« Tellement magnifique. C’est fou, je l’ai vécu à Paris en plus, j’étais là, au milieu de 80 personnes. C’est la première fois que j’ai eu de la vraie peine pour vous. Je me suis dit ‘ça doit être dur pour eux’. J’en connais beaucoup des supporters du PSG, qui sont dans l’abandon. Mais c’est jouissif, même si dans quelques semaines vous allez nous en mettre 5 peut-être, ça se voit ils sont atteints les joueurs. »
Qu’il réagisse à l’élimination du PSG ou qu’il réponde à une interview tardive, le Marseillais Soso Maness garde un sens de la formule et un côté spontané qui mettent tout le monde à l’aise. Posé dans les locaux de Sony, le rappeur semble quand même un peu fatigué, partagé entre l’exercice du marathon promo et sans doute l’incertitude suite au lapin qu’il a posé à la Justice. Entre temps, les choses se sont arrangées. Certes le PSG est toujours éliminé, mais le Marseillais a apparemment pu bénéficier d’un aménagement de peine compte tenu de sa situation et Rescapé, son premier album mis en forme par L’Adjoint, pilier de la production marseillaise, est plutôt bien reçu. On a donc parlé tranquillement de sa progression, ses galères, son dégoût des rappeurs mythomanes, l’évolution de Marseille et son envie de construire une bibliothèque. Soso, un exemple de réinsertion ? Répondez pas, c’était pour déconner.
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[Des gens applaudissent dans une pièce à côté]
Noisey : Ah bah ils doivent célébrer un disque de platine.
Soso Maness : Mouais, Un disque de vegan ils ont dû recevoir… [À son attachée de presse] Hé, pourquoi je l’ai pas fait moi ? Une séance d’écoute avec du public ? Ça tue ça.
Sur « Rescapé » tu enchaînes « Combien j’ai pris chez Sony ? Comment j’me suis fait péter ? Combien de gadji j’ai niqué ? » On te harcèle vraiment de questions comme ça ?
J’aurais pu répondre en plus [Rires]. L’argent : assez pour bien préparer un album, pas assez pour bien dormir. Des meufs : assez pour pas choper une MST. Bon, comment je me suis fait péter… Ah non, je le dis pas. Dans mon quartier on me les pose souvent, c’est vrai. Surtout « combien tu as pris », parce que mon arrestation ils le savent, c’était devant eux.
Deux reprises peuvent étonner, l’interlude qui reprend « Manu » de Renaud et le bonus « Stromaness ».
« Manu », c’est une de ces chansons avec le thème le plus universel. À la base, je l’écoute avec un pote et mon pote est dans cette situation. Donc je lui chante pour rigoler. C’est une vraie histoire : mon pote c’était un vaillant, il est rentré en prison, et malheureusement le proverbe « une femme, soit elle te monte soit elle te démonte », c’est réel. Quand je lui ai fait écouter il a presque eu les larmes aux yeux. Bien sûr j’ai réactualisé, j’ai remplacé des phrases : « Quand tu rentres tard le soir et qu’elle est sur son snap, qu’y’a plus rien à bouffer à part ces foutues pâtes », c’est imagé mais simple et ça reflète bien. Pareil pour « une gadji de perdue c’est 10 Dom Pé qui reviennent ». Une meuf peut te tuer psychologiquement, tu bombes plus le torse, t’es bousculé par un simple texto, tu te prends la tête… Tu as aimé ?
Alors j’aime l’original, donc dès que j’ai reconnu je me suis dit « on va voir comment il s’en sort, nique pas tout stp » et après j’ai apprécié, tu colles bien à la base du son.
Cool ! Après bon, je l’ai mis « que » en interlude, pour pas en faire trop non plus. Et « Stromaness »… En fait t’as ciblé les 2 titres qui ont fait débat. C’était très compliqué, avec l’équipe on a hésité. Moi je voulais les mettre mais il y avait un camp pour et un contre. Mais un son comme « Khapta » n’a fait que confirmer qu’on peut délirer. Pareil c’est du second degré, bien réalisé par L’Adjoint. Ce titre ça passe ou ça casse, faut prendre des risques, moi je suis un artiste hein, je m’en fous.
Ceci dit on sent que tu as des bases de rap, parfois presque à l’ancienne d’ailleurs.
Oui quand même, frérot, je connais mes classiques. Mon premier CD c’est Hell On Earth, j’ai accroché le Wu-Tang aussi, What’s Happenin de Busta et Method Man c’est un de mes titres préférés… Après je te cache pas que dans la nouvelle vague, y’a plein d’artistes que je kiffe mais je suis dépassé. Lil ou Lol je sais pas quoi, Young Zebi, etc [Rires] je suis perturbé, on dirait des -Pokemons. Toutes les semaines tu as un nouveau « GOAT » [Rires]. On doit prendre le temps de digérer. J’écoute beaucoup de rap français, mais j’ai quand même cette culture rap US au fond de moi. J’étais une quinzaine de fois aux USA, j’ai habité 6 mois à Brooklyn, c’était lourd. Là y’a quelques mois j’étais à Miami.
Tu fais directement référence au Rat Luciano, je sais que Jul t’a conseillé à une époque, on retrouve aussi « Minuit c’est loin » qui rappelle le classique de IAM…
C’est les tauliers de la ville. Je les respecte énormément pour le bien qu’ils ont fait à Marseille, quand je vois Akh et Shurik’n dans mon clip je suis flatté. J’ai aussi mes classiques de la variété française : Johnny, Goldman. Sinon je suis un grand fan de la Motown et de la pop anglaise, américaine des années 80 : R.E.M, Supertramp, etc. Ça vient des anciens de ma ville, quand ils te chopent et qu’ils te disent « tiens écoute ça, ça c’est de la musique de bandit ». Le premier concert que j’ai fait c’était Lunatic, j’avais 9-10 ans, je me rappelle de plus rien sauf qu’ils faisaient le refrain « Hauts-de-Seine » et c’était tout rouge.
Ah oui, c’était filmé , Booba avait remplacé « Hauts-de-Seine, Hauts-de-Seine » par « Marseille, Marseille » au dernier refrain.
Comment tu veux que je grandisse normalement ?! [Rires] Après à 11 ans je rappe avec Intouchable, puis j’arrête, puis je reprends direct avec Jul qui me fait une mise à jour. En 2014 y’avait pas mieux que Jul pour me réactualiser. Il faisait pas encore autant de vues que maintenant mais il était acharné et le jour où je le rencontre il fait un freestyle d’une heure. Une heure ! Comme ça. Il m’a dit : « Soso, si je réussis pas, je deviens fou ». Il mérite, du fond du coeur, c’est magnifique. Et ma signature, ça m’a motivé. Je prends rien pour acquis. Je me suis dit que peut-être j’avais un talent, puisque des “professionnels” validaient. C’est autre chose que quand tes proches aiment ce que tu fais, parce qu’avec l’affect, ça change tout.
C’est bien toi qui fais le bruit et les backs sur « Cartel de Maness » ? Tu te lâches totalement.
C’est moi, je m’éclate en studio ! Je kiffe faire ça : « kilikaakaou ». C’est aussi une manière d’améliorer un titre, d’amener une ambiance. Y’a qu’à regarder Niska. Si je fais un feat avec lui, limite je lui dis « fais-moi que des backs » [Rires]. Et tu le sens dans un morceau quand y’a pas de backs, ça manque. Moi j’aime bien parfois donner des mini-conseils à d’autres artistes que je connais : « là tu devrais ajouter un Skaskakrr, là un prrrrraaa » [Rires].
Sur « Cartel de maness » : « Le client me dit mercé, je lui offre un paquet de feuilles je fidélise », c’est pro. Par contre sur « TP » tu dis que comme une cliente veut pas te lâcher son snap tu lui sers la plus petite barrette : ça c’est un peu mesquin Soso.
Mais c’est tellement vrai ! « Elle me fait la maligne », je voulais vraiment dire qu’elle m’a répondu sur le mode « tu es le charbonneur, tu me parles pas ». Ok, bah le plus éclaté, cassé, des 10 balles il était pour elle. Ça me fait rire parce que c’est vrai, quand je fais écouter aux jeunes jobeurs, ils sont morts de rire. Moi c’était plus compliqué quand je suis devenu un peu connu mais que je continuais à vendre, là je faisais câbler le four [Rires].
Vers fin 2018 tu disais que tu ne t’étais pas encore trouvé musicalement, là tu penses que ça y est ?
On va dire que je suis en train d’entrevoir le petit chemin qui va me mener enfin à l’apogée de mes facultés à tout niquer. Tu vois que j’ai l’habitude des condés, toujours des phrases longues au début [Rires]. Non, ça me fait plaisir parce que ça a été très compliqué et ça aurait pu me prendre plus de temps. Un mec comme Alonzo, il a fallu attendre « La Belle Vie » pour qu’il adopte son style, Lefa pareil, on les aime quand ils découpent. Pour moi Alonzo c’est le meilleur des Marseillais, mais quand il faisait des morceaux un peu « grand frère », ça nous frustrait [Rires], nous on voulait que des « ta mère, tes morts » [Rires]. Et quand il est revenu comme ça on s’est dit ah ouais, il est chaud.
« Le seul uniforme qui vient toquer à ta porte c’est le facteur », tu as l’air très opposé à ceux qui s’inventent une vie dans le rap.
Elle est bien cette phrase [Sourire]. Les rappeurs made in Netflix. Mais c’est selon mon humeur du jour. J’aime bien les tacler, dans 80% des cas je les déteste, mais parfois je me dis, tu peux pas être comme ça Soso. Déjà parce tu vas pas avoir d’amis dans la musique, donc joue le jeu avec certains. En plus ça leur permet d’aider leurs familles, c’est pour ça que jamais je clasherai un artiste parce que je sais ce qu’il y a derrière, l’équipe, sa famille, etc. Ça m’arrive de les croiser, y’a toujours cette petite gêne « oh, y’a Soso » mais je suis tranquille. Si j’accepte que vous rappiez comme ça, acceptez ma façon de voir les choses. Si tu as un problème, j’ai la solution. Rapatriement au bled [Sourire]. Entre 4 planches, frigo.
Tu fais un peu figure de chaînon manquant dans le sens où la forme de ton rap est très actuelle mais le fond reste assez dur.
C’est le côté Marseille, très Lucc’, très 90’s. À cette époque-là, j’ai 10-11 ans et les mecs de la FF j’étais leur petit, leur mascotte. Des Menzo, Don Choa en studio, dernièrement j’ai revu Sat qui a dit à L’Adjoint « mais Soso, il a grandi, c’est un homme et il est signé chez Sony, j’arrive pas à le croire » [Rires] Eh ouais, ils me voyaient bébé, courir partout en studio, j’ai beaucoup de respect pour eux. La Mafia K’1 Fry pareil. Et puis il y a tout ce que j’écoutais à fond dans le four, ça dépendait de mes journées. C’est long, 12 heures… Lacrim c’est pas mal dans le four, Jul c’est classique… Une fois un client m’a donné en cadeau l’album de Christine & the Queens. Il me voyait à chaque fois avec mon téléphone, le son qui tournait… Ça m’a touché, bon il a payé sa barrette quand même [Rires]. J’ai kiffé de fou l’album. Et puis à l’ancienne… tu vois les lecteurs MP3 avec juste une pile là, j’avais ça quand je guettais.
Ah oui, t’étais au max avec ça à l’époque.
Pffiouuuh ! Et même je mordais la pile quand y’avait plus de juice. Beaucoup de Salif dans mon MP3, c’était un mec vraiment, j’ai beaucoup écouté, et je réapprends à l’écouter aujourd’hui. Pareil, j’ai eu la chance d’avoir Nessbeal au téléphone y’a quelques temps, il m’a dit qu’il avait apprécié que je le cite, on a parlé 45 minutes, moi ça me fait plaisir que cette génération me valide. Mon plus grand regret c’est de pas l’avoir dans mon projet. Mais ce sera sur le prochain, il m’a dit sur le 2e tu peux compter sur moi. Moi ces rappeurs-là je les appelle les Senseï : ça veut pas dire maître mais ça veut dire « ancien qui pratique l’art que tu pratiques et qui connaît le chemin ». Moi je bois leurs paroles.
La musique, tu vois ça comme un charbon ou une passion ?
Charbon. Je vois ça comme un terrain. J’aime le rap, j’aurais pu être D.A, dans le développement, ailleurs, mais si je me cassais les dents, j’arrêterais direct.
L’Adjoint a eu un rôle important dans la réalisation de l’album, comment tu travailles avec lui ?
C’est lui qui a fait 80%, et après j’ai eu la chance de travailler avec des Parisiens, comme Wealstaar. Quand je travaille ici, c’est une autre ambiance, une autre manière d’écrire. L’Adjoint m’a permis de progresser et lui aussi a progressé avec moi. Ça a été compliqué, il m’appelait quand j’étais en prison, et c’est seulement après la signature en major qu’on a pu mettre notre énergie et notre détermination dans le projet. C’est la première chose que je finis dans ma vie. C’est passé par beaucoup de travail. Moi j’écris qu’à la maison, c’est très rare que j’écrive en studio, même si j’écris sur la prod. Chez moi je suis tranquille, sous mon toit, en pyjama, je me sens bien, apaisé. Au studio y’a trop de passage. J’ai l’impression que bientôt tu auras des toxicomanes de studio « Laisse-moi faire mes backs, que mes backs stp ! Une ptite heure ! » [Rires] C’est devenu tellement cher.
Le jeu de mot « la Franc-Manesserie », ça t’a valu des retours de cons qui l’ont pris au pied de la lettre ou ça va ?
Je suis tombé sur un ou deux fous… Je les vois comme des mecs qui ont gâché leur vie et qui cherchent des coupables ailleurs. C’est juste un jeu de mot par rapport à la franc-maçonnerie, je trouvais que ça claquait. La Franc-Manesserie est en marche, bien avant Macron.
Depuis il a pris le buzz…
Ouais mais on l’a bien récupéré. Là il est dans les cordes un peu.
« Dans le rap je suis un poète appelle-moi Arthur Rimbaud », et bah on s’emmerde pas.
[Rires] C’est nous les nouveaux poètes, dans le sens où ce morceau est très dark mais avant les artistes aussi puisaient dans le dark : Guernica de Picasso c’est quand même très dur, ça vient de la guerre. J’ai pas la prétention de comparer, mais la démarche est pas si différente.
Faire de l’art avec du sale.
Voilà. J’aime ce titre parce que le constat est alarmant, très dur. Je dis que j’ai pleuré une rivière, y’a un pas pour la paix, un T-Max pour la guerre. C’est triste, c’est vraiment un morceau qui me touche. J’essaie d’éveiller les consciences. Même jusqu’à maintenant, je leur dis aux petits, si vous trafiquez, grand bien vous fasse mais mettez de l’argent de côté. Mais à 20 ans, c’est difficile, moi-même je suis tellement tombé dans ces pièges… À 20 ans tu manges le tonnerre par devant, tu pètes les éclairs par derrière. Même quand ton père te parle, tu penses « qu’est-ce qu’il connaît lui ? ». Alors que si je l’avais écouté je serais ingénieur aujourd’hui. Faut arrêter de tomber là-dedans : tu fais la mala, tu claques ta thune, puis tu te plains qu’il y a rien à manger chez toi ! [Rires]
C’est une réalité, pareil quand je dis « tu promènes une pute, ta mère à l’arrêt de bus ». Et le bus 22 c’est le bus des Baumettes. C’est très loin des quartiers nord, à l’opposé de la ville, et tous tes amis qui ont de l’essence, la voiture, ne viennent pas forcément. Dans les transports, tu es avec tes sacs, tout le monde sait que tu vas visiter quelqu’un en prison. Je pense quand même que tout vient à point qui sait attendre, avec la maturité. Je me dis par exemple que j’ai signé à un bon âge, si j’avais signé à 20 ans, faire des millions à 25 ans, j’aurais certainement pété les plombs, à Saint-Trop’ avec des escorts sous coke.
À la place t’as pas signé mais du coup tu l’as vendue.
[Rires] Ouais, mais je l’ai jamais prise.
Même si tu en parles de façon légère il y a souvent des mises en garde assez tristes derrière : « Y’a toute la ville qui souffre petit y’a pas de quoi être fier », etc .
Y’a vraiment, vraiment rien, pas de quoi être fier. Les gens savent pas ce que c’est. Mettre tes amis dans un trou, en Algérie, en France. Et après tu revois leurs daronnes. T’imagines comment ça doit être dur ? Tous les jours au quartier, elles revoient la rue où leur fils a appris à conduire, ses anciens potes, etc… C’est pour ça que j’ai un peu une double personnalité : dès que j’y pense, j’ai les nerfs, contre les rappeurs qui se vantent de ça sans savoir ce que c’est… d’un coup je deviens quelqu’un de très méchant contre ces gens-là, j’ai envie de les étrangler. Ces petits bâtards.
Sur l’outro tu dis que c’est ton premier album mais aussi peut-être ton dernier…
C’est par rapport à mon mode de vie. Si c’est le dernier, tu sais… je voulais faire un album qui reste dans le temps. Sans prétention, parce que c’est dur, je voulais marquer mon époque.
Tu es plus à la recherche du classique que du tube du moment ?
J’ai l’Algérino pour faire des tubes ! A partir de là j’ai pas besoin d’en faire trop avec d’autres invités. J’essaie de… Faire un album classique c’est compliqué mais je veux m’en rapprocher. Les feats sont arrivés au bon moment. J’ai rajouté un peu de sel, de poivre. Dans l’évolution des titres aussi, la progression est intéressante, mais ça part du travail, faut manger hip hop et chier hip hop. « Rescapé » est un des derniers sons que j’ai enregistré, parce que je me suis rendu compte que ça manquait et finalement ça a donné le titre de l’album.
Tu en es où avec Julien des Marseillais ?
En vrai, tout le monde chez nous fait des allusions, sauf que moi, peut-être à cause de mon vécu, mes déboires, mes soirées en boite, ils se sont dit « ça doit être vrai », ça a fait un grand bordel pour finalement pas grand-chose. Booba dit bien « je mets ma bite dans Mimi Mathy ».
Mais en plus vu la façon dont tu l’avais tourné c’est juridiquement inattaquable.
C’est inattaquable frère ! « Je vends de la pure » Ça peut être de la pure musique… Je suis pas fou quand même, avant de le faire je clear tout ça, j’appelle les avocats et après banco.
Même si un laps de temps sépare l’écriture des morceaux, on passe de « je préfère dormir en taule que dans le métr » à « la vraie richesse c’est dormir tranquille ou mettre des trackers sous des ballots de 30kil ».
Ça se rejoint mais je préfère toujours dormir tranquille en prison que tranquille dans le métro. Y’a la gamelle, y’a la télé, Canal + [Rires].
C’est vrai qu’ici, tout est fait pour que tu ne puisses pas t’allonger sur les bancs du métro sans t’éclater le dos.
J’ai vu ça… Des bâtards, dans des endroits y’a des piques pour pas que tu puisses dormir, y’a la RATP… Non mais si tu es un SDF faut aller à Marseille, il y a du soleil, les gens sont plus généreux, y’a des douches. Y’avait un livre là-dessus, qui décrit une équipe de SDF qui descend dans le sud. Et puis à Paris il fait trop froid ici, les gens sont méchants : « Trouve-toi un job pédé ! ». Faut les comprendre les SDF quand même. Tu peux pas en arriver là comme ça, y’a eu une cassure. Parmi les enfants de la DDASS, un sur 4 finit SDF, c’est terrible. Après tu as l’alcool, la démence… Ramener une box food ça coûte rien, sortir le doggy bag en sortant du restau, c’est toujours mieux que rien.
T’as un côté un peu porté sur le caritatif, l’associatif… Une fois que tu seras tiré d’affaire, tu te verrais faire des actions en prison ?
C’est pas forcément la solution. C’est la zone qu’il faut quadriller. Si demain je pète, mon souhait le plus fort et le plus vrai, c’est de bâtir la plus grosse bibliothèque de Marseille dans les quartiers nord. Là tu évites la détention parce que tu donnes les moyens et les accompagnements à des jeunes pour leur éviter ce parcours catastrophique. Avec tous les dimanches une conférence d’avocats, de médecins, de mecs de la musique, du cinéma, qui sont issus de quartiers difficiles. Du moment que tu as de l’espoir, tu peux te battre.
Tu veux aller à la source.
On s’est compris : c’est pas la prison qu’il faut améliorer, c’est le chemin jusqu’à elle qu’il faut barrer. Moi si j’avais eu ça, ça m’aurait peut-être stoppé. Donner envie d’apprendre c’est ça la clé. Le but de la vie c’est quoi ? S’élever, socialement ou spirituellement. Faut jamais te dire « je suis baisé », là c’est eux qui auront gagné. Même si c’est 10 fois plus dur, pour nos anciens c’était 20 fois plus dur. Le but c’est que pour nos enfants ce soit que 5 fois plus dur, puis ainsi de suite.
Tu as fait un petit tube avec l’équipe Font Vert Clan, concrètement eux c’est…
C’est que des gens du four. On était en studio, j’ai dit venez on fait un morceau, y’avait de la vodka, on a fait un gros titre, incroyable on pensait pas du tout… Le clip a rien coûté, des mecs qui rappaient pas se sont mis à la musique, hier j’ai parlé avec l’un d’eux jusqu’à 5h du matin, j’ai l’impression que ça lui a donné envie. Peut-être qu’il pourra en faire quelque chose. C’est un peu comme quand des petits de 12 ans me voient revenir de Miami, avant ça ils m’ont vu galérer, menotté, ils connaissent ma famille, et maintenant ils me voient dans la musique, moi ma victoire elle est là. Si demain le Font Vert Clan signe en maison de disque je serai le plus heureux.
« Tu t’es fait péter mais fallait pas mettre ton vrai nom sur la feuille de compte » : il y a encore des cons qui font ça ?
Y’a encore des gros teubés qui font ça. Ou alors des surnoms nuls, que tu crames trop facilement. Ça arrive moins souvent qu’avant, mais y’en a toujours.
Quelle est l’histoire du feat avec Fianso ? Parce qu’il l’avait fait en live mais il m’avait dit que ça ne sortirait jamais, et pourtant j’avais vraiment insisté [Rires].
Bah j’ai toujours l’impression d’avoir un peu de la chance hein ! Dans l’axe des planètes du hip hop, à 11 ans avec Mafia K’1fry, puis Jul, puis ce feat de 2014 qu’on arrive à extirper ! C’est L’Adjoint, qui a produit pour Fianso aussi, il l’a appelé, je lui parle et je lui dis direct « c’est quand que tu me fais faire du trampoline » ; il pleure de rire et me dit « toi tu parles très bien français » [Rires]. Il nous a envoyé le titre, instru rejouée par L’Adjoint.
Gros son, je suis grave content. C’est gentil de sa part. Je vois Fianso comme un grossiste espagnol : il t’avance et le jour où il a besoin de toi, faut que tu sois là. Tiens, 50kg, paie-moi quand tu veux. [Il salue Lefa qui passe par là] Hé, j’ai parlé de toi en bien, je lui ai dit « il est très très fort ». On parlait du moment où un artiste se trouve musicalement et tout… [Lefa le remercie, agréablement surpris, décidément Soso sait répandre le bonheur autour de lui même sans drogue]
Au fait qui fait la voix à la fin du morceau ?
C’est mon grand-frère. Il sortait de 7 ans de prison et là il est en cavale, il leur doit 4 ans. Il est bien ce petit truc dans le morceau tu trouves ?
Ça s’intègre bien, et pourtant je savais pas qui c’était, je me suis demandé si c’était toi qui prenait une voix au début. Ca prolonge le côté « on est sérieux mais on sait rigoler ».
Pour l’atmosphère et tout, j’étais content. C’est exactement ça.
En autre feat il y a Hoos, L’Algérino…
Hoos on se connaît de la rue, lui venait acheter des plaques, il détaillait vers chez lui. C’était un jeune charbonneur. On restait en contact, de loin, il a répondu présent pour le feat. On est partis à Londres, il est complètement fou ce mec [Rires]. C’est Woodstock avec lui. L’Algé’, c’était mon surveillant au collège.
Sérieux ? Mais tu devais le rendre fou à l’époque.
Non il te dira que j’étais un bon élève, mais que j’ai préféré la rue. Il nous faisait écouter Mobb Deep, les trucs comme ça tu vois, il était dans sa période signé chez AKH. T’imagines il a fait Akhénaton, Sinik, Gim’s, pour au final péter tout seul.
Judiciairement tu en es où ?
Le jour de ma promo presse, j’avais rendez-vous à 8h30 aux Baumettes. Bah j’ai préféré venir chez Sony. Mais bon, je suis pas recherché comme un grand braqueur non plus. Entre temps mon avocat va tout faire pour leur expliquer, essayer d’aménager la peine [donc c’est le cas, cf plus haut, happy end]… Ça arrive tous les jours à des centaines de personnes.
Après faut juste pas en faire des tonnes en promo parce que depuis Mister You ils doivent en avoir marre de servir de buzz à des rappeurs.
Ouais, je vais pas axer là-dessus. J’ai déjà payé le coup avec mon son qui a le mieux marché, pile quand je rentre en prison, tu crois que j’aurais vraiment voulu faire ça ? J’aurais préféré faire des showcases ! Je sais même pas si ça me sert : je suis le seul artiste, quand je suis sorti de prison j’avais moins de buzz ! J’aurais préféré rester à bosser ma musique… J’ai une question pour toi : est-ce que la street crédibilité ça sert à quelque chose à l’heure d’aujourd’hui ?
Plus maintenant, et même à l’époque c’était une mode claquée, des gens appelaient des potes de leurs potes juste pour avoir des armes dans un clip.
Donc ça sert à rien voilà.
En plus tu peux être le plus fragile de la Terre et faire de la bonne musique, ou être un Tony Montana mixé avec un Rambo et avoir le pire flow du pays.
… Et quoi qu’il arrive tu restes nul, ouais, c’est vrai. Je pense aussi que ça sert à rien. Je respecte les valeurs plus que le buzz. C’est la seule peur que j’ai : que pour le buzz, un jour, un flic se mette à rapper [Il prend un flow trap en 3 temps] : « j’arrive-gyro-dans l’93 » et que ça fasse un hit, parce que des gens trouveront des arguments pour le défendre ! Il va s’appeler « Le Baqueux » et il va percer.
[Rires] Tu as un peu ça avec certains fans de 6ix9ine qui disent qu’il a eu raison de balancer.
Ça c’est quand tu es fanatique. Pourtant Snoop lui a bien dit tu es une balance, faut que tu assumes. Tu as assumé que le gang t’installe, te protège, l’argent, etc, maintenant tu dois assumer la chute. C’est triste mais tu as des profils comme ça chez nous : un mec qui ne vient pas de là, placé par d’autres et ils prennent tout l’argent ensuite. Et le jour où tu vas te tromper on va te plomber. Dans le rap faut être le plus seul possible. Si t’es affilié à des mecs de la zone : ça marche tu es niqué, ça marche pas tu es niqué. « Mais comment ça j’ai que 500 euros par showcase » [Rires]. Après s’ils avaient pas été là tu aurais pas percé, c’est sans fin.
Je voulais aussi te féliciter pour avoir su dire non au Raï’N’B, la tentation est parfois forte.
Merci c’est gentil. Heu… le truc c’est que je serai peut-être dans l’album 2019 de DJ Kayz.
Ah.
Non je déconne [Rires]. C’est pas pour moi ça. Quand j’essaie mes potes m’appellent Cheb Maness. Ça me va vraiment pas, je peux pas niveau voix, y’a des gens qui le font super bien, moi non. Faut être conscient de ses facultés. Tu es numéro 6, tu récupères les ballons, on te demande pas d’en mettre en pleine lucarne.
L’évolution de Marseille, tu la vois comment ?
C’est pire qu’avant. On rentre dans une période où les petits ont grandi avec ça, le cerveau a absorbé tout ça : la mort, la vengeance. Quand j’étais petit on me disait « lui il est fort à la bagarre ». Ça existe plus. Maintenant le petit il pèse 50kg, il se met 2g dans le nez et t’en met 17 dans le corps. Bon y’a aussi des sales histoires à Paris bien sûr. Moi quand je suis ici je suis beaucoup à Grigny, je kiffe être là-bas, j’ai l’impression d’être un peu à Marseille mais à Paris. À Marseille je représente Font Vert, à Paris je représente Grigny. C’est terrible, ça veut dire que j’ai trahi la Mafia K’1fry [Rires].
Ça reste banlieue sud, l’honneur est sauf.
Ouais voilà. Mais c’est cool ça a évolué, j’ai l’impression de voir plus d’équipes mixtes avec 2 mecs du 92, un mec du 93 etc. Sauf à Paris intra-muros, là t’as encore des guerres… ça ressemble à des disputes de camping, les nudistes contre les chtis. C’est bon, faites de l’argent tranquillement, ça évitera les drames avec les mamans qui souffrent.
Niveau prétendant à la mairie c’est Game of Thrones, Mélenchon et Castaner ont tourné autour…
Frérot moi depuis que je suis né y’a Gaudin, comme Bouteflika. Le changement ce serait bien, qui que ce soit. C’est trop là. La ville niveau infrastructures, y’a du mieux, mais Marseille c’est tentaculaire. C’est la seule ville en France où tout le monde trafique : l’opticien va te dire bon file 50E, on s’arrange, le taxi pareil, le mec qui fait le sushis, tout le monde. C’est un contraste énorme, c’est très beau mais ça peut monter en 2-2. Je vais finir par me présenter à la mairie, 2022. Le pire c’est qu’il peut la prendre Mélenchon, à Marseille ils aiment les populistes, c’est ça qui est mauvais. Il peut se faire passer pour Che Guevara. On est la seule grande ville avec des immeubles qui s’effondrent encore en France…
D’ailleurs les prisons dans le sud, il y avait aussi des histoires comme ça.
Moi je suis privilégié par mon statut. Mon p’tit plaisir c’est des trucs tout bidons : des kinders, des crevettes, de la viande, du whisky, un petit iPhone… Y’a des classes sociales en détention, c’est ça que je reproche aux surveillants : ils se comportent pas du tout pareil avec les indigents qu’avec toi. Ils voient ton pécule et se disent « ok lui il est important ». C’est un métier alimentaire : aucun petit de 4 ans te dit qu’il veut être surveillant. Ils sont plus dans la répression que dans la psychologie. Sauf que normalement tu dois prendre sur toi, quand tu mets ta tenue tu es un fonctionnaire de justice, tu dois respecter les normes. On est le pays le plus condamné en Europe, c’est chaud quand même.
La fameuse double-grille, c’est toujours illégal « en théorie ».
T’as pas le droit ! Ils paient pour ça, en plus des barreaux ils te mettent des grilles, pfff. Tu as peut-être que 20% de vrais fils de pute chez les surveillants, mais forcément, du point de vue d’un détenu tu retiens que le négatif, c’est humain… Les Baumettes historiques ça a fermé, les Baumettes 2 c’est plus propre, neuf. Mais j’ai connu les historiques, celles où y’avait mon père en 1957 : les escaliers s’effondraient, les rats frangins c’était fou, les mouettes cassent les couilles, les douches c’était n’importe quoi. Mon père y était par rapport au FLN, lui est rentré pour ses idées, moi je suis rentré pour vente de drogues, c’est pas comparable. Il est fier que je sois sorti et que j’ai à peu près… compris.
Le premier album de Soso Maness Rescapé est sorti en mars chez Sony.
Yérim Sar est sur Twitter.