Crime

Le crime parfait du métro parisien jamais élucidé

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Entre 20 et 30 personnes décèdent chaque année dans le métro parisien, ce qui représente plusieurs milliers de morts depuis que les premières lignes sont entrées en service en 1905. Les causes sont diverses : suicides, accidents ou encore arrêts cardio-respiratoires. Les homicides sont quant à eux beaucoup plus rares. Le tout premier d’entre eux s’est révélé être, à l’époque des faits, un chef d’œuvre du genre. L’assassin n’a jamais être pu appréhendé et la police, malgré une enquête approfondie qui a duré plus de deux ans, n’a même pas eu l’ombre d’un suspect à se mettre sous la dent. Aucun indice et aucun témoin. Toutes les pistes ouvertes par les enquêteurs se sont rapidement refermées. Et les circonstances dans lesquelles l’acte s’est déroulé laissent perplexe, même aujourd’hui.

Il est précisément 18h27, le dimanche 16 mai 1937, quand un médecin militaire pénètre dans un wagon de première classe de la rame 382, circulant sur la ligne 8, qui vient de s’arrêter à la station Porte Dorée. Pas un voyageur, sauf une belle jeune femme rousse vêtue d’une robe verte, qui semble assoupie sur son siège, la tête baissée sous son chapeau blanc. Le métro repart mais, à la première secousse, la jeune femme tombe à terre dans une marre de sang. Un couteau Laguiole est profondément enfoncé dans son cou. Inconsciente, elle est évacuée sur un brancard et décède quelques minutes plus tard.

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France-Soir
France-Soir, édition du 18 mai 1937.

Alertée, la police arrive très rapidement sur les lieux. Le commissaire Badin, en charge de l’enquête, fait les premières constatations. Le coup de couteau a été si violent qu’il a pratiquement sectionné la moelle épinière. La victime ne s’est pas défendue, aucune trace de lutte n’est visible. Elle a encore tous ses effets personnels sur elle, et notamment son porte-monnaie et ses bijoux. Ce n’est donc pas un crime crapuleux. Rien n’indique par ailleurs qu’il y ait eu agression sexuelle. Interrogés, les témoins présents à la station Porte Dorée affirment qu’ils n’ont vu personne sortir du wagon. La victime était donc seule à bord lorsqu’elle a été tuée.

« Paris à cette époque est une sorte de champ clos où les fanatiques de tous bords réglaient leurs comptes sanglants en faisant appel à des exécuteurs » – Christian di Scipio, auteur du Crime du métro

Ses papiers d’identité fournissent de précieuses informations : il s’agit de Laetitia Toureaux, 29 ans, ouvrière dans une usine de cirage à Saint-Ouen, née Nourrissat en 1907 à Oyace en Italie, domiciliée dans le 20ème arrondissement. Et veuve depuis peu. Les enquêteurs remontent le fil des événements. Vers 18 heures, Laetitia Toureaux est aperçue quittant le bal de l’Ermittage à Charenton. Elle monte dans un bus. Le conducteur affirmera l’avoir vu s’engouffrer dans le métro Porte de Charenton à 18h20.

Dès lors, tout semble indiquer qu’elle a été tuée lorsque la rame roulait jusqu’à Porte Dorée, en l’espace d’une seule station, soit dans un laps de temps de moins de deux minutes. L’assassin a été particulièrement rapide et, plus fort encore, il a réussi à quitter la rame avant que celle-ci n’arrive à quai et sans qu’aucun témoin ne le remarque. L’enquête s’annonce difficile. « À aucun moment, dans les heures qui précèdent la minute fatale, on ne retrouve dans sa vie, dans ses gestes, cet élément de trouble, ce ressort qui pourrait déclencher le meurtre, ce que les policiers appellent l’élément criminel », peut-on lire à l’époque dans Paris-Soir. Les policiers ne sont cependant pas au bout de leurs surprises.

Photo by Apic/Getty Images
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Menant leurs investigations tambour battant, ils se rendent compte que Laetitia Toureaux était bien plus qu’une simple ouvrière. Elle menait plusieurs vies en parallèle. D’origine italienne, mais française depuis son mariage avec Jules Toureaux, un potier mort de la tuberculose en 1935, elle se rendait plusieurs fois par mois à l’ambassade d’Italie, en prenant soin que personne ne le sache.

Dans les années 30, de nombreux dissidents hostiles au régime fasciste de Mussolini sont installés en France, notamment à Paris, et ceux-ci sont surveillés par des informateurs mandatés par le « Duce ». Lætitia Toureaux serait-elle une espionne, assassinée par un compatriote après dénonciation ? C’est une vraie possibilité.

Selon le chroniqueur Christian di Scipio, qui a publié Le crime du métro, un des rares livres sur cette affaire : « Paris à cette époque est une sorte de champ clos où les fanatiques de tous bords réglaient leurs comptes sanglants en faisant appel à des exécuteurs ». Bien que séduisante, cette piste s’éteint vite quand les policiers réalisent que son rôle d’agent double était resté parfaitement secret.

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Laetitia Toureaux à son mariage. Photo by Apic/Getty Images

Le mystère s’épaissit un peu plus lorsqu’ils découvrent que Lætitia Toureaux travaillait parfois, sous un faux nom, en tant qu’enquêtrice privée pour l’agence de détectives Ruffi, et sur des dossiers réputés sensibles. Après vérification, cette piste ne mènera également nulle part. Paris-Soir révèle que « Laetitia Toureaux a été employée de juin à novembre 1936 pour faire six filatures sans grande importance sur des personnes soupçonnées d’infidélités. »

La police abat sa dernière carte en interrogeant ses amants. Là encore, la vie de l’ouvrière est loin d’être lisse. Elle entretenait des relations intimes avec deux agents du Deuxième Bureau, les services de renseignement de l’armée française, dont un était en poste sur la ligne Maginot. Mais une nouvelle fois, les enquêteurs font chou blanc. Après avoir épluché toutes les possibilités, le meurtre de Laetitita Toureaux n’a pu être rattaché à aucun suspect. La Seconde Guerre mondiale, qui éclate en 1939, mettra un terme à deux ans d’enquêtes infructueuses.

Ultime rebondissement, une étrange missive arrive en 1962 sur le bureau du commissaire Max Fernet, directeur de la police judiciaire parisienne. Un inconnu, originaire de Perpignan et se disant médecin, déclare être le meurtrier. Amoureux éconduit, il avait décidé de se venger. Il livre des détails : « Elle s’installa en première, je montai juste derrière elle. Je sortis mon couteau et lui plongeai dans la gorge. Elle n’eut pas le temps de pousser un cri. Je recalai le corps qui avait basculé et descendis rapidement pour remonter en deuxième classe, dans la voiture suivante. » – comme le rapporte Le Monde dans un article publié en 1962. Ces aveux tardifs – véritables ou inventés – resteront sans suite. Les faits étant prescrits depuis longtemps, le dossier ne sera pas rouvert. En 2020, on ne sait toujours pas qui a tué Laetitia Toureaux en 1937, entre les stations Porte de Charenton et Porte Dorée.

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