Le grand sommeil : dans la vie d'une narcoleptique
Illustration : Ben Ruby

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Santé

Le grand sommeil : dans la vie d'une narcoleptique

« Je n’ai jamais pu terminer un film au cinéma sans m’endormir. »

Tout le monde sait à quel point une mauvaise nuit de sommeil peut gâcher une journée. Vous êtes livide, vous n'arrivez plus à réfléchir et le moindre mouvement semble requérir une force surhumaine. Surtout, vous êtes généralement d'une humeur détestable. Imaginez maintenant toute une vie faite de mauvaises nuits comme celle-ci. C'est globalement ce que vivent les narcoleptiques.

La narcolepsie est un trouble qui dérègle vos cycles de sommeil, ce qui a pour conséquence de frapper ceux qui en sont atteints d'une forte envie de dormir, parfois au beau milieu de la journée. En France, 25 000 personnes en souffriraient. Et ce calvaire peut s'avérer encore pire pour ceux qui souffrent également de catalepsie. Ces derniers peuvent perdre le contrôle de tous leurs muscles au moment du sommeil, provoquant ainsi une lourde chute – un peu à la manière d'une personne qui s'évanouirait.  Concrètement, les narcoleptiques ne dorment presque jamais complètement, et lorsque c'est le cas, c'est toujours très fastidieux. Il n'existe aujourd'hui aucun moyen d'éradiquer cette maladie. Pour en savoir plus, j'ai discuté avec Claire*, une jeune femme de 26 ans qui vit à Toronto et a été diagnostiquée narcoleptique il y a quatre ans.

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VICE : Comment s'est déroulée ton enfance ?
Claire : Lorsque j'étais petite, j'avais beaucoup de mal à aller me coucher. Ma mère souffre également d'un trouble du sommeil, ce qui fait qu'elle ne dort presque jamais. Entre elle et moi, nous n'avons jamais eu un rythme de sommeil vraiment régulier à la maison. À l'âge de sept ans, j'ai eu un accident et je me suis retrouvée avec une brûlure au troisième degré. J'ai dû prendre de la morphine pendant un mois. C'est une expérience qui m'a pas mal traumatisée. Je sais que beaucoup de narcoleptiques traversent ce genre d'épreuves.

C'était donc ton sommeil qui foutait tout en l'air ?
Honnêtement, je ne me souviens pas vraiment de toute cette période. Simplement, j'étais toujours extrêmement fatiguée et je me réveillais sans cesse au beau milieu de la nuit.

Quand as-tu réalisé qu'il se passait quelque chose d'anormal ?
En deuxième d'année de fac, j'ai commencé à faire une dépression nerveuse, et j'ai réalisé qu'il fallait que je consulte un médecin. Au départ, j'étais persuadé que c'était un problème d'ordre psychologique.

Mais quels étaient les symptômes ? Tu pouvais t'endormir n'importe où ?
Très souvent, je m'endormais en cours. L'un de mes profs a fini par le remarquer et j'étais souvent dans la merde à cause de ça. Les films sont aussi un problème pour moi, je ne peux pas aller au cinéma sans m'endormir. Je me souviens m'être endormie lorsque j'ai vu mon premier film en 3D – Beowulf. Aussi, je n'ai jamais pu voir le moindre épisode de la trilogie du Seigneur des Anneaux en une seule fois, par exemple. En outre, il m'est arrivé de m'endormir en plein examen de chimie, alors que je discutais avec quelqu'un, ou pendant un exposé.

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Tu t'es déjà endormie pendant une relation sexuelle ? 
Oui, mais ça n'avait rien à avoir avec la narcolepsie.

Tu peux raconter ta première consultation avec un médecin ? 
J'ai dû m'endormir pour que les médecins réalisent des tests. J'ai eu une paralysie du sommeil dès le premier. Au total, je me suis réveillée huit fois, pour un sommeil de cinq heures. Ils ont d'abord pensé que j'avais une sorte de fatigue chronique, avant se rendre compte que j'étais narcoleptique. Mais je n'ai pas de cataplexie.

Les choses auraient été encore plus compliquées si tu souffrais de cataplexie ? 
Quand on est atteint de cataplexie, on peut carrément s'effondrer au beau milieu d'un fou rire. Je n'ai jamais eu ça. Je peux donc conduire, marcher ou faire l'amour sans nécessairement tomber de sommeil. Mais regarder un film ou lire m'est devenu presque impossible.

As-tu un traitement pour ça ?
J'ai un penchant dépressif et je suis sujette aux crises d'angoisse. Ils m'ont demandé si je préférais des médicaments contre la dépression ou contre la narcolepsie. J'ai opté pour un traitement contre la dépression. À ce moment-là, je prenais des antidépresseurs le matin. Je prenais du Wellbutrin, mais en doublant la dose prescrite par le médecin. Ça m'a aidé à lutter contre la dépression, mais les effets stimulants du médicament m'ont aussi aidé dans ma narcolepsie. J'ai pu travailler normalement grâce à ça. Aujourd'hui, je cherche quelque chose de plus adapté à mes symptômes.

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Est-ce qu'il y avait des effets secondaires ?
Je suis de nature très anxieuse. Si j'oublie de prendre mes médicaments, même une moitié de dose, je deviens très rapidement anxieuse. Sinon, rien de spécial. Je pense que je suis anxieuse lorsque je n'arrive pas à dormir.

Peux-tu me parler de tes paralysies du sommeil ?
Ça peut être terrifiant, parfois. Une nuit, alors que je dormais sur le dos, je me suis réveillée et j'ai ouvert les yeux. Je ne comprenais rien, j'avais le sentiment que quelque chose appuyait sur ma poitrine et j'ai vu une ombre surgir de mon placard. J'ai essayé de crier le nom de ma sœur car elle dormait à côté, mais je ne pouvais rien faire. J'étais paralysée. Depuis, ça m'arrive régulièrement.

Qu'en est-il de tes rêves ?
Si je suis considérablement stressée ou que je n'arrive tout simplement pas à m'endormir, je fais très souvent des rêves lucides. J'ai vraiment l'impression d'y être. Je suis à moitié endormie, à moitié éveillée. Je suis toujours capable de réfléchir. Les rêves les plus flippants sont ceux où je vole et où je suis étouffée par quelque chose. Ils reviennent très souvent, mais me terrifient toujours autant. Ce sont toujours des situations où je me demande comment je vais m'en sortir, ce qui est très stressant.

Combien de temps dors-tu par nuit ?
Cinq ou six heures. Si je vais me coucher vers 23 heures et que je dois me lever à 8 heures le lendemain, je ne sais pas dans quel état je serai. Je suis toujours épuisée quand je me réveille, mais certaines journées sont plus évidentes que d'autres. C'est épuisant mentalement, et c'était encore pire avant les médicaments. C'est un peu flippant de voir à quel point cette maladie a une influence sur ma vie et peut exacerber mes problèmes. De plus, il est toujours très délicat d'en parler aux gens car ils ne me croient pas la plupart du temps.

*Le nom a été changé à la demande de notre interlocutrice.

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