Depuis que Charles Darwin a décidé de partager avec le monde les observations qu’il a faites à bord du HMS Beagle en sa qualité de spécialiste des goélands, on en sait un peu plus sur nos origines. On sait, notamment, que la Terre n’a pas été créée en sept jours et que les espèces dérivent les unes des autres – et que, par exemple, l’homme partage un ancêtre commun avec le singe. On sait aussi que les espèces présententdes avantages évolutifs qui leur permettent de survivre dans leur milieu naturel. Ainsi, contrairement à nos cousins simiesques (non, pas les créationnistes), la diminution de notre pilosité est l’un des avantages qui nous permettent de nous développer en tant qu’espèce et de continuer à dominer toutes les autres. La nature est ainsi faite.
Or, la nature est très souvent injuste, surtout si on l’envisage du point de vue d’une société nombriliste comme la nôtre. J’en ai eu une confirmation directe il y a quelque temps, lorsque j’ai revu un mec que je connaissais de vue depuis le collège. Ça faisait un bon moment que je ne l’avais pas aperçu et j’ai été surpris en voyant qu’il n’avait quasiment plus de cheveux. Ça m’a d’autant plus surpris qu’il avait à peine vingt ans. À l’époque, j’avais moi-même perdu les miens après trois mois de chimiothérapie, et j’avais peur – ne me demandez pas pourquoi – qu’ils repoussent comme ceux de ce pauvre type. Après un petit tour sur Facebook, j’ai vu que son frère aîné avait encore tous ses cheveux. C’est alors que je me suis rendu compte de l’incroyable injustice qui frappait les victimes de la perte de cheveux, un peu au hasard. Pourquoi des mecs de mon âge étaient-ils condamnés à avoir l’air vieux toute leur vie tandis que d’autres emporteraient dans leur tombe l’intégralité de leur chevelure ? Bienvenue dans le monde infâme de l’alopécie.
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Il faut savoir qu’une fois qu’on entre dans cet univers, c’est souvent la merde. Généralement, on découvre ce microcosme glauque en prenant conscience de ses propres lacunes capillaires dans une salle de bains trop éclairée ou devant une serviette pleine de poils. Déni, espérance et auto-persuasion viennent souvent cacher une réalité difficilement acceptable. Des lauriers qu’utilisait Jules César aux perruques de Louis XIV en passant par la transplantation foireuse de Wayne Rooney, l’homme a toujours tenté de lutter contre sa condition et sa propension à l’alopécie. Cependant, rassurez-vous, si vos cheveux tombent, il est possible que ce ne soit que temporaire et que vous n’ayez pas à avoir recours à des techniques toutes aussi cheap afin de dissimuler votre calvitie naissante. Afin d’en savoir plus sur cet univers effrayant, j’ai contacté Martine Leclercq, responsable de l’institut capillaire NORGIL de Lille. Elle m’a tout expliqué au téléphone et voici ce que j’ai retenu.
Il faut savoir que nos cheveux tombent pour plusieurs raisons : la cause peut être auto-immune, psychologique ou encore médicamenteuse. Mais dans la majeure partie des cas, elle est héréditaire et d’origine hormonale. On parle alors d’alopécie androgénique ou androgénétique (AAG). C’est, de loin, la perte de cheveux la plus déprimante de toutes puisqu’elle est irréversible et responsable de la calvitie – le trou à l’arrière du crâne de papa dont vous vous moquiez allègrement étant plus jeune, n’ayant pas conscience que votre karma finirait par rattraper l’impertinence juvénile de vos pulsions œdipiennes. Dans une AAG, les cheveux tombent selon un schéma particulier, illustré par une échelleen sept phases,créée parle Dr JamesHamilton dans les années 1950, puis reprise par le Dr O’Tar Norwood une vingtaine d’années plus tard. Le dégarnissement est progressif : d’abord les tempes, puis une zone à l’arrière du crâne (le vertex) avant de toucher le haut de la tête – le rythme de perte est variable et peut se stabiliser subitement. Chez la femme, loin d’être épargnée, mais touchée dans des proportions moindres, elle opère sur le dessus de la tête, sur les côtés ou sur le haut du crâne.
Les héritiers de Darwin auront remarqué que les cheveux ne tombent pas avant la puberté. Depuis la période des premières émasculations massives, on a observé que les hommes castrés avant la puberté ne perdaient pas leurs cheveux, même s’ils perdaient toute masculinité aux yeux de la société – eunuques et castrats d’opéras en étaient la preuve. En revanche, à cause du manque de données scientifiques, du dédain pour les hommes sans bourses et de tout un tas d’autres facteurs qu’on peut s’imaginer sans trop de peine, il a fallu attendre 1942 avant de savoir pourquoi certains d’entre nous devenaient chauves subitement. Jusqu’alors, nombre d’escrocs avaient pu faire leur beurre en vendant des « remèdes miracles » placebos qui, à défaut de faire regagner des cheveux à ceux qui les prenaient, faisaient perdre tout scrupule à ceux qui les vendaient. À cette époque, Hamilton a observé que les hommes castrés avant la puberté pouvaient développer une calvitie s’ils étaient traités par testostérone – hormone androgène qui est fabriquée dans (surprise !) les testicules.
En s’amusant – il s’agit d’une hypothèse – à castrer des hommes atteints de calvitie – la concurrence avec les médecins nazis étant rude –, Hamilton a remarqué que cela stoppait sa progression, mais n’entraînait pas de repousse. Il a vite compris l’influence majeure des androgènes sur la pousse des poils et des cheveux. Néanmoins, ce n’est que bien plus tard que l’on a compris que ce n’était pas directement la testostérone qui était responsable de la calvitie, mais la dihydrotestostérone (DHT), une hormone masculine née de la rencontre entre la testostérone et l’enzyme 5-alpha réductase au niveau de la racine du cheveu. Une trop grande sensibilité des récepteurs de DHT, localisés au niveau du follicule pileux, entraînait un cycle de vieillissement prématuré jusqu’à ce que les cheveux se miniaturisent. L’être humain étant doté de 25 cycles de pousse dans son patrimoine génétique, normalement consommé tous les 4 à 5 ans, ceux-ci sont consommés plus rapidement – parfois en quelques mois – lorsque les récepteurs sont trop sensibles aux androgènes. Conséquence inévitable : les cycles finissent par être épuisés et le crâne se dégarnit.
Malheureusement, cette perte est imputable à des facteurs héréditaires – ce qui signifie qu’en comptant le nombre de crânes chauves qui se partagent le clafoutis à la table de votre prochain repas de famille, vous pouvez avoir une vague idée de ce vers quoi vous vous dirigez. Cela dit, on peut être porteur du gène de l’AAG sans pour autant développer de calvitie. En outre, des facteurs externes (stress, choc psychologique ou mauvaise alimentation) peuvent venir aggraver le problème. Mais ne vous leurrez surtout pas ; s’il est écrit sur vos chromosomes que vous perdrez vos cheveux, ça ne vous servira à rien de faire du yoga, de vous protéger du monde extérieur en vivant dans une bulle hermétique ou de bouffer des salades au quinoa ignobles qui vous feront vous transformer progressivement en tout ce qui ne va pas dans notre société ; vos cheveux tomberont un jour.
“J’en ai marre. Je ne peux même pas décrire à quel point ma chute a eu un impact négatif sur ma vie sociale, ma confiance en moi et ma personnalité. Avant, j’étais un jeune homme sociable et plein de confiance. Aujourd’hui, je ne suis plus rien.”
Quiconque vit avec une AAG sait le manque de la confiance ensoi qu’elle engendre. Martine Leclercq me l’a confirmé : « On est aujourd’hui dans une société dédiée à l’image avec le paraître, le beau, le toujours bien. Je vois arriver des jeunes hommes de 25 à 35 ans pour qui c’est vraiment un complexe. C’est un réel problème qui apporte perte de confiance en soi et manque d’assurance. Ça devient un vrai problème pour rencontrer quelqu’un. On ne ressemble pas tous à des Jason Statham. » Malgréla tentative admirable de Britney Spears (qui n’a malheureusement pas pris) de lancer une mode chez les femmes, l’absence de cheveux ne pourra jamais s’assumer pleinement chez le “sexe faible” : « Ce n’est pas choquant de voir un homme sans cheveux. En revanche, si vous voyez une femme sans cheveux, vous penserez systématiquement à la maladie. C’est beaucoup plus compliqué pour elles. »
Il suffit d’aller traîner sur les nombreux forums dédiés à la perte de cheveux (Bald Truth Talk, Hair Loss Talk ou encore Doctissimo) pour voir les ravages psychologiques qu’elle cause. Pour Brian, un utilisateur du forum Bald Truth Talk atteint d’une alopécie de stade 4 sur l’échelle de Norwood-Hamilton, son AAG est difficilement vivable : « J’en ai marre. Je ne peux même pas décrire à quel point ma chute a eu un impact négatif sur ma vie sociale, ma confiance en moi et ma personnalité. Avant, j’étais un jeune homme sociable et plein de confiance. Aujourd’hui, je ne suis plus rien. » Pis encore, le cas de Pyle sur Hairlosshelp.com qui avoue être au bord du suicide tant sa perte de cheveux le déprime. C’est dire à quel point le nihilisme qui ronge l’âme de Brian et Pyle leur susurre à l’oreille de foncer chez l’armurier du coin, se procurer des pistolets automatiques et faire un carnage dans le lycée le plus proche.
Gaspar Noé avait raison. Le temps détruit tout. Surtout les cheveux.
Si, contrairement à Brian et Pyle, votre perte n’est pas d’origine hormonale, il y a de l’espoir. Elle peut être psychologique. Dans ce cas, il peut s’agir d’un effluvium télogène : une chute temporaire des cheveux non localisée, suite à un choc psychologique ou émotionnel comme peuvent l’être un accouchement, une intervention chirurgicale ou la vision de son conjoint en train de se faire dévorer par un ours pendant une randonnée champêtre en lune de miel. Cette perte est due à une cause organique, créée par le choc. Jusqu’à 30 % des cheveux se mettent en phase terminale de pousse – en temps normal, 3 % le sont. Ainsi, un bon tiers de la chevelure se fait la malle avant de réapparaître quelques mois plus tard. Ouf, le suicide ne sera pas nécessaire.
Cependant, l’effluvium télogène peut devenir source de préoccupation quotidienne chez les personnes qui en souffrent. Naomie, une utilisatrice de forum consacré à la perte de cheveux, l’avoue : « Je suis effrayée. Il n’y a pas un jour où je me lève sans angoisse en voyant mon oreiller plein de cheveux. Mon premier réflexe est d’accrocher mes cheveux, de peur de les voir tomber par masse tout au long de la journée. » Clairement, si Naomie s’intéressait plus aux ours qu’elle ne passait de temps sur son portable à choisir quels filtres Instagram et hashtags utiliser, elle réfléchirait à deux fois avant de se plaindre. Génération pourrie gâtée.
Lorsque les causes de la perte ne sont pas psychosomatiques ou hormonales, elles peuvent être le fruit du comportement destructeur de l’homme. Autrement dit, les cheveux peuvent tomber suite à un trouble compulsif. C’est le cas de la trichotillomanie : un comportement impulsif épisodique ou continu qui consiste à s’arracher les cheveux, littéralement. Dans un tel cas, vous avez besoin de changer d’air et de déplacer l’objet de votre trouble – à savoir, les cheveux – vers quelque chose de plus sain. Nombreuses sont les façons d’arracher des choses fermement imbriquées dans d’autres : de la cueillette de baies en forêt aux décapitations aux Moyen-Orient, ce ne sont pas les idées qui manquent. Le monde est un champ de possibilités. Soyez créatifs.
Flickr.La perte de cheveux peut aussi être causée par certains traitements. Le plus connu est sans doute la chimiothérapie, utilisé très souvent pour traiter le cancer. Son mécanisme de fonctionnement est simple : il cible les cellules à la prolifération rapide – ce qui est le cas des cellules cancéreuses. Or, c’est aussi le cas de nombreuses cellules saines, comme les bulbes pileux et les globules blancs. Ces derniers sont attaqués, ce qui provoque la casse des cheveux (et autres poils) qui finissent par tomber de manière anarchique 2 à 3 semaines après la première chimiothérapie, d’où votre ressemblance avec un chat dépecé. Soufflez, c’est une étape désagréable, mais ça ne durera pas très longtemps – pas plus que les quelques mois qu’il vous reste à vivre.
Enfin, vous pouvez perdre vos cheveux à cause d’une maladie auto-immune : la pelade. Vous avez environ une chance sur 58 d’en souffrir dans votre vie – pour vous donner un ordre d’idée, c’est moins que de mourir d’un cancer, mais plus que de succomber après de longues heures d’agonie à une chute de cheval. Comme pour la chimiothérapie, les follicules pileux sont directement attaqués, sans que les cellules-souches ne soient détruites. En conséquence, les cheveux tombent par plaques, laissant apparaître des zones dégarnies sur le crâne. Rien à faire, les gens penseront que vous êtes malades ou le souffre-douleur de votre petit cousin de 7 ans.
Bien qu’on n’en sache encore que très peu sur les causes de la pelade, on sait qu’il s’agit d’une maladie auto-immune. Contrairement aux alopécies médicamenteuses, ce ne sont pas des corps étrangers, mais des globules blancs – certainement radicalisés après avoir fait un séjour dans les zones sensibles de l’organisme – qui se retournent contre celui qu’ils sont censés protéger et provoquent la chute. C’est un peu – si vous aimez les images – le djihadisme de la perte de cheveux : il est très difficile de combattre une bande d’éléments pourris éparpillés parmi des éléments sains au risque de tous les détruire et de laisser l’organisme sans protection, d’où la difficulté de trouver des traitements.
Paradoxalement, la seule perte de cheveux qui est traitée est la seule qui est irréversible. L’AAG ne peut être stoppée, mais simplement ralentie jusqu’à ce que la nature reprenne ses droits et que les médicaments n’aient plus aucun effet. Si des solutions radicales comme l’auto-émasculation paraissent tentantes, il est sûrement plus judicieux d’essayer ces traitements en premier lieu. Le minoxidil, un vasodilatateur à appliquer sur le cuir chevelu matin et soir, couplé à des comprimés contenant de la finastéride (mis en vente sous le nom de Propécia) sont utilisés en première ligne de traitement. Cependant, ces produits sont contraignants, car en plus de causer des effets secondaires plus ou moins déplaisants (développement anormal des seins chez l’homme, baisse de la libido ou impuissance), il faut les prendre tous les jours.
Si vous souhaitez conserver vos pectoraux, votre appétit sexuel et vos érections, sachez qu’il existe des techniques non invasives. Mais attention ! Comme le rappelle Martine Leclercq : « Il s’agit de techniques de prévention, c’est-à-dire qu’elles fonctionnent uniquement chez les personnes en début de chute ». Des compléments alimentaires contenant principalement des produits naturels comme des racines d’orties et des pépins de courges normalisent la chute en agissant directement sur l’enzyme responsable de la fabrication de la DHT.
La greffe de cheveux, un ultime recours, plus onéreux, plus radical, mais aussi plus efficace sur le long terme, permet de se débarrasser de tous les problèmes liés à la perte – et des inconvénients d’avoir à y faire face quotidiennement. Dans une société où l’on n’éprouve aucune gêne à exécrer les riches tout en jouant au loto une fois par semaine en secret, elle est souvent vue comme superficielle. Grâce à la technique de la « F.U.E. » (Extraction d’unités folliculaires), on prélève des cheveux dans les zones dépourvues de récepteurs à DHT– le contour des oreilles et la nuque – pour les greffer sur les zones glabres. Dans cette « zone donneuse », des greffons (groupes de 1 à 4 cheveux) sont prélevés, pour être réimplantés un par un dans la « zone receveuse ».
Il ne s’agit en aucun cas de multiplier les cheveux, mais de répartir le capital pilaire restant sur les surfaces sans cheveux. Ceux prélevés étant programmés génétiquement pour vivre toute la vie et n’étant pas soumis aux androgènes, ils continuent ainsi leur cycle de vie normal sur une autre partie du cuir chevelu sans être soumis aux récepteurs (puisqu’il n’y en a pas dans la zone donneuse). Cependant, il faut savoir que les cheveux présents naturellement sur les zones soumises aux récepteurs restent sensibles à cette maudite DHT – ainsi, il est plus prudent d’attendre que la perte se stabilise avant d’avoir recours à la greffe, sous peine de voir sa calvitie progresser et ressembler à ça, puis à ça, puis à rien. De nombreuses célébrités ont utilisé cette technique, en l’assumant plus ou moins : John Travolta, Matthew McConaughey, George Clooney ou, plus localement, Julien Lepers.
Chauves, futurs chauves, compagnons de souffrance : en attendant les traitements du futur auxquels on réfléchit déjà – le clonage des cheveux, par exemple – ou une éventuelle solution-miracle, vous savez ce qu’il vous reste à faire.