait vraiment aidé. Les policiers ont retrouvé un exemplaire de la Bible satanique sur son ordinateur et un carnet rempli de notes adressées au Malin. « Le problème c'est que le psychologue dit que la crystal meth provoque des psychoses, expliquait Brizzi. J'ai été élevé au milieu de fervents catholiques. C'était l'enfer d'être gay. J'étais en Enfer, alors j'ai contacté Satan. »

Une photo de Stefano Brizzi

Quatre jours après la mort de Semple, le mardi 5 avril, Brizzi effectuait un petit trajet – de 240 pas exactement – entre Peabody Estate et un marchand spécialisé en outillage situé à Leyland, près de Southwark Street. Ce trajet dure environ trois minutes, un peu plus si vous transportez le même type d'équipements que Brizzi : soit une scie trois en un, une plaque métallique, des seaux en plastique, des bouteilles d'acide et des produits d'entretien.

Les caméras de surveillance ont capturé des images sur lesquelles on peut voir Brizzi enfoncer un seau sur sa tête, comme s'il cherchait à vérifier que ledit seau puisse réellement englober un crâne humain. Après le visionnage de cet extrait au tribunal, l'avocat Crispin Aylett a alors demandé à Brizzi s'il s'était inspiré de l'épisode de Breaking Bad où Jesse et Walt essayent de dissoudre un corps dans de l'acide fluorhydrique. « Vous savez que vous n'êtes pas dans un épisode de Breaking Bad ? », lui a demandé Aylett.

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« Je crois que j'ai agi de manière irrationnelle, a-t-il répliqué. Si j'avais pensé à tout ça – si j'avais un quelconque esprit criminel –, je me serais mieux organisé. J'ai pris ce que j'ai trouvé à portée de main, en me disant que ça pourrait sans doute le dissoudre. » Cependant, Brizzi avait pensé à d'autres méthodes pour se débarrasser du corps de Semple. La cour rapporte qu'il avait « débarrassé les os de la victime de leur chair, avant de la manger avec des baguettes. » L'ADN de Semple a également été retrouvé dans son four, sur des baguettes, sur une planche à découper et dans une casserole où des bouts de côte étaient encore présents. Un passant a également retrouvé l'un des pieds de Semple au sud de la Tamise.

Lorsque la police s'est présentée à l'appartement de Brizzi le jeudi, les officiers ont été saisis par l'odeur fétide du mélange entre les produits chimiques et la chair en putréfaction. Ils ont retrouvé Brizzi en sous-vêtements, entouré d'une pile de sacs poubelle contenant de la chair humaine, un pelvis, une main et un morceau de colonne vertébrale. Sa baignoire était remplie d'un liquide bleu-vert dans lequel baignaient de fines gouttelettes de gras. En réalité, il s'agissait d'une mixture composée de soude caustique et du sel contenant de l'acide fluorhydrique – mais Brizzi n'était pas parvenu à dissoudre le corps, car il avait été incapable de chauffer les produits chimiques à la température requise de 300 degrés.

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Après avoir affirmé aux officiers que Satan lui avait ordonné de tuer Semple, il a poursuivi : « J'ai parlé avec Satan, et il m'a dit de tuer, tuer, tuer, alors je me suis exécuté à la première opportunité. »

Comme l'a mentionné Aylett au tribunal : « L'officier lui a alors demandé s'il avait des problèmes mentaux. Le prévenu a affirmé avoir souffert de problèmes d'addiction à la crystal meth, mais n'a rien mentionné d'autre. »

À gauche : Stefano Brizzi, à droite : Gordon Semple. Photo via Metropolitan Police PA Wire/ PA Images

L'affaire a fini dans les tribunaux en octobre dernier. Brizzi a réfuté les accusations quant au meurtre de Semple, affirmant que sa mort résultait simplement d'un accident au cours d'un jeu sexuel. En revanche, il a plaidé coupable suite aux accusations d'obstruction au travail du médecin légiste en tentant de dissoudre le corps. Quelques semaines plus tard, le 13 novembre, il a été reconnu coupable des deux chefs d'accusations.

Il a été condamné à perpétuité, mais est décédé dans sa cellule à la prison de haute sécurité de Belmarsh le dimanche 5 février. Alors que certains médias britanniques évoquaient un suicide, le Service de la prison publiait un communiqué assez bref : « Le détenu Stefano Brizzi, incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh (né le 26/06/1966) est décédé en détention le dimanche 5 février. À l'image des autres détenus décédés lors d'une détention provisoire, une enquête sera menée par le Défenseur des droits des prisonniers. »
L'enquête pourrait prendre jusqu'à 22 semaines, mais les résultats ne seront pas divulgués avant la fin de l'enquête criminelle, réalisée par le coroner du sud d'Inner London. En règle générale, les enquêteurs sur les morts en milieu carcéral peuvent attendre un an avant de dévoiler leurs conclusions.

Peu de temps après la condamnation de Brizzi, le tueur en série Stephen Port a lui aussi été condamné à mort, à la suite d'une série de meurtres perpétrés sur des hommes qu'il avait rencontrés sur Grindr.

La proximité temporelle des deux affaires a conduit les tabloids à établir un lien entre ces crimes affreux et les applications de rencontres. Toutefois, Monty Moncrieff, directeur général de London Friend – une association pour la santé et le bien-être des membres de la communauté LGBTQ à Londres – a révélé au Guardian : « Les applications n'ont été qu'un medium qui leur a permis de faciliter leur rencontre. L'intention de tuer était présente bien avant. Il n'a pas commis cet acte atroce à cause des applications ; elles ne sont pas à l'origine de son meurtre. »

Les effets de la crystal meth ne sont pas non plus totalement responsables du comportement de Brizzi. À ce propos, London Friend affirmait : « Le cas présent est extrêmement rare et complexe, mais l'impact de la crystal meth sur nos patients n'est jamais aussi excessif. Nous leur répétons sans cesse de demander de l'aide aussi vite que possible lorsqu'ils ont des problèmes d'addiction à la crystal meth, la drogue ou l'alcool.

Les membres de London Friend proposent une aide à toutes les personnes désireuses de stopper ou réguler leur consommation de drogues lors des soirées chemsex. Ils ajoutent : « De toute façon, la mort de l'agent Semple n'aurait jamais pu être prédite. » Ils offrent également des conseils pour utiliser les applications de rencontres en toute sécurité.

Kevin EG Perry est sur Twitter.