Tout comme vous, l’Univers finira bien par mourir. Mais comment ? Telle est la question que se posent les cosmologistes depuis la formulation de la théorie du Big Bang et de l’expansion de l’Univers. Le cosmos va-t-il finir gelé, écrasé, déchiré ? Disparaîtra-t-il dans des dizaines de milliards d’années ou dans une seconde, sans que personne n’ait rien pu voir venir ? En l’état actuel des choses, nous ne pouvons que supputer. Histoire de vous motiver à mettre de l’ordre dans vos affaires, nous avons dressé une liste des cinq théories d’apocalypse totale les plus en vogue.
Big Freeze :
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La théorie du Big Freeze n’est pas particulièrement excitante : pour ses défenseurs, l’univers va se refroidir à mesure qu’il s’étend vers l’infini sous l’influence de l’énergie noire. Après quelques dizaines de milliards d’années d’expansion, sa température titillera le zéro absolu (−273,15 °C), trop bas pour que les particules puissent se balader tranquillement. Il ne se passera plus rien car le cosmos sera comme gelé, d’où le nom de Big Freeze. “C’est une mort thermique très, très lente” explique le cosmologiste Jean-Pierre Luminet, joint par téléphone.
Cette théorie de fin de l’univers est la conclusion logique de la seconde loi de la thermodynamique, un principe suprême de la physique selon lequel l’entropie – en gros, le degré de dispersion d’énergie – d’un système isolé ne peut qu’augmenter jusqu’à atteindre un degré maximum. En gros, cela signifique que l’énergie utilisée pour créer le mouvement dans notre univers tend à se perdre naturellement et de manière irréversible.
Le Big Freeze, c’est quand l’univers a dissipé toutes ses réserves d’énergie au fil de son expansion : le degré maximum d’entropie a été atteint. Le mouvement des particules s’est éteint, la chaleur a disparu, plus rien ne bouge et tout finit par s’évaporer. L’univers meurt congelé comme un con comme Jack Nicholson dans Shining.
Popularité : 8/10. À moins que la cosmologie ne soit complètement bouleversée par une découverte majeure, le Big Freeze aura raison de l’unviers.
Angoisse : 4/10. On bâille par manque de gore cosmologique. Le Big Freeze est un peu glauque mais trop poussif pour déclencher le moindre frisson.
Cool : 3/10. Tout ça manque franchement d’éclat. On a eu le slow eating, le slow journalisme, le slow sex, on se passera volontiers d’une slow fin de l’unviers.
Appréciation générale : Convenu. Le quotidien est assez chiant comme ça, si nos fantasmes de destruction de l’univers pouvaient être un minimum excitants ça nous arrangerait.
Big Crunch :
Le Big Freeze mise sur le fait que l’univers va continuer à s’étendre vers l’infini. Le Big Crunch, son doppelgänger, parie sur un autre futur dans lequel l’univers atteint un degré d’expansion maximum avant de se contracter. À la fin, l’univers atteint un degré de contraction tel qu’il s’effondre pour former un gigantesque trou noir : ce “Big Bang inversé”, c’est le Big Crunch. “Beaucoup de cosmologistes l’apprécient pour des raisons esthétiques”, s’amuse Jean-Pierre Luminet.
Tout comme le Big Freeze, le Big Crunch est une histoire d’énergie noire – et plus précisément d’équilibre entre énergie noire et gravitation.
L’énergie noire, qui est supposée composer plus de 68% de la densité d’énergie de l’univers, agit comme une force répulsive : à l’heure actuelle, tout indique que l’expansion de l’univers s’accélère à cause d’elle. À l’inverse, la gravitation est la force qui rapproche les corps. Si la densité de l’énergie noire reste constante à mesure que l’univers s’étend, nous aurons droit à un Big Freeze ; si cette densité baisse et que la gravitation gagne son bras de fer cosmique contre l’énergie noire, tout finira dans un Big Crunch.
Ce que nous savons de l’univers indique que le Big Crunch est possible, au moins en théorie. Cependant, aucune observation ne le confirme. Au contraire, rappelle Jean-Pierre Luminet, ce que nous pouvons voir du cosmos depuis une quinzaine d’années indique que nous sommes “dans une phase d’expansion accélérée.” Dommage, la perspective d’un univers si petit que les étoiles se cuisent elles-mêmes, explosent et se percutent avant d’être absorbées par des trous noirs monstrueux nous plaisait bien.
Popularité : 5/10. Le Big Crunch est moins probable que le Big Freeze mais il n’est pas si invraisemblable. Un petit coup de théâtre et c’est réglé, alors pourquoi pas ?
Angoisse : 5/10. Toute la matière de l’univers se concentre et s’effondre en un unique trou noir aux proportions inconcevables : c’est une fin de l’univers sauce Michael Bay, spectaculaire mais pas forcément flippante.
Cool : 6/10. Quelque soit le degré auquel vous le prenez, le spectaculaire est une forme de cool. Comme un film catastrophe, le Big Crunch est cool mais pas particulièrement original, ce qui l’empêche de décrocher une vraie bonne note. On veut être surpris.
Appréciation générale : Moyen tendance plus. S’effondrer sur soi-même est plus sexy que causer sa propre mort par hypothermie, mais pas top pour autant. On s’en contentera faute de mieux.
Big Bounce :
Le Big Bounce est la théorie la plus poétique de ce classement. Ses apôtres affirment que le Big Crunch est un point d’orgue, pas un point final : plutôt que de signer la fin de l’univers, cette phase de contraction amorcerait un nouveau cycle d’expansion introduit par un nouveau Big Bang. Loin d’être condamné à croître et s’effondrer une seule fois, le cosmos serait pris dans un genre de pulsation potentiellement infinie, le Big Bounce n’étant que le moment où il prend un nouveau départ. Une petite fin de l’univers, en somme.
Le Big Bounce (ou “Univers Phénix”, comme l’a baptisé son théoricien, le physicien belge Georges Lemaître) est rassurant à sa façon. C’est à peu près tout ce qu’il a pour lui : en plus de dépendre de la possibilité d’un Big Crunch, il cadre mal avec ce que nous savons des lois de la physique. Plusieurs théoriciens courageux ont tenté de donner de nouvelles formes au modèle du Big Bounce depuis les années 80 mais la communauté scientifique est toujours resté dubitative. Vous pouvez toujours rêver mais soyons honnêtes, c’est mal parti.
Popularité : 2/10. Le physicien Neil Turok a un nom de jeu vidéo dans lequel on tue des dinosaures et un penchant prononcé pour le Big Bounce. À l’en croire, “95% des cosmologistes” ne partagent pas sa vision. C’est beaucoup.
Angoisse : 2/10. Le Big Bounce transforme le Big Crunch en “Ce n’est qu’un au revoir” tragi-comique. Certes, le cosmos tel que nous le connaissons aura disparu, mais seulement pour laisser place à un nouveau cosmos peut-être complètement différent. C’est presque cucul.
Cool : 7/10. Même si vous n’êtes pas un sale hippie, force est d’avouer que l’univers-balle rebondissante du Big Bounce est plus excitant que le Big Freeze et plus suprenant que le Big Crunch. À nos yeux, cela justifie un début de bonne note.
Appréciation générale : Séduisant mais invraisemblable, un peu comme l’idée qui voudrait que l’infiniment petit rejoigne l’infiniment grand, genre “chaque quark contient un univers, mon frère”. Avec un peu de mauvaise foi, disons que le Big Crunch est la caution paille à maté de ce classement.
Big Rip :
Tous les athlètes le savent : trop forcer, c’est prendre le risque d’une déchirure. Le Big Rip est une théorie qui soutient que l’univers pourrait continuer à s’agrandir avec une puissance telle qu’il finira par se déchirer. Autant vous prévenir tout de suite, le Big Rip est considéré comme peu vraisemblable par la plupart des cosmologistes car elle dépend d’une énergie aux propriétés exotiques, l’énergie fantôme.
Dans un scénario de type Big Freeze, on l’a dit, l’énergie noire conserve la même densité tout au long de l’expansion de l’univers. Cependant, relève Jean-Pierre Luminet, “on n’a pas encore de modèle consensuel sur la nature de l’énergie sombre.” De fait, les cosmologistes ont pu inventer un modèle d’énergie noire dont la densité augmente à mesure que l’univers s’étend ; l’énergie fantôme, c’est elle.
“Les modèles d’énergie fantôme sont très peu probables physiquement”, avertit Jean-Pierre Luminet. Mais si elle n’existe pas que sur le papier, elle finira par prendre une place telle dans l’Univers qu’elle finira par le déchirer. Cela devrait prendre 22 milliards d’années. “Ça se ferait progressivement, explique le cosmologiste. À l’échelle des amas de galaxies d’abord, puis des galaxies, puis des étoiles, des systèmes solaires, et même à l’échelle des atomes eux-mêmes. Une véritable implosion.”
Popularité : 1/10. Le coup de l’énergie qui gagne en densité à mesure que l’univers s’étend, c’est un peu fort pour la plupart des cosmologistes. On a décidé de se fier à leur avis.
Angoisse : 8/10. S’il reste des humains dans 22 milliards d’années, ils seront témoins des dernières étapes du Big Rip : quelques mois avant la toute fin de l’univers, les systèmes stellaires eux-mêmes seront écartelés. Imaginez voir ça.
Cool : 8/10. Le nom claque bien et on peine à imaginer plus gore, c’est tout ce qui nous fallait.
Appréciation générale : Une belle image mais probablement rien de plus. Peut-être que l’univers ne mérite pas le Big Rip.
Big Slurp :
La théorie la plus difficile à expliquer de ce guide, mais aussi la plus inquiétante. Certains modèles cosmologiques supposent que l’univers n’est pas vraiment stable et qu’il pourrait basculer à tout moment dans un nouvel état. Bien sûr, l’univers tel que nous le connaissons actuellement serait complètement perdu dans cette transformation parfois appelée Big Slurp.
La théorie du Big Slurp est issue de la confirmation expérimentale de l’existence du Boson de Higgs. Lorsqu’elle a été identifiée par le Large Hadron Collider (LHC) en 2012, cette particule élémentaire possédait une masse d’environ 126 gigaélectronvolts. Le problème, c’est que cette valeur est proche de la “masse de stabilité limite” au-dessus de laquelle le vide devient instable. Pour certains, cela signifie qu’une bulle de vide vraiment stable pourrait apparaître à tout moment dans n’importe quel coin de l’Univers et gonfler à la vitesse de la lumière en engloutissant tout sur son passage.
Comme bon nombre de ses collègues, Jean-Pierre Luminet n’est pas convaincu par cette hypothèse. Avant toute chose, nous devons mesurer la masse du boson de Higgs avec plus de précision pour confirmer la possibilité d’un Big Slurp. En chemin, nous découvrirons peut-être de nouvelles particules et interactions qui invalideront complètement la théorie. De plus, les calculs de Joseph Lykken, le physicien théoricien qui dirige le Fermilab, indiquent que le Big Slurp ne se produira pas avant plusieurs dizaines de milliards d’années.
Popularité : 6/10. Le Big Slurp est le petit nouveau qui attire tous les regards sur lui.
Angoisse : 5/10. En cas de Big Slurp, nous ne verrions rien venir : tout ce que nous connaissons serait réduit à rien en un instant. On met la moyenne car on ne sait pas si c’est angoissant ou pas.
Cool : 7/10. Le coup de la bulle de vide qui apparaît spontanément et ravage tout sur son passage est plutôt cool, il faut bien le reconnaître.
Appréciation générale : On aime. L’hypothèse est toute neuve et excitante, le nom est cool. Et puis le fait que le “grand lapement” (?) puisse nous faire disparaître sans prévenir nous plaît bien.