Le Folamour du Docteur Teller

Edward Teller, le père de la bombe à hydrogène, éprouvait une attirance particulière pour les explosifs nucléaires. Il les voulait plus puissants, plus miniaturisés, et en plus grand nombre. Ce scientifique a essuyé le feu des critiques, plus que quiconque au XXe siècle, et les évacuait en arguant d’un manque évident de patriotisme.

En pleine paranoïa de la Guerre froide, les enjeux étaient importants : pour le monde libre, créer l’arme la plus puissante jamais élaborée était une question de vie et de mort horrible. Pour convaincre, Teller rappelait qu’il était un émigré juif hongrois ayant expérimenté la tyrannie, celle des communistes, puis celle des fascistes dans les années 1930. Ses cicatrices n’étaient pas que psychiques : Teller, enfant, s’était fait renverser par une voiture, ce qui le rendit boiteux pour le reste de sa vie, et ne fit qu’ajouter au côté « scientifique fou » de son personnage – celui qui inspira le Docteur Folamour de Stanley Kubrick.

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Teller a lui-même contribué à devenir un paria au sein de la communauté scientifique : il a toujours nié que Stanislaw Ulam eût quoi que ce soit à voir avec l’invention de la bombe à hydrogène, et s’en est pris à l’intégrité politique de Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique qui doutait du besoin d’une bombe encore plus puissante. Le Prix Nobel de physique, Isidore I. Rabi, a même un jour déclaré que « Le monde aurait été meilleur sans Teller ».

Mais malgré sa personnalité à problèmes, Teller n’était pas un va-t-en-guerre obstiné (même si ses excès de zèle ont conduit, avant 1951, à ce que les États-Unis fassent une douzaine d’essais nucléaires) qui voulait tuer des milliers de gens d’un coup : selon lui, la bombe H interdirait purement et simplement la possibilité d’une guerre nucléaire, à tout jamais. Mille fois plus puissante que la bombe A balancée sur Hiroshima, la bombe de Teller était peut-être la seule invention dont l’utilisation était automatiquement condamnée à l’obsolescence. En outre, Teller l’a souvent rappelé, surtout vers la fin de sa vie : un scientifique ne peut être tenu responsable de l’usage qui est fait de ses découvertes.