Music

Le guide Noisey de l’Italo Disco

Vous descendez tout droit de l’espace. Votre coeur n’a d’égal que votre chevelure. Vous brillez de milles feux dans votre combinaison argentée. Vos accessoires fétiches : un buste en marbre de Platon, quelques coupes de champagne et un bonsaï. Vous rêvez en technicolor. Vous êtes un putain de robot. Vous êtes tellement Italo.

Imaginez un film de série B intégralement dédié à la cause disco. La musique est si enivrante et bourrée d’émotions, qu’elle en devient irrésistible. C’est la magie de l’Italo. Ce n’est pas du disco (techniquement, c’est pire) mais il y a un charme caché, qui vous touche, au plus profond de votre être.


La star Italo Sabrina.

C’est qu’il faut bien comprendre avec l’Italo, c’est qu’elle ne peut pas être ni considérée ni définie sous une forme figée. Il a d’ailleurs fallu attendre le milieu des années 80 pour qu’on parle d’Italo, à l’initiative du label allemand ZYX. Il est impossible de savoir quand le mouvement a débuté, ni quand il finira. En fait, la plupart des italiens qui écoutaient de l’Italo disco considéraient qu’il s’agissait simplement de pop 80’s. L’Italo est sujet à de nombreux désaccords et du fait de son caractère volatile, il est difficile d’en faire un guide ultime. Je vais donc oublier des trucs, laisser des artistes de côté et me mettre plein gens à dos, mais je vais quand même le faire, parce que je n’en ai strictement rien à foutre.

Déjà, tout le monde se goure sur les origines de l’Italo. L’histoire commence à la mort du disco, aux États-Unis. Le genre avait régné en maître absolu durant les années 70, malgré un rejet total de l’Amérique rurale. Mais cette haine (symbolisée par la tristement célèbre Disco Demolition, tentative avortée visant à détruire un maximum de disques disco après un match de baseball des White Sox de Chicago) a finalement eu raison du disco, qui a commencé à péricliter au tout début des années 80. Les boules à facettes ont toutefois continué à scintiller au dessus des dance-floors européens, qui gardaient les yeux tournés vers les États-Unis. Mais avec le déclin du disco aux USA, de moins en moins de morceaux étaient produits et les frais de ports augmentaient à mesure que les stocks s’épuisaient. Une situation qui a poussé des producteurs italiens à imiter la disco américaine afin de suppléer à la demande des clubs. Et s’ils ont totalement échoué dans leur entreprise, ils ont en revanche, et sans le savoir, créé un genre entièrement nouveau.

À partir de là, l’Italo s’est scindée en deux catégories, aussi intéressantes l’une que l’autre. D’un côté, on trouvait les morceaux enregistrés par des compositeurs et producteurs avertis, qui disposaient de l’équipement et de l’expérience nécessaires pour mêler les nouvelles sonorités synthétiques aux paillettes et au glamour du disco. De l’autre, des producteurs amateurs, sans expérience ni du matériel, à qui l’on doit des dizaines de morceaux délirants, qui ont fait la réputation du genre. Refrains romantiques mièvres, mauvais accents anglais, synthés ARP et lignes de basse baladeuses : la bande-son fauchée d’un voyage fantasmé vers une Amérique imaginaire. Et c’est ce rêve qui est à l’origine de la dance music d’aujourd’hui.

LES ARTISTES

L’Italo n’est pas un genre défini par ses artistes. Stars éphémères, doux rêveurs électroniques immédiatement retombés dans l’oubli après un hit, la plupart n’ont fait qu’un bref passage sur la piste. On retiendra toutefois quelques grands noms.

Giorgio Moroder

Ok, Giorgio n’est pas un artiste Italo à part entière mais il a marqué un tournant crucial pour le genre. Moroder a en effet permis l’entrée du disco dans des sphères plus synthétiques. Le type a tout simplement a redistribué les cartes. La production derrière le tube de Donna Summer « I Feel Love » parle d’elle même. Matez un peu la vidéo de « Together In Electric Dreams », est-ce qu’on peut sérieusement faire plus Italo ?

Klein & MBO

Klein & MBO est un duo composé d’un italien (Mario Boncaldo) et d’un américain (Tony Carrasco), qui symbolise à merveille les racines du genre. Ce sont eux qui ont osé aventurer l’Italo dans des mondes plus dance, et nombre de leurs morceaux ont fait danser l’underground de New York et Chicago.

Kano

Kano est l’un des premiers groupes à avoir exporté l’Italo à travers le monde, et à bénéficier par la même d’une reconnaissance interplanétaire, certains de leurs tubes ayant connu un réel succès aux Etats-Unis. Ils ont aussi sorti des albums, chose peu commune dans le monde de la production cheap et précipitée de l’Italo. D’ailleurs, vous n’avez pas manqué de reconnaître « Now Baby Now » samplé dans « Glitz Rock » de Felix Da Housecat.

Sabrina/Clio/Valerie Dore

Ces trois là représentent une facette importante de l’Italo : les pop-stars — même si les chanteuses Italo ne bénéficiaient pas de l’aura des divas disco. Valerie Dore et consoeurs n’étaient le plus souvent que des projets qui empruntaient le nom des chanteuses, drivées par des producteurs qui se servaient de leur identité comme vecteur de succès. Vous l’aurez bien compris, l’Italo n’était pas franchement un genre qui laissait aux femmes l’opportunité de briller.

LES LABELS

ZYX

D’un point de vue international, ZYX était sûrement l’un des labels les plus importants. Déjà, c’est à eux qu’on doit l’appellation du genre Italo, mais ce sont surtout leurs compilations Best of Italo Disco qu’il faut retenir. Comme souvent, il faut attendre qu’un étranger prenne conscience d’un phénomène purement local pour le faire connaître au monde, et c’est bien là la plus grande contribution de ZYX. Ils ont reconnu son potentiel, lui ont donné une image et l’ont exporté vers le reste de la planète.

Goody Music


Jacques Petrus.

Un jour, je tournerai un film entièrement dédié à Goody Music. Avec à sa tête Jacques Petrus, un type mégalo, pas réglo et rongé par l’ambition, Goody Music était l’un des seuls labels italiens à tenir tête aux gros labels internationaux. Le morceau de Macho « I’m a Man » en est le meilleur exemple, puisqu’il est le premier morceau disco intégralement produit par des musiciens italiens à avoir connu un succès mondial, explosant les charts des Etats-Unis au Japon en passant par le Brésil. La mauvaise réputation que traînait Petrus et son incapacité à faire face échecs l’ont entraîné dans des affaires douteuses, contractant des emprunts louches qu’il savait impossible à rembourser. Il a été assassiné en 1986, à l’âge de 47 ans, dans sa ville en Guadeloupe.

Power Records

Power est un autre label italien auquel on doit de nombreux bijoux Italo. En une année d’existence seulement, entre 1986 et 1987, il a sorti pus de tubes à épaulettes que Duran Duran n’a pu le faire au cours de sa carrière.

LES MORCEAUX

Klein & MBO – « Dirty Talk »

C’est LE morceau Italo par excellence. Ils l’ont sorti en 1982, soit peu de temps après la gloire du disco et au début de l’âge d’or des boîtes à rythme, sans trop pousser dans les années 80 où tout est très vite devenu techno, techno, techno.

Baby’s Gang – « Happy Song »

On est bien d’accord, « Everybody, let’s go to the gig, we can dance there, dance and eat an ice-cream, everybody dancing all night long, try to do it, sing a happy song » sont de loin les meilleures paroles jamais écrites pour un morceau dance.

Paciscopi – « Love’s Harmony »

Ce n’est pas forcément un grand classique de l’Italo, mais c’est mon morceau préféré. La basse omniprésente et langoureuse en dit suffisamment long sur les heures passées par les danseurs des trente dernières années à s’agiter dans des caves humides, sous la lumière des stroboscopes. Magique.

Casco – « Cybernetic Love »

Casco (de son vrai nom Salvatore Cusato) était l’un des plus gros producteurs d’Italo, et « Cybernetic Love » en est certainement l’apogée. Sorti en 1983, ce morceau marque l’une des fins cosmiques de l’Italo, mais on peut presque entendre les sonorités de la techno de Détroit et de l’acide house naissantes.

Caron – « Out of the Night »

Ok, c’est encore un de mes morceaux favoris. C’est de l’Italo hyper sensible et beaucoup trop sincère. Ecoutez un peu les premières secondes et fermez les yeux. Vous tracez en décapotable à travers Milan, en enchaînant les clopes à attendre un appel de votre ex sur votre téléphone intégré, à proximité de la boîte de vitesse.

Clio – « Faces »

Voilà le meilleur exemple de ce qui peut arriver quand l’Italo emprunte le chemin de la pop hyper efficace. Sérieusement, je ne comprends toujours pas pourquoi ce morceau n’a pas été numéro dans le monde entier 12 ans d’affilé.

Riky Maltese – « Warrior »

Le meilleur refrain de tout l’Italo, et certainement le meilleur morceau qu’ait sorti Power.

Dr Martini – « You are the One »

Ce kick, putain. Si puissant qu’il fait trembler tout votre intérieur rococo, dangereusement chanceler votre décor surréaliste et qu’il décolle par pan entier votre moquette imprimé zèbre.

Mr Flagio – « Take a Chance »

C’est un choix évident, on ne peut pas passer à côté. Un morceau 100 % intense et un aller simple vers extase. « Take a Chance » nous rappelle tout le potentiel sexy que peut avoir la dance music. Enfin, si vous trouvez le mélange entre les chants gospel, les cymbales et les robots moustachus sexy. Ce qui est mon cas.

Firefly – « Love is Gonna Be on Your Side »

Là, on entre dans quelque chose de toute suite plus disco. Sorti en 1981, ce morceau illustre parfaitement les dernières heures du club new-yorkais Studio 54 et bute absolument tout.

Valerie Dore – « Get Closer »

Vous cherchiez un morceau idéal pour venger la mort de son petit ami ? Le voilà.

LES COMPILATIONS

Best of Italo – ZYX

Comme je l’ai dit plus haut, c’est le meilleur concentré d’Italo que vous pourrez trouver.

Essential Italo Disco Classics – Strut

En profitant du regain d’intérêt autour de l’Italo, Strut s’est pas mal débrouillé en compilant tant des grands noms de l’Italo comme Kano que des morceaux hyper rares. Mais le meilleur d’entre eux reste celui-ci.

Mixed Up in the Hague Vol.1 – Panama Records

Ce mix a été compilé par I-F et il défonce. Ce n’est pas un mix 100% Italo mais il est suffisamment dense pour ravir tant ceux qui souhaiteraient s’initier à l’Italo que les oreilles affutées, qui redécouvriraient les classiques du genre.

CEUX QUI S’EN SONT INSPIRES

Toute la dance moderne s’est inspirée de l’Italo. Au Paradise Garage à New York, Levan s’en servait pour donner une touche plus électronique à ses mixes, en reprenant des instrus d’Italo qu’ils juxtaposait sur des sons plus souls. Les percussions ont ensuite été intégrées à la house de Chicago et la techno de Détroit s’est servie sur les thèmes cosmiques qu’offraient l’Italo. L’Italo n’a pas laissé indifférente le Royaume-Uni, influençant notamment New Order, les Pet Shop Boys mais aussi l’acid house (que l’emprunt soit conscient ou pas). Réécoutez « Cybernetic Love » de Casco, et pensez à ce que Daft Punk a fait. Putain, c’est moi ou même Kanye a sorti un morceau d’Italo ?

Le genre en lui-même a évolué. À Chicago, l’inspiration a tourné et l’Italo-house est née, insistant sur des productions chargées en pianos et en refrains enivrants. « Ride On Time » de Black Box est un bon exemple. Enfin, c’est hyper criard. Mais on avait renvoyé chez eux les robots qui buvaient du champagne.

L’Italo n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui, on lui dédie même des nuits dans les quartiers est de Londres, et certains DJ comme Bicep ne jouent plus qu’exclusivement de l’Italo et de la house, comme il l’a montré lors de son set à Glastonbury. Non, l’Italo n’est pas un mouvement kitsch et marginal sur lequel on se plaît à danser un peu bêtement après quelques verres. Ok, ce n’est certainement pas une musique qui rayonne pour son bon goût, mais voyez les choses en face : elle a tout changé.

Angus est sur Twitter.