Depuis le début de l’année, les criquets pèlerins ont ravagé de vastes étendues de terres agricoles et de plantes fourragères en Afrique de l’Est, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Ouest et en Afrique de l’Ouest. Cette épidémie, l’une des plus graves depuis des décennies, met en péril les moyens de subsistance de millions de personnes. Et les scientifiques mettent en garde : à cause du changement climatique, ces épidémies ne feront que s’aggraver à l’avenir, à mesure que des phénomènes météorologiques extrêmes continueront à se produire dans toutes les régions.
En novembre 2019, Djibouti a connu l’équivalent de deux années de pluie en un seul jour. Le niveau d’eau du lac Victoria, le plus grand lac d’Afrique, n’avait pas été aussi élevé depuis des décennies. Pendant ce temps, la région du Kilimandjaro, à la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, vient de connaître l’année la plus humide depuis quatre décennies. Ces conditions sont parfaites pour l’infestation.
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D’année en année, la partie occidentale de l’océan Indien se réchauffe par rapport à la partie orientale – un phénomène connu sous le nom de dipôle de l’océan Indien (DOI) – ce qui crée à la fois des périodes de longue sécheresse et de fortes précipitations en Afrique de l’Est.
« La chaleur provenant de l’émission de gaz à effet de serre est stockée dans l’océan et provoque son réchauffement, explique le climatologue Abubakr Salih Babiker. La partie occidentale de l’océan Indien, celle qui touche la région de l’Afrique de l’Est, connaît le réchauffement le plus rapide de ces cent dernières années. »
Le criquet pèlerin est le ravageur migrateur le plus destructeur au monde. Il a la capacité de modifier son comportement et de migrer sur de grandes distances. Un essaim compte entre 40 et 80 millions de criquets adultes par kilomètre carré et parcourt jusqu’à 150 kilomètres par jour. Quarante millions de criquets mangent la même quantité de nourriture en une journée qu’environ 35 000 personnes.
La température de surface de la mer (TSM) dans l’océan Indien occidental a augmenté de 1,2 degré centigrade au cours du siècle dernier, ce qui est supérieur à la moyenne mondiale, qui est légèrement inférieure à 1 degré centigrade. À ce rythme, les invasions de criquets pèlerins observées cette année deviendront plus fréquentes, entraînant avec elles des maladies et d’autres nuisibles. Une augmentation de la température des eaux océaniques près de la côte de l’Afrique de l’Est entraînera également une augmentation du nombre de cyclones et de précipitations.
En 2019, on a enregistré un record de huit cyclones dans l’océan Indien. Les fortes pluies provoquées par le cyclone Mekunu ont créé des lacs désertiques dans la région du « Quart Vide » en Arabie saoudite. C’est là que les criquets pèlerins pondent leurs œufs et se nourrissent de la végétation verte. Les cyclones successifs qui ont apporté de fortes pluies dans la Corne de l’Afrique ont créé des terrains propices pour que ces criquets puissent prospérer.
En avril de cette année, plus de 500 000 hectares de cultures, notamment de sorgho et de maïs, ont été endommagés en Éthiopie, plongeant plus d’un million de personnes dans le besoin d’une aide alimentaire. Le Pakistan a déclaré l’urgence nationale pour lutter contre les ravageurs après que les criquets ont dévoré les cultures de blé et de coton avant de passer en Inde, tandis que la Somalie a également déclaré l’urgence nationale suite à leur invasion.
Les criquets ont également causé d’immenses dégâts au Soudan, au Soudan du Sud, à Djibouti et en Érythrée. L’Ouganda, la Tanzanie et la République démocratique du Congo ont également des difficultés à gérer les essaims. Les habitants d’Éthiopie, de Somalie et du Kenya ont essayé de lutter contre les parasites en allumant des feux, en cognant des bouteilles en plastique, en klaxonnant leurs voitures et en criant, en vain. L’invasion devrait maintenant se poursuivre jusqu’en octobre, car certaines parties de la Somalie, du Soudan et du Yémen ont été touchées par des précipitations deux fois plus importantes que la normale en août et septembre.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture dit avoir besoin de 153 millions de dollars pour répondre aux besoins des huit pays d’Afrique orientale touchés cette année, où 20,2 millions de personnes sont déjà confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.
Si les conditions se détériorent en Afrique de l’Est, les parasites continueront à migrer vers la région du Sahel, déjà en proie à l’insécurité alimentaire, à la recherche de pâturages verts. La dernière fois que le Sahel a été touché par une invasion de criquets, c’était entre 2003 et 2005 ; plus de 8 millions de personnes ont été touchées par de graves pénuries alimentaires et l’équivalent de 2,5 milliards de dollars de récoltes a été détruit.
En mars 2020, on estimait à 17,2 millions le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest ; une invasion de criquets pèlerins augmenterait considérablement ce nombre.
« Le climat oscille entre des extrêmes de sécheresse et d’humidité, et ces conditions devraient se poursuivre à l’avenir, explique Babiker. L’information et la connaissance sont indispensables pour prévenir l’impact de ces événements exceptionnels. »
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