Dans le monde du soccer, il n’y a pas beaucoup de unes qui font autant grogner que celles racontant que ce sport commence enfin à percer aux États-Unis. Après tout, il y a plusieurs façon de définir ”percer.” Si, comme moi, tu fais partie des millions de gosses qui ont grandi dans les années 80 à jouer dans l’AYSO (American Youth Soccer Organization), et/ou que tu viens d’une des communautés latino du pays, alors ça fait bien longtemps que le foot a percé. Mais si tu es une marque ou un club qui cherche à “se connecter” à un large groupe de clients ou de supporters, le terme percer a un sens un peu différent. L’intérêt pour le foot s’est fortement accru lors des deux dernières décennies, mais l’investissement en termes d’argent et de visibilité était à la traîne – du moins chez les Américains anglophones disposant de revenus importants.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La place du football au sein des sports traditionnels américains est aujourd’hui indéniable. Il est vrai que la MLS n’attire pas d’audiences télé incroyables, mais, comme l’a récemment fait remarquer The Economist, c’est en termes de direct un plus gros succès que la NBA ou la NHL. D’anciens détracteurs du foot en parlent aujourd’hui comme n’importe quel autre sport. En 2012, un sondage ESPN a montré que le foot était le deuxième sport favori des Américains âgés de 12 à 24 ans, point barre, sans distinction de classe sociale ou d’origine ethnique. Et quatre ans plus tard, beaucoup de ces fans sont aujourd’hui des adultes travaillant dans la plus grosse économie mondiale, et ils dédient leur attention et leur argent au football.
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« On peut regarder le foot toute la journée, et c’est ce que ma femme pense que je fais, explique Brian Quarles, directeur exécutif de création chez rEvolution, une société de marketing sportif basée Chicago qui entretient des liens étroits avec la MLS et le football aux États-Unis. Mais c’est assez fou. Vraiment. On a fait le calcul une fois. Il y a plus de matches diffusés aux US que n’importe où ailleurs dans le monde. »
« Il faut savoir quand ont lieu ces matches, continue Quarles, comment les trouver, et pourquoi s’y intéresser. »
Bizarrement, en dehors de quelques grosses équipes, il y a peu de clubs européens qui semblent vouloir se vendre aux fans américains, ou en tout cas qui y parviennent.
Intéressons-nous à la Bundesliga. Alors que la Fox s’apprêtait à diffuser les matches aux Etats-Unis la saison dernière, la ligue allemande a commencé à booster sa présence anglophone sur le web. En termes de contenu, elle a fait du bon boulot. La version anglaise du site de la ligue est souvent mise à jour avec des histoires et des analyses, et sa chaîne YouTube est bien remplie de résumés de matches et de vidéos sympas.
Par contre si l’on regarde comment les clubs de Bundesliga se sont individuellement investis dans le monde anglophone, la situation n’est pas la même. Sans regarder leurs budgets, puisque c’est assez difficile à mesurer, intéressons-nous à leur communication Twitter.
Seulement trois équipes de Bundesliga étaient présentes en anglais sur Twitter – soit la forme la plus basique de rayonnement international – avant 2014. Plus étonnant, aujourd’hui, encore trois des 18 clubs n’ont toujours pas de Twitter officiel en anglais.
Le Bayern Munich et le Borussia Dortmund sont les clubs les plus suivis, ce qui n’est pas une surprise. Ce sont les plus gros et les plus brillants clubs de Bundesliga. Au-delà de ces deux-là, il ne semble pas exister de lien entre la taille du club et son nombre de followers anglophones sur Twitter. Les succès récents de certains clubs ne semblent pas compter beaucoup non plus.
Schalke, Leverkusen, Wolfsburg et Mönchengladbach sont tous des clubs très médiatisés, auteurs de bonnes performances en Ligue des champions. L’Eintracht Francfort et le Hertha Berlin représentent tous deux d’immenses régions métropolitaines avec un fort taux de population étrangère où l’anglais est officieusement la seconde langue. Pourtant, aucun de ces clubs n’a d’importants groupes de followers anglophones.
Ils pourraient tous faire clairement mieux, mais il ne s’agit pas seulement de tweeter tous les matches en direct en espérant que des gens se mettent à les suivre. Il s’agit de fidéliser les supporters, et de donner une personnalité au club qui l’aidera à se démarquer des autres. En somme, il s’agit de faire du marketing.
Ça ne veut pas dire que les clubs européens ne font pas de marketing du tout. Red Bull et la société mère qui détient Manchester City sont tous deux propriétaires d’équipes de MLS, ce qui leur permet de facto d’avoir une présence aux Etats-Unis. De manière plus traditionnelle, les équipementiers comme Nike, Adidas et Under Armor promeuvent les clubs avec lesquels ils travaillent.
Et puis il y a les tournées d’été, aujourd’hui largement répandues, au cours desquelles des équipes européennes disputent des matches amicaux à travers tous les États-Unis. Mais même ces tournées, qui à l’époque avaient ce côté magique – « Mon Dieu, le Real Madrid vient jouer ?! » – perdent aujourd’hui de leur attraction.
Le ”Messi and Friends Tour” en 2013, pour lequel les fans devaient acheter des tickets à un prix exorbitant pour voir jouer le petit magicien, est à ce jour l’exemple le plus choquant. Messi lui-même ne s’est pas pointé à quelques-uns de ses rendez-vous, et il a parfois été nécessaire que son équipe recrute des joueurs universitaires locaux pour boucher les trous. Mais même dans le meilleur des cas, les joueurs sur le terrain pendant ces matches de pré-saison sont un mélange de stars et de joueurs de seconde zone. Et ils jouent tous à 80% de leur intensité normale.
Un truc important que devraient faire les clubs serait d’installer une présence concrète et durable aux États-Unis, de travailler sur le genre de partenariats et de contrats qui peuvent aider à les faire sortir du lot. Bien que beaucoup de clubs européens travaillent avec des compagnies américaines, il n’y a jusqu’à présent que Barcelone et le Bayern Munich qui se sont établis aux États-Unis. Le Bayern a ouvert un bureau à New York en 2014 ; le Barça a quant à lui ouvert le sien en septembre 2016.
Manel Arroyo, directeur de la communication et du marketing du Barça, m’a affirmé que la décision de venir s’exporter à temps complet en Amérique était évidente. « Ce n’est pas un secret, ce n’est pas confidentiel, a-t-il dit. Les chiffres du marché du football connaissent une croissance exponentielle aux États-Unis. On parle clairement du plus gros marché de la planète. On doit y être présent. Et d’un autre côté, le marché fait appel à nous de différentes manières, à travers les fans, à travers nos followers des réseaux sociaux, à travers les sponsors avec qui on discute de la possibilité de travailler ensemble. »
Les cadres du Bayern Munich n’étaient pas disponibles immédiatement pour une interview, mais le travail du club sur le marché américain parle de lui-même. En 2014, il y avait 8 fan-clubs du Bayern outre-Atlantique. Aujourd’hui il y en a plus de 100. La récente vidéo de l’équipe où l’on voit Odell Beckham Jr. (joueur de football américain) taper dans le ballon avec plusieurs des stars de l’équipe du Bayern est un bon exemple de l’intérêt du club pour les fans américains. La vidéo a été produite en collaboration avec la NFL.
Le Barça connaît aussi un certain succès aux Etats-Unis. Selon Arroyo, le club a déjà signé un contrat de sponsoring avec huit entreprises américaines. Arno Trabesinger, le directeur de l’opération US de Barcelone m’a révélé que le club travaille sur des projets visant à augmenter sa visibilité aux États-Unis, dont, notamment, une possible équipe de futsal. Il y a également des rumeurs qui disent que le club serait intéressé par une franchise NWSL (National Women Soccer League). « Nous en sommes encore au stade des discussions préliminaires », explique Trabesinger à propos d’une possible équipe féminine de Barça aux Etats-Unis, mais c’est encore trop tôt [pour dire quoi que ce soit de définitif]. Mais il est fondamental pour nous de participer aux sports féminins dans ce pays. »
Barcelone et le Bayern sont évidemment deux des plus gros clubs du monde. Ils ont des budgets marketing plus gros que presque tout le monde. Ils ont également déjà une réputation. Mais il n’y a pas besoin d’avoir un bureau à Manhattan et une grosse équipe pour s’exporter aux États-Unis. Un mec qui bosse dans son bunker dans le fin-fond du Bronx et qui loue une salle de conférence aura également de l’impact. Alors à quand l’arrivée d’un club moyen, avec un plus petit budget mais avec beaucoup plus à gagner d’une exportation précoce et réussie outre-Atlantique ?
Pour revenir à la Bundesliga, des équipes allemandes comme Leverkusen, Wolfsburg et Gladbach se qualifient régulièrement pour la Ligue des champions dont les matches sont suivis par des millions de téléspectateurs, mais en Allemagne ils ont globalement atteint le maximum de supporters qu’ils pourront avoir. Wolfsburg et Leverkusen, tous deux détenus par des entreprises et non par leurs fans, ont un désavantage particulier quand il s’agit d’attirer des fans allemands car ils sont plus vus comme de simple pions de l’entreprise propriétaire.
Mais ces mêmes contraintes, dues à la culture locale et à la taille du marché, n’existent pas aux États-Unis. Beaucoup d’Américains se fichent de savoir si votre club vient d’une petite ou d’une grande ville et s’il est détenu par une entreprise ou par les locaux. Ce qui les intéresse, c’est ce qui se passe sur le terrain, et ce que le club représente pour eux. C’est une opportunité en or. Et c’est aux clubs européens de raconter et de vendre leurs propres histoires. D’après Quarles, la clé est de traiter les Américains comme les fans instruits et expérimentés qu’ils sont déjà.
Y a-t-il moyen de s’améliorer ? D’après Quarles, la réponse est simple : « Oui, carrément. »