Food

Le Guide MUNCHIES de la tambouille politique

Si on est ce que l’on mange, est-ce que l’on mange ce que l’on vote ? Entre les salades que l’on ingurgite et les couleuvres que l’on avale, il est parfois difficile de faire les mêmes choix à table que dans l’isoloir. Pas de panique, on vous a préparé une typologie des préférences alimentaires en fonction des idées politiques.

À quoi reconnaît-on un mangeur de gauche ?

Dans le fond, si vous votez à gauche, c’est parce que vous croyez à la redistribution des richesses et à une certaine justice sociale. Du coup, vous réfutez le terme de « gauche caviar » (un concept inventé par vos détracteurs dans les années 1980). De toute façon, cela ne vous concerne pas du tout : vous êtes plutôt tarama, voire « gauche couscous » comme disait Guy Bedos. Vous savez rester proche des milieux populaires (quand vous faites vos courses chez Franprix) et vous avez le cœur et le portefeuille à gauche. Comme vous n’êtes pas un « social-traître », vous acceptez volontiers de taper dans le foie gras ou les champignons quand vous faites un tour dans votre dernier bastion, le Sud-Ouest. C’est sympa… il y a même du confit de canard et puis là-bas, les gens de gauche ont toujours mangé de la volaille, des cèpes et des haricots cuits dans la graisse d’oie. Oui, voilà, vous aimez vous revendiquer de la branche « radical cassoulet » du socialisme. Celle un peu tranquille qui aime faire la sieste et qui s’étend de l’Aquitaine aux vallées de la région Midi-Pyrénées. Vous mangez bio (parfois) et vous avez un avis assez léger sur le commerce équitable. Vous regrettez peut-être secrètement la Ségolène Royal de 2007 : « Un verre de bon vin donne du plaisir toute la journée. En plus, quand il y a du bon fromage avec, c’est parfait. »

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Le plat : les ortolans du réveillon 1995 de François Mitterrand
Le slogan de campagne : « Moi, mangeur de gauche… »
Le fromage : un Chabichou du Poitou (dont Ségolène Royal défendait l’AOC en 2007)
Le dessert : un flan ? (lol)
Le pinard : du rosé, rapport à la rose
L’adresse du bureau de vote : La Rotonde, 105 boulevard de Montparnasse 75006 (là où François Hollande est allé manger un rumsteck après sa victoire à la primaire socialiste en 2011)

À quoi reconnaît-on un mangeur écolo ?

Vous êtes dans un combat permanent contre la malbouffe. Quand vous ne démontez pas des enseignes américaines de fast-food – et Dieu sait qu’elles sont nombreuses – vous lâchez des pouces rouges sous les vidéos d’abattoirs de L214. Ça fait bien longtemps que vous avez limité votre consommation de produits d’origines animales parce qu’ils ont autant de droits que nous et qu’un bœuf polluera de toute façon toujours plus qu’une tête de chou kale. Vous êtes dans le bio, mais on ne vous la fait pas : c’est un scandale qu’il n’y ait toujours pas la clim’ dans votre Naturalia. Vous luttez contre la malbouffe, Monsanto, les OGM et l’industrie agro-alimentaire dans son ensemble. Vous avez depuis longtemps adhéré au mouvement Slow Food de Carlo Petrini et au concept d’« abondance frugale » développé par Serge Latouche. Vous avez failli postuler pour entrer au sein d’une confédération paysanne mais bon, vous donnez déjà tellement à Greenpeace – vous ne pouvez pas être partout.

Le plat : n’importe quoi qui vient de la banque d’échanges de semence que vous tenez avec vos potes agriculteurs
Le slogan de campagne : « MacDo defora, gardarem roquefort… » soit « McDo casse-toi, on garde le roquefort » en occitan
Le fromage : ben, le roquefort du coup pour cette fois
Le dessert : de la glace au tofu
Le pinard : un biodynamique dont les pieds de vignes ont été plantés en fonction de la lune et du réseau Hartmann
L’adresse du bureau de vote : le Larzac, depuis 1968. Notre-Dame-des-Landes, jusqu’à preuve du contraire

À quoi reconnaît-on un mangeur de droite ?

Si le contenu de votre assiette en fait rarement les frais (encore heureux), on ne va pas se mentir : vous n’êtes pas trop du genre à partager le gâteau. Vous avez toujours l’impression de payer de plus en plus d’impôts donc vous sortez souvent la calculette pour partager en « parts proportionnelles » au moment de régler l’addition. En matière de table, vous avez des convictions illustrées par vos représentants : Jean-Claude Gaudin, qui passe à table à 13 heures et en sort à 18 (i. e. : Petitrenaud dans Le Livre noir de la gastronomie française), Edouard Balladur qui défend la tête de veau sur le plateau de Sept sur Sept – « C’est très bon mais il ne faut pas en abuser parce qu’à la longue, c’est indigeste ». On vous a parfois affublé du sobriquet de mec de la « droite jambon-beurre » en vous accusant d’être un peu trop « popu » sur les bords. Quand il s’agit de dîner en société, vous savez vous adapter, comme le grand Jacques : vous êtes capable de siffler des Corona et de caresser la croupe des Limousines au salon de l’agriculture d’un côté, et d’aimer les grands crus et les cuisines asiatiques de l’autre. Récemment, vous avez même fait l’effort de vous ouvrir à la gastronomie italienne – au hasard d’un bon tuyau dans les pages saumon du Figaro. Ça vous a plu même si un risotto ne remplacera jamais un bon pot-au-feu, comme VGE en mangeait lors de ses dîners télévisés chez les « Français ordinaires ».

Le plat : la « soupe VGE » inventée par Paul Bocuse avec des truffes noires recouvertes d’un couvercle de pâte feuilletée
Le slogan de campagne : « Manger des pommes »
Le fromage : le Caprice des Dieux format individuel
Le dessert : une Religieuse, si vous êtes chrétien-démocrate
Le pinard : plutôt de la Corona
L’adresse du bureau de vote : l’Épicure, le restaurant 3 étoiles du Bristol, 112 rue du faubourg Saint-Honoré 75008 Paris

À quoi reconnaît-on un mangeur à la droite de la droite ?

Déjà, on peut dire qu’à table comme dans la vie, vous êtes plutôt du genre méfiant. Même que vous avez failli arrêter la viande une fois : c’était en 2012, quand Marine Le Pen avait déclaré à Lille que « l’ensemble de la viande qui est distribuée en Île-de-France, à l’insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal. » Ça ne vous a pas plu du tout, mais vous n’aviez pas envie de ressembler à un putain d’écolo donc, ma foi, vous avez continué à manger du bœuf. Le dimanche, vous aimez les repas conviviaux autour des valeurs refuges que sont le travail et la famille – OK, seulement avec certains membres de la famille. Dans l’absolu, vous ne direz jamais non à des petits plats, pourvu qu’ils rendent immédiatement leur gras aux Français ! Le cassoulet, la tartiflette ou même la fondue Bourguignonne. Mais votre petit faible, ça reste la charcuterie à base de porc et les apéros saucisson-pinard. Historiquement, vous êtes assez à l’aise dans feu la région PACA, dont vous célébrez le patrimoine culinaire local en levant bien haut et raide votre ballon de pastis.

Le plat : une quenelle
Le slogan de campagne : « La France aux Français de bouche »
Le fromage : un camembert Président
Le dessert : tout sauf du melon
Le pinard : un côte du Rhône, bien racé
L’adresse du bureau de vote : Chez Tonton, 53 rue des Suisses, 92000 Nanterre


Toutes les illustrations sont de Lucile Lissandre.

Article initialement publié dans les pages du numéro 3 de Jésus Magazine.