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Le footballeur globe-trotter passé de Tottenham à Hong Kong via la Moldavie

Rohan Ricketts n’aurait jamais cru devenir footballeur de haut niveau et jouer contre des superstars comme Roy Keane ou Paul Scholes.

Il y a plus de dix ans, il a joué avec Tottenham devant 68 000 supporters à Old Trafford, le stade légendaire de Manchester United, pour ce qui reste aujourd’hui le match favori de sa carrière.

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La rencontre s’est achevée sur un score nul et vierge, et Ricketts, produit du prolifiquecentre de formation d’Arsenal, a été remplacé lors des dernières secondes. Peu après, il a été prêté aux Wolves de Wolverhampton et ne rejouera plus jamais pour les Spurs.

Au lieu de ça, il jouera à peu près partout ailleurs dans le monde. L’espace d’un instant, Ricketts, aujourd’hui âgé de 33 ans, imagine ce qui se serait passé si quelqu’un était venu du futur pour lui annoncer le déroulement de sa vie dans les prochaines années – pour lui annoncer, comme lui le dit à moitié en plaisantant, qu’il « allait se faire baiser ».

« Je me serais probablement dit “C’est un cauchemar”, explique-t-il. Je jouais pour les Spurs, j’avais des amis et un bel appartement dans l’Essex, tout ce qu’il fallait. Je jouais dans l’équipe d’Angleterre des moins de 21 ans et j’étais à deux doigts d’être sélectionné en équipe senior. Si on m’avait dit à l’époque que je finirais par jouer à Goa ou dans d’autres endroits, j’aurais probablement dit que c’était des conneries. »

Par « d’autres endroits », il fait référence à la formidable liste de pays dans lesquels il a joué depuis son passage à Tottenham : Canada, Moldavie, Allemagne, Irlande, Inde, Équateur, Thaïlande et Hongkong, en plus de quelques essais en Écosse et en Belgique.

En repensant à ce match à Old Trafford, le trentenaire dit que c’est son préféré « parce que j’ai joué la totalité du match, j’étais en feu. » Il marque une pause avant d’ajouter : « Et aujourd’hui je suis dans un Starbucks à Hong Kong en train de manger un chausson aux pommes ! »

Il était à Hong Kong parce qu’il avait récemment signé à l’Easter SC dont la saison s’était essoufflée après avoir fait figure de favori dans la course au titre de l’HK Premier League. Aujourd’hui il n’est plus sous contrat et recherche un club, sans avoir où il devra vivre plus tard.

Ricketts sous les couleurs du Toronto F.C. Photo USA Today

« Mais je suis serein », dit-il à propos de sa recherche constante d’un nouveau contrat. C’est la façon dont il gère sa carrière depuis une décennie, et ça lui a donné un bon aperçu de la face cachée du marché du travail dans le football international, que peu de joueurs connaissent. Il en fait une description qui se rapproche du cliché des acteurs qui se rendent à Hollywood, les doigts croisés, en espérant percer.

« En Thaïlande, il y a énormément de joueurs du monde entier. Ils sont beaucoup à se retrouver au même endroit à attendre l’opportunité de signer dans un club. Il y a tellement de joueurs libres, il n’y a pas assez de places pour tous les accueillir. Il y a tous ces joueurs, comme ces Allemands qui ont joué en Bundesliga et qui doivent maintenant descendre de deux divisions. Du coup ils vont en Asie, mais il n’y a pas assez de places à cause des quotas [de joueurs locaux]. »

« C’est rude parce que c’est leur vie maintenant. C’est tout ce qu’ils connaissent, c’est un rêve qu’ils ont presque réalisé, ils y ont goûté. Et puis les agents nous mentent, les gars paient les agents 400 euros rien que pour être mis à l’essai. J’ai un pote qui n’a rien à voir avec Guam mais qui a un passeport de Guam (une île située dans l’océan Pacifique, ndlr), parce qu’il veut être asiatique pour pouvoir s’affranchir de cette histoire de quotas. Il y en a beaucoup qui essaient de changer leur passeport, qui cherchent la faille. »

Ce qui pourrait sembler être un petit tour du monde gratuit et sympathique ne l’est en fait pas du tout. Ricketts a souffert du fait de ne pas être payé à temps, de signer des contrats qui n’étaient pas ce qu’ils semblaient être. Il décrit la Moldavie comme un « cauchemar », l’Inde comme un « mini- cauchemar ». Quant à la Hongrie, il dit : « J’ai eu trois entraîneurs différents en trois mois. On ne m’a pas payé tous mes salaires. Je vivais dans un trou à rats. »

À propos de ses récents passages dans le sud-est de l’Asie, Ricketts dit : « Le niveau technique est acceptable. Physiquement, il n’y a pas grand-chose, en tout cas par rapport à ce à quoi j’étais habitué. Mais c’est parfois préférable pour moi puisque je suis un peu plus vieux maintenant et les choses sont un peu plus calmes. J’ai joué dans des pays comme l’Inde, la Thaïlande – c’est différent en Equateur parce que c’est très intense – mais [dans les pays asiatiques], le niveau d’intensité et la mentalité sont complètement différents. C’est parce que le football n’est pas un sport qu’ils pratiquent depuis l’âge d’un ou deux ans. Faire le tour du monde n’a jamais été une décision consciente. C’est plus la conséquence d’une série de choix que j’ai fait dans mon intérêt, sportif et financier ». En plus de décorer son passeport et de lui permettre d’apprendre des insultes dans de multiples langues, les voyages lui ont apporté d’autres bienfaits : il a rencontré sa copine à Toronto et a appris l’espagnol en Équateur.

Ricketts pense que ça a été plus avantageux financièrement que ça l’aurait été de rester au Royaume-Uni. « Parce qu’il y a plus de taxes en Angleterre, dit-il. Donc quand on te dit que tu gagnes cinq mille par semaine, il faut pas compter sur cinq mille net. Et puis ensuite il faut payer sa maison, sa licence TV, ses factures perso, la voiture. Dans les endroits où je suis allé, tout ça c’était gratuit. Et j’ai vécu dans des pays où la vie était bon marché. Donc je pense que globalement je m’en suis mieux tiré. »

Rohan Ricketts montre comment on fait à de jeunes footballeurs. EPA.

Mais la vraie raison pour laquelle l’Anglais, né à Stockwell dans le sud de Londres, a abandonné les championnats de son pays est liée au football. Celui qui se décrit comme un milieu de terrain technique, créatif et bosseur ne se sent clairement pas le bienvenu dans la structure footballistique anglaise plutôt conservatrice et parfois très défensive.

Il déclare : « Certains entraîneurs ne savent pas comment m’intégrer à leur système. Pour eux, ma façon de jouer est un luxe. Beaucoup de joueurs comme moi, des joueurs techniques, sont considérés comme un luxe parce que le football anglais ne fonctionne pas comme ça. Alors un gars comme Josh McEachran, il est où ? Tout le monde parle de lui. Il ne va jamais jouer à Chelsea. Jack Wilshere – chanceux d’avoir trouvé sa place à Arsenal parce qu’il peut jouer dans son style. Mais s’il n’était pas là-bas, il ne pourrait jouer nulle part. » (Jack Wishere jouait encore à Arsenal lorsque VICE Sports s’est entretenu avec Rohan Ricketts. Le milieu de terrain évolue cette saison à Bournemouth, ndlr)

Mais ce qui semblait parfois être de la colère à l’égard de l’éthique de son pays semble s’être transformé en indifférence, teinté de déception d’avoir joué en MLS juste avant que l’aura de ce championnat ne monte en flèche ces dernières années.

« Pour être honnête, je m’en fiche. Parce que eux s’en fichent, j’ai joué à Arsenal, pour les Spurs, pour les Wolves et pour Barnsley. Quelques gros clubs. Puis je suis parti jouer en MLS. Et ils (les employeurs potentiels britanniques) demandent : “Où est-ce qu’il était ? Ah non, non on va plutôt signer untel et untel de Conference (troisième division anglaise) qu’on observe depuis l’année dernière.” Maintenant tout le monde est en mode “Wouah la MLS.” Et ils signent des joueurs de là-bas. »