Le filleul d’El Chapo s’est rendu aux autorités américaines – sans doute pour le charger

Les narcotrafiquants mexicains se rendent rarement de leur plein gré aux autorités américaines. C’est pourtant ce qu’a fait Dámaso López Serrano, le filleul de Joaquín « El Chapo » Guzmán, après avoir traversé la frontière à Calexico (Californie), ce mercredi matin.

Le gouvernement américain n’a pas fait de commentaire sur son arrestation, ni précisé quelles accusations pesaient sur lui. Mais selon des analystes du monde des narcos, le timing de sa reddition n’est pas totalement surprenant.

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López Serrano s’est rendu trois mois après l’arrestation de son père, Dámaso López Nuñez, et au beau milieu d’une série de défaites pour le père et le fils, qui cherchaient à reprendre aux fils Guzmán l’empire d’El Chapo. Se retrouvant particulièrement isolé après l’arrestation de son père, les analystes pensent que López Serrano a passé un accord avec les procureurs qui s’occupent du cas de son parrain, dont le procès se tiendra en avril prochain à New York.

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Surnommé « Mini Lic », López Serrano est connu de partout au Mexique. L’extravagant playboy était à la tête d’un groupe de jeunes assassins du cartel – l’ « Anthrax squad » – et postait ses animaux exotiques et ses armes plaquées or sur Instagram. Mini Lic est aussi la star d’une narcocorrido (une chanson mexicaine à la gloire des narcos), qui cumule 213 millions de vues sur YouTube.

Son père, surnommé « El Licenciado », était le bras droit de Guzman avant que le boss du cartel de Sinaloa se fasse attraper l’année dernière et soit extradé vers les États-Unis en janvier. Sentant la bonne affaire, le père et le fils ont trahi leur ancien boss et ont essayé de récupérer son empire.

Ils ont été accusés d’avoir brièvement enlevé Ivan et Alfredo, les fils d’El Chapo, et de les avoir conduit droit dans une embuscade en février. Mais López Nuñez a fait une erreur quand il a fait appel à un informateur du gouvernement pour lancer un cyber-attaque contre les frères Guzmán, ce qui a mené à son arrestation en mai. Mini Lic se retrouvait donc seul contre le clan Guzmán.

Le taux d’homicide du Mexique bat actuellement des records, alors que les deux factions ont fait de l’État de Sinaloa leur champ de bataille.

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Il y a quelques semaines, les frères Guzmán – surnommés « Los Chapitos » – auraient mis le feu aux propriétés de López Serrano dans le Sinaloa, expliquant sa fuite vers la ville frontalière de Mexicali, en Basse-Californie. C’est d’ici qu’il a traversé la frontière avant de se rendre aux agents des douanes américaines.

Dans la presse mexicaine, on se demande si López Serrano ou son père – plus influent et expérimenté – aurait négocié sa reddition afin de protéger le jeune homme.

« Aucun narco mexicain ne se rend volontairement au gouvernement américain sans avoir négocié les termes de cette reddition, » assure Alejandro Hope, un expert reconnu du monde des cartels.

Le docteur Jesús Pérez, un chercheur spécialiste des narcos, dit que López Serrano va probablement fournir des informations pour appuyer les accusations pesant sur El Chapo. Il pourrait même témoigner lors de son procès, afin d’obtenir une remise de peine ou le statut de témoin protégé.

« Le gouvernement américain est focalisé sur la condamnation d’El Chapo. Ils veulent toutes les informations possibles pour s’assurer une lourde peine et le démantèlement de son organisation criminelle, » a dit Pérez. « Pour les autorités américaines, El Chapo est beaucoup plus important que López Serrano. »

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Si Los Chapitos ont apparement vaincu leurs plus proches rivaux, les analystes estiment qu’au cours des prochains mois, les violences vont se poursuivre dans le Sinaloa. D’opportunistes organisations rivales, comme le Cartel de la Nouvelle Génération du Jalisco (CJNG) ou l’organisation des Beltrán Leyva, comptent toujours récupérer le contrôle de la région.

Les mois de mai et de juin ont été marqués par un nombre record d’homicides. Cela faisait 20 ans que le Mexique n’avait pas connu telle hécatombe, si bien que l’année 2017 pourrait devenir l’année la plus meurtrière de l’histoire récente du Mexique. Plus de 200 000 personnes ont été tuées ou ont disparu depuis que le gouvernement a déclaré la guerre aux cartels en 2006.

Si López Serrano coopère avec les États-Unis, Pérez craint un redoublement des violences dans le Sinaloa. « Quand Osiel Cárdenas a été extradé vers les États-Unis [en 2007], il a fourni toute la structure du cartel du Golfe et notamment celle de sa branche armée, les Zetas, » rappelle Pérez. « Cela a provoqué une vague de violences des Zetas, ce qui a gravement affaibli le cartel du Golfe. »

Difficile de savoir ce qui va se passer dans le Sinaloa, mais Pérez estime qu’il serait prématuré pour les frères Guzman de déclarer leur victoire.

« Les fils d’El Chapo semblent l’avoir emporté, » note Pérez, « mais leur avantage pourrait devenir une faiblesse si López et son père fournissent à la DEA des informations sur la structure du cartel. »

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Duncan Tucker est un journaliste free-lance installé au Mexique.