En Irlande, quand vous vivez pas loin de la plus vieille vache du monde – vache qui a mis bas à 39 veaux lors de ses 48 années passées sur Terre et qui a deux records du Guinness à son actif – vous avez tôt fait de lui rendre hommage en baptisant votre production de gin en son nom ; Bertha. Pour une vache irlandaise, Bertha a un CV long comme le bras. Elle est née le jour de la St. Patrick et elle a aidé à lever des milliers d’euros pour la recherche contre le cancer en paradant dans moult foires.
Aujourd’hui, on peut donc s’envoyer un gin qui porte son nom, le Bertha’s Revenge Irish Milk Gin – un nectar irlandais légèrement épicé qui a la particularité de tirer son alcool du lait
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Oubliez vos rêves de White Russian. Ici, on parle de petit-lait, le liquide produit par fermentation qu’on utilise dans le processus de fabrication des fromages. C’est ce qui fait que le Bertha’s est différent des autres gins – qui sont, pour la plupart, le fruit de la distillation de céréales. À la base de ce spiritueux, on retrouve donc le lactosérum (doux et pas acide dans ce cas précis) qui apparaît quand le lait se caille.
, raconte Justin Green, co-fondateur de la marque Bertha’s Revenge. « Ce genre de comportement ne correspond pas à notre philosophie ‘de la ferme à l’assiette’. On voulait que le produit évoque notre terroir ».
Green est le propriétaire de Ballyvolane, une maison d’hôtes assez chic dont une partie des locaux était auparavant occupée par une exploitation laitière que gérait le père de Justin. L’étable attenante abrite aujourd’hui la distillerie familiale. Les quatre dernières générations de Green ont vécu à Ballyvolane dont la construction remonte à 1728. Il y a un jardin dans lequel la famille se sert pour fournir à sa cuisine les légumes et autres plantes sauvages. On trouve aussi des élevages de poulet et d’une race très rare de cochon.
En Irlande, le petit-lait est historiquement connu pour ne pas être un produit de première nécessité. Quand il n’est pas utilisé pour nourrir les porcs, on le répand dans les champs. Bref, on s’en débarrasse, explique Green. « En fait, le petit-lait était aussi utilisé par les industries pétrochimique et pharmaceutique. Il est entré dans la chaîne alimentaire beaucoup plus tard, il y a une quinzaine d’années. » Green ajoute que c’est l’exploitation laitière Carbery, à Cork, qui a été la pionnière en la matière, développant une levure spéciale capable de fermenter les sucres du lait – un phénomène observé naturellement dans le petit-lait doux. Carbery fait fermenter du petit-lait depuis les années 1970, produisant notamment avec leur mélange des alcools comme le Baileys – assez connu des buveurs invétérés.
L’idée de tirer l’alcool du petit-lait vient du maître-distillateur, Charles Maxwell. Green et Anthony Jackson, un ami d’enfance et co-fondateur du Bertha’s, lui ont rendu visite à la distillerie Thames de Londres. La famille de Maxwell distille du gin depuis les années 1680.
, se rappelle Green. « ‘Il remplit tous les critères que vous avez définis.’ On est reparti en se disant Ouais, on tient un truc. »
La production du Bertha’s commence chez Carbery où le mélange à la base de gin est élaboré. Le petit-lait est brassé puis la levure ajoutée. Le mélange est distillé deux fois à fortes chaleurs, pour augmenter la teneur en alcool et raffiner le spiritueux à chaque étape. Le résultat final a une teneur en alcool proche des 96 %. Ballyvolane achète ensuite cet éthanol de petit-lait à Carbery.
Quand il arrive dans la distillerie de Ballyvolane, le mélange est versé dans des bassines de cuivre de 125 litres avec de l’eau en provenance d’un puis de la ferme. Il y est distillé une troisième fois. C’est à ce moment-là que les végétaux récoltés dans les environs sont ajoutés et donnent son goût au Bertha’s. L’étable de Ballyvolane distille environ 800 litres par semaine.
, raconte Justin. « On ajoute notre propre eau qui vient de notre propre puis. On la maintient et on lui fait passer une batterie de tests. Elle est vraiment bonne en qualité et il n’y a pas de traces de chlore par exemple. Si vous distillez du gin en ville, vous allez être obligé d’utiliser toutes sortes de systèmes de filtration et vous allez vous retrouver avec de l’eau riche en fluorure et en chlore. Notre eau est aussi pure que possible. »
Green m’énumère les principaux ingrédients du Bertha’s. Une recette que l’équipe a perfectionnée pendant neuf mois.
, précise Green. « La note la plus importante doit être celle du genévrier. C’est ce qui donne son côté sec au gin et son goût proche de la résine de pin. On peut ajouter des graines de coriandre pour un peu de piquant et quelques notes citronnées. Il faut aussi avoir des racines. Les racines de la fleur d’Iris sont, par exemple, très intéressantes. C’est un peu comme le sel ou le poivre – vous ne pouvez pas vraiment les distinguer goûter mais s’ils sont absents, vous le sentez. Pareil avec ces racines. Elles permettent aussi de donner du liant et de faire fonctionner les végétaux utilisés ensemble. »
L’Irlande ne produisant pas beaucoup d’écorces d’agrumes ou de genévrier, ce sont des ingrédients que Green et son associé doivent acheter. Mais d’autres plantes présentes dans le Bertha’s poussent sur place et donnent cette touche irlandaise unique et épicée.
« On cueille notamment du maceron [Alexanders dans la langue locale]. Les fruits noirs de cette plante ressemblent à du poivre et ils donnent une note agréable. Ils apparaissent à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre », raconte Green. « On est sorti en récupérer en octobre, ils étaient encore sur la plante. On chope aussi des fleurs de sureau en mai qu’on fait sécher pour pouvoir les utiliser toute l’année. On a aussi de l’aspérule odorante qui est une plante en forme d’étoile très délicate avec des feuilles vertes et une fleur blanche. Elle offre des saveurs de vanille et d’amande. »
Pour parvenir à transmettre ces délicates notes de fleurs, ces plantes sont suspendues dans des petits paniers au-dessus de l’alambic. Elles sont infusées par la vapeur. C’est une manière légèrement différente de distiller des végétaux qui doit éviter le goût de chou parfois un peu prononcé quand on laisse le thé infuser trop longtemps ou dans une eau trop chaude, précise Green.
Utiliser le petit-lait pour la base alcoolisée peut aussi donner différents résultats quand vous portez le verre de Bertha’s à vos lèvres. , explique Green. « On ne voulait pas à l’origine faire un gin un peu épicé mais on s’est rendu compte assez vite que, contrairement aux spiritueux faits à base de céréales, le petit-lait véhicule les épices de manière incroyablement efficace. »
Green suggère que le Bertha’s est par exemple idéal pour un negroni, un gin & tonic ou bien sur, un White Lady – cocktail avec du Cointreau, du blanc d’œuf et du jus de citron. Il le recommande aussi comme digestif avec une goutte d’eau ou des glaçons.
Lors de la phase de recherche de clients potentiels, Green a rencontré des gens animés d’une véritable soif de savoir sur le processus de création du gin. Des gens qui ne font plus confiance aux grosses marques, accusées de tout faire « au rabais ».
, explique Green. « Ils voulaient toucher cette passion. Ils ont une haute estime de ce que nous faisons parce que nous le faisons nous-même. Vous pouvez sentir la différence. »
Derrière le Bertha’s et son lait irlandais, il y a aussi une motivation particulière héritée de l’expérience de la récession vécue en Irlande en 2008.
« C’est difficile de gagner sa croûte ici, notamment dans le monde rural. On est une petite population et un petit pays. On a essayé différentes choses mais on a vécu vraiment un calvaire pendant la récession économique », se rappelle Green. « On s’est dit que, si l’on pouvait créer un produit qui symbolise les valeurs de Ballyvolane – produit qui va de la ferme à l’assiette et qui est de bonne qualité – on garantissait au lieu un avenir sur le long terme. »
Green poursuit : « En Irlande, la culture culinaire progresse à pas de géants et on part de loin. L’Irlande a toujours eu une sorte de complexe d’infériorité quand on parle de bouffe. On a toujours regardé la France et l’Italie avec envie, mais on est entouré d’ingrédients incroyables et la plupart sont exportés dans toute l’Europe. On devrait plutôt se jeter des fleurs et apprendre à les utiliser – en faisant simple, en utilisant des bons produits et en cuisinant avec un vrai flair – on a la capacité de le faire. »
Et Green d’ajouter : « C’est ce qu’on a fait pour le Bertha’s. Les gens vont peut-être ciller quand ils vont tomber sur le facteur ‘lait’ mais, on vous demande juste d’essayer ».